LE RWANDA n’est pas notoirement un pays minier. Il n’est pas non plus cité comme pays potentiellement riche en ressources naturelles. Cependant, ce pays, voisin de la République démocratique du Congo (connue comme un scandale géologique), affiche clairement son ambition de devenir la plaque tournante pour tout ce qui est des minerais en Afrique de l’Est et en Afrique Centrale. « Nous ouvrons notre secteur minier jamais comme dans le passé, en fournissant autant d’information géologique que possible, et nous avons récemment révisé notre cadre réglementaire, passant de la politique au code et à la réglementation miniers, non seulement pour le rendre concurrentiel, mais également pour fournir une plate-forme qui permettra aux entreprises de se conformer facilement aux exigences réglementaires », déclare Francis Gatare, le patron de Rwanda Mines, Petroleum and Gas Board (RMB), hôte de la nouvelle conférence minière régionale qui se tiendra à Kigali les 28 et 29 octobre.
Culture de la gagne
« Contrairement aux Congolais qui prennent leurs faiblesses pour des qualités, les Rwandais considèrent les leurs comme des défis à relever. Paul Kagame, un dictateur éclairé, a su imposer une ligne, la Vision 2020, dont l’objectif est de faire du Rwanda un pays émergent en 2020, donc l’année prochaine », nous explique le politologue Jean Marie Kidinda.
D’après lui, si le Rwanda n’est pas encore un pays émergent, en tout cas, les Rwandais seront si près du but l’année prochaine, lorsqu’il sera question de faire le bilan de cette vision. « Aujourd’hui, personne ne peut remettre en cause le travail de Kagame. Son pays est devenu fréquentable, attractif, et donc économiquement viable », souligne Jean Marie Kidinda. Ce politologue et sociologue, et aviseur très critique sur la RDC, dit ne pas être étonné que Paul Kagame cherche à faire de son pays un « hub minier » de la région australe et centrale de l’Afrique. « Je ne suis pas du tout étonné. C’est dans l’ADN de Kagame qui travaille ardemment depuis des années à la réalisation de ses ambitions régionale et continentale », déclare Kidinda.
Pour s’en convaincre, dit-il, il suffit d’interroger les statistiques. Par exemple, le Rwanda est actuellement la deuxième des économies africaines les plus dynamiques, avec un taux de croissance du PIB projeté de 7,8 % en 2019. « Bref, l’exploitation minière est désormais une priorité majeure pour les dirigeants rwandais, qui espèrent en tirer au moins 800 millions de dollars l’année prochaine. Mais avec quelles ressources naturelles ? C’est là le hic », pose Jean Marie Kidinda.
« On n’a pas besoin d’un dessin pour comprendre que le Rwanda est en train de développer une industrie minière en lorgnant du coin de l’œil les ressources naturelles de la RDC, notamment dans l’Est du pays. Ce qu’il ne peut pas se permettre avec la Tanzanie, le Kenya et l’Ouganda qui sont des pays structurés », réagit au téléphone un compatriote, expert minier, résident à Toronto au Canada, et ayant requis l’anonymat pour des raisons professionnelles.
À Lubumbashi, entre deux sessions de la conférence DRC Mining Week 2017, au plus fort de la crise du code minier révisé, il nous confiait : « Il faut se méfier des multinationales car elles finissent par obtenir ce qu’elles demandent aux dirigeants politiques. »
Sur la conférence de Kigali, il est plutôt inquiet. Pourquoi ? « Inquiet de voir que les officiels congolais se précipitent d’y participer, alors que ce forum va certainement faire de l’ombre à DRC Mining Week de Lubumbashi. Inquiet aussi de l’emballement des miniers, et pas de moindre, pour accompagner la vision des dirigeants rwandais. Pour moi, c’est une vraie menace qui se profile pour les minerais dans l’Est du pays. Inquiet enfin car je constate qu’il y a de la distraction plein tube à Kinshasa, alors que Kigali met les bouchées doubles pour booster son économie », nous déclare-t-il.
Distraction, le mot lâché ! « Par où transite toute la production minière de l’Est de la RDC ? Je ne vous le fais pas dire. Je vais qu’on m’explique comment un pays qui n’a pas de ressources minières, peut prétendre développer une activité minière débordante », poursuit ce compatriote. Et d’ajouter : « L’appui tous azimuts des miniers à la démarche du Rwanda peut aussi signifier qu’ils veulent prendre leur revanche sur la RDC, à la suite de la révision du code minier ayant restreint leurs avantages. »
Voir la réalité en face
Le Rwanda cherche donc à se positionner en hub de développement de l’industrie minière dans la région, en offrant aux opérateurs miniers des facilités et solutions toutes faites. « Actuellement, c’est l’Afrique du Sud qui sert de porte d’entrée aux opérateurs miniers en RDC. Ne soyez pas étonnés, si demain les opérateurs miniers passent par le Rwanda », prévient cet expert minier de Toronto.
Alors, la RDC a la capacité de renverser ce momentum dont profitent les Rwandais actuellement, pour se positionner sur le terrain de la géostratégie, de la géo-économie et de la géopolitique des minerais, avec son code minier révisé ? « Nous sommes nombreux ici au Canada, qui est aussi un grand pays minier dans le monde, à penser que les dirigeants congolais actuels doivent avoir le courage d’affronter la réalité en face », fait-il remarquer. Quelle réalité ? « C’est de se décider hic et nunc pour la stratégie de chaînes de valeur concernant tous les produits d’exportation. Sinon, les autres vont le faire à notre place pour nos propres produits. Il nous faut, au pays, un consensus national sur les moyens et les politiques de mise en valeur de nos ressources naturelles. Nous le vivons ici, le rôle de la formation est primordial dans le processus de compétitivité internationale », explique ce compatriote expert minier.
Au Katanga qui constitue le plus grand foyer minier du pays, la réflexion sous forme de grenelle est quasi permanente. On est d’accord que le moment est encore favorable pour l’économie minière de la RDC, malgré le yoyo des cours mondiaux des produits miniers de base et stratégiques comme le cuivre, l’or, le lithium, le cobalt, le coltan… Pour des chercheurs du Katanga, l’exportation des produits miniers à l’état brut ne favorise pas la diversification ou les échanges commerciaux. Le moment est donc venu de transformer les avantages comparatifs en avantages compétitifs.
Aujourd’hui, la RDC est le 1er pays producteur de cobalt en Afrique, dont 90 % pour la province du Lualaba et la province du Haut-Katanga. Elle est la 2è réserve mondiale de cobalt avec 60 %. Mais que fait-on pour capitaliser ce minerai, et d’autres produits: le cuivre, le diamant, l’or, le coton, le coltan (dont le Rwanda s’est doté d’une raffinerie) ?
Minerais stratégiques en RDC, avez-vous dit ? Le boom du cobalt suscite en effet beaucoup de débats, notamment avec la révision du code minier de 2002. Comment cette ressource peut-elle contribuer au développement du pays ? Pour profiter du momentum, les mêmes chercheurs du Katanga pensent qu’il faut une « vraie politique industrielle et de transparence des revenus plus costaud, visible, lisible et cohérente ». Ils estiment aussi qu’il faut aller plus avant dans la réflexion pour mieux saisir les enjeux des minerais stratégiques afin de les mettre au service du développement durable et intégral des populations.
Ils recommandent cinq choses : la stratification des enjeux, l’industrialisation et le développement durable ; l’énergie et la financiarisation du secteur minier ; la modernisation, la formation et la transformation de l’artisanat minier ; la fiscalité ; et la transparence des revenus.