LU, VU, ENTENDU : quel journalisme face au Net ? Faut-il labéliser les sites d’information sur le Net, et qui doit le faire ? Dans quelle mesure faut-il étendre aux sites d’information la loi sur la presse ? Quel statut accorder aux blogueurs ? Telles sont quelques-unes des questions qu’il convient d’aborder dans le cadre d’un grand débat national sur le thème « l’information face aux défis numériques ». Un sujet qui dépasse le seul cadre de la presse, et de loin, les clivages politiques. Les députés sérieux devraient porter cette problématique pour proposer une loi à l’Assemblée nationale. Parmi les préconisations, on notera celle qui touche à l’épineux sujet de fake news.
Un effet d’époque
Grâce à un ami en France, j’ai pu voir le film « Deux moi » du réalisateur Cédric Klapisch, dans lequel il dresse le portrait des trentenaires d’aujourd’hui, c’est-à-dire la génération d’aujourd’hui. Une génération à rebours, en tout point contraire à la « génération Erasmus », c’est-à-dire le programme d’échange d’étudiants et d’enseignants entre les universités et les grandes écoles européennes. Dans « Deux moi », Rémy (François Civil) et Mélanie (Ana Girardot) habitent en plein cœur de Paris. Ils sont voisins, fréquentent la même épicerie, empruntent le même trajet et la même ligne de métro mais se croisent sans se voir.
Elle est biologiste tandis qu’il alterne les petits boulots sans âme qu’offre à foison notre époque (ouvrier dans un entrepôt, téléconseiller dans un centre d’appels). Il s’inscrit sur Facebook tandis qu’elle compulse l’application de rencontres Tinder pour noyer le chagrin d’une rupture qui ne passe pas. Souffrant chacun d’un mal-être difficile à nommer, ils entament tous les deux une psychothérapie.
Le film de près de deux heures est un portrait détaillé de « cette génération de jeunes urbains isolée et mollement dépressive, qui ne sait pas de quoi elle souffre et peine à se sortir de sa torpeur relationnelle ». Chez ces trentenaires-là : chaque moment de la vie se voit scandé et homogénéisé par tout un attirail d’applications. Tandis que Mélanie fait défiler les profils de ses potentielles conquêtes, sa copine commande des sushis à distance…
Solitudes hyper connectées : quelque chose ne tourne pas rond dans cette époque où les êtres se frôlent sans se voir car la rencontre s’est subitement absentée du réel. La faute aux nouvelles technologies, aux réseaux sociaux, aux vidéos de chat et au culte de l’introspection sur le divan (même si elle s’avérera salvatrice). Aujourd’hui, les jeunes urbains sont esseulés et neurasthéniques, tout est dans les réseaux sociaux. Il suffit simplement de se connecter à l’internet. À travers leurs parcours parallèles de zombies du boulot-dodo-réseaux sociaux se dessinent un univers de cages à animaux, une société de branchés au web déconnectés de la vie de quartier, qui est le seul salut d’Homo urbanus. Toujours à l’affût de l’air du temps.
Les réseaux sociaux sont devenus la source de cette solitude des grandes villes, à l’époque hyper connectée où l’on pense pourtant que se rencontrer devrait être plus simple… Toute la réflexion est fondée sur la philosophie générale et la morale simpliste : « la technologie c’est mal, la vraie vie c’est mieux ».
Industrie des fake news
Arrêtons de jeter à longueur de journées le discrédit sur le pays à travers les réseaux sociaux. Qui sont devenus une véritable industrie des fake news alimentée chaque jour par les tensions politiques et sociales. Le Congo-pessimisme qui est le produit de cette industrie met en péril le fragile équilibre qui semble prévaloir depuis plusieurs années. Chaque jour, nous tuons la RDC, tous, à travers tout ce que nous écrivons et balançons comme images sur les réseaux sociaux. De grâce, ne tuons pas le produit Congo, sinon c’est vers un suicide économique collectif que nous tendons. Ce pays ne mérite pas ce que nous lui faisons, vraiment.
En l’absence de culture de sondage d’opinion en République démocratique du Congo, il faut aller dans les réseaux sociaux pour savoir ce que disent les Congolais et palper finalement leur état d’esprit. Celui d’un ras-le-bol général qui se traduit par la soif du « changement ». En prenant en compte ce qui se dit et/ou s’écrit dans les réseaux sociaux, il y a vraiment de quoi faire réfléchir : sans vraiment exagérer, 90 % des Congolais ont une image négative des politiciens de leur pays. Le chiffre gonfle, quand on série les adjectifs qui les qualifient le mieux. C’est un véritable tsunami qui submerge l’image du politicien congolais.
Aujourd’hui, le qualificatif le plus souvent cité est « égoïste », et le terme « immoral » arrive en 2è position. Comme le démontre une étude du centre de recherche multidisciplinaire Alter de Kinshasa sur le leadership, les politiciens congolais sont de plus en plus présents sur les réseaux sociaux pour leur communication. Chacun de ces politiciens essaie d’établir une stratégie de communication digitale propre à sa personnalité pour s’attirer les faveurs des Congolais.
Coupures d’internet
À plusieurs reprises, le gouvernement a privé les Congolais d’internet via les réseaux de téléphonie mobile. Entre les raisons de sécurité nationale et celles de confort personnel, le gouvernement choisit toujours la première option. Les Congolais estiment que le gouvernement porte, par ce geste, atteinte à leur droit fondamental à l’information. Au-delà des conséquences, notamment le manque à gagner financier pour les activités de services dépendantes de l’internet, en particulier les cybercafés, point n’est besoin de dire qu’internet nous accompagne de plus en plus quotidiennement.
Il est dans notre poche, à portée de main, les connexions par jour sont plus nombreuses, les personnes âgées se l’approprient, etc. Outre le fait d’être un outil de communication, internet est devenu utilitaire pour bon nombre de Congolais qui l’utilisent désormais comme un outil de travail à distance. C’est notamment le cas des scientifiques (chercheurs, médecins, enseignants, architectes, etc.) et de certains journaux. L’internet est aujourd’hui une « opportunité » pour développer encore plus de services au plus proche de nos citoyens.
Loin d’être un baromètre référent du numérique en RDC, l’étude menée par le centre de recherche Alter éclaire cependant sur l’équipement et les usages numériques des Congolais dans le pays, en particulier à Kinshasa. En tout cas, elle prend le pouls de notre société face aux évolutions technologiques. Elle renseigne sommairement sur les comportements des Congolais, les pratiques nouvelles qui rentrent dans leur quotidien, elle donne des orientations sur les attentes et sur ce que soulèvent les appréhensions. Enfin, elle nourrit l’action que les autorités doivent mener au lieu de se contenter de censurer la diffusion de l’information en coupant le signal de l’internet à chaque événement important dans le pays, quand cela lui semble défavorable.
L’enquête a été réalisée en face-à-face pendant la période de suspension de la connexion internet via les réseaux de téléphonie mobile auprès de 2000 personnes représentatives de la population des 12 ans et plus (censés posséder un équipement connecté : téléphone portable, tablette, ordinateur) selon la méthode des quotas. Le questionnaire et la démarche destinés aux adultes ont été cependant adaptés pour les moins de 18 ans (mineurs). Cela va sans dire que cette enquête décrit l’équipement et les usages des individus et non celui des ménages. Les Kinois, dont le sens de l’humour est très aiguisé, ont inventé une expression « Génération Android » pour désigner les adolescentes qui sont prêtes à tout, pourvu qu’elles possèdent un portable full option de grande marque et de s’afficher ainsi avec. Je vous épargne des détails des anecdotes croustillantes qui sont légion dans cette ville de près de 12 millions d’habitants et dont les mœurs ne sont pas citées en modèle. Loin s’en faut ! Et normal que dans une ville pareille le nombre de connexions quotidiennes augmente.