ANNONCÉE le 12 juin, la suspension des exportations vise à mieux rémunérer les producteurs qui vivent dans une extrême pauvreté, alors que la consommation augmente. Selon l’ONG Fairtrade, le revenu moyen d’une famille de producteurs est d’environ 78 cents par personne et par jour, soit à peine le tiers de ce qu’il faudrait pour couvrir ses besoins vitaux.
Sur les 100 milliards de dollars que représente le marché mondial du chocolat, seuls 6 milliards reviennent aux producteurs. Ils perçoivent donc 6 % du prix du produit fini, contre 16 % dans les années 1980. Si « l’or brun » rapporte, il rapporte surtout aux transformateurs et aux marques comme Mars, Nestlé ou Ferrero, qui touchent en moyenne 40 % du prix de vente, 35 % allant dans la poche des supermarchés.
Le cacao est une ressource vitale pour la Côte d’Ivoire et le Ghana : il représente 10 % de leur PIB. Son cours mondial, fixé à la Bourse de Londres ou de New York, est donc pour eux déterminant et très fluctuant, d’où l’ultimatum fixé. Un ultimatum risqué : ne plus vendre à l’étranger, c’est se priver de devises, et fragiliser le système bancaire. Toutefois, les deux pays ont décidé de se rebiffer, dans un contexte politique particulier, car des élections s’y tiendront l’an prochain. L’effet de la mesure n’est, lui, pas assuré : la mise en place de ce prix plancher ne sera pas effective avant un an. Quant aux producteurs, la plupart pratiquent une agriculture familiale sur de petites parcelles. Ils sont trop atomisés pour véritablement peser sur les négociants.
Réunion des acteurs
Le 3 juillet prochain, Abidjan accueillera une réunion des acteurs des filières cacao ivoirienne et ghanéenne afin de discuter des modalités de la mise en place d’un prix plancher. Mercredi 12 juin en effet, les deux pays ont décidé de faire pression sur les marchés en suspendant les ventes de la récolte 2020-2021 afin de faire remonter les cours. Le prix fixé par l’État ivoirien est de 750 FCFA le kilo cette année. Un prix qui ne permet cependant plus aux producteurs de s’en sortir aujourd’hui.
Les producteurs de cacao sont les plus pauvres de Côte d’Ivoire : taxes de sortie, achat des sacs, des engrais, coût du transport, de la main-d’œuvre… la liste des charges est longue voilà pourquoi aujourd’hui les jeunes se détournent du cacao et les planteurs l’abandonnent. Pour des planteurs, un prix plancher à 1 100 FCFA pourrait changer les choses.
Nouvelle concurrence
Paradoxe de ce marché mondial : les producteurs sont extrêmement pauvres, alors que la demande augmente. Elle augmente même deux fois plus vite que la production, avec l’apparition de nouveaux marchés en Asie, notamment en Chine. Mais cela ne profite pas aux producteurs, car de nouveaux acteurs sont également apparus, là aussi asiatiques, comme l’Indonésie ou le Vietnam. Trois millions de tonnes en 1996, 4.7 millions de tonnes aujourd’hui : depuis la fin des années 1990, la production mondiale augmente. Et les transformateurs en profitent pour faire jouer la concurrence.
Cette hausse de la production n’a pas vocation à durer, car le changement climatique menace le chocolat. Le cacao est une plante fragile qui exige un subtil équilibre entre humidité (80 %) et chaleur (autour de 28 degrés). Or, cet équilibre est mis à mal par le réchauffement climatique, et le risque de pénurie est anticipé par les opérateurs, qui augmentent leurs stocks et poussent à la surproduction, par peur de la raréfaction.
Pour sortir de l’impasse, et mieux rémunérer les producteurs, certains petits chocolatiers contournent les transformateurs, et se fournissent directement en fèves de cacao. Par ailleurs, des labels de commerce équitable proposent une certification qui assure un prix minimum aux coopératives, ainsi qu’une prime additionnelle. Mais au-delà, certains économistes prônent un retour aux prix-plancher et à la régulation du marché, à l’inverse de la libéralisation opérée à la fin des années 80 sous l’égide du FMI et de la Banque mondiale.