KINSHASA n’a pas besoin de solutions de bricolage en mode urgence. Ce dont la ville a besoin, c’est d’un plan d’urbanisation et d’aménagement, techniquement bien conçu pour résoudre ses problèmes avérés. Ce sont les embouteillages, l’insalubrité, l’insuffisance des transports en commun, les constructions anarchiques, la mauvaise qualité de fourniture d’eau et d’électricité, et l’insécurité. Si rien n’est fait dans quelques années pour donner à la ville-capitale une image moderne, alors, vive les dégâts !
Tous les experts, de tous les domaines, disent qu’il y a urgence. Mais comment s’y prendre ? Il semble que le dernier plan d’aménagement de la ville, alors structuré, qui a été approuvé pour la ville de Kinshasa, remonte à 1967. C’est le Plan Auguste Arsac de la Mission française d’urbanisme. Et depuis, la ville change rapidement, sans une gestion foncière ni un contrôle urbanistique.
La conséquence est que l’environnement urbain est particulièrement dégradé : les érosions déboulent sur les pentes, les inondations dans les zones en aval sont importantes et dramatiques, les systèmes de collecte des ordures ménagères et d’épuration des eaux usées laissent à désirer, les nuisances sonores sont la cerise sur le gâteau… Bref, Kinshasa est une ville déjà morte sur le plan urbanistique. Robert Luzolana, ancien ministre provincial de Kinshasa en charge de l’Aménagement dans le cabinet d’André Kimbuta Yango, Gouv’ de la ville pendant plus de dix ans, alertait : « Dans dix ans, si rien n’est fait, Kinshasa va disparaître ! » Pour lui, « c’est un problème crucial qui demande d’agir vite ».
Kinshasa de demain
En 2013, l’Agence française de développement (AFD) avait proposé à l’exécutif urbain de financer une étude pour « définir les grandes orientations stratégiques pour encadrer l’aménagement de la ville à l’horizon 2030 ». L’étude diagnostique a abouti à l’élaboration en 2014 du Schéma d’orientation stratégique de l’agglomération kinoise (SOSAK). Ce schéma a l’avantage d’identifier les zones d’extension de la ville, les zones à fonctions particulières, les zones inconstructibles, ainsi que la localisation des grands équipements, infrastructures et investissements nécessaires à l’accompagnement de ces développements. Ce travail n’a jamais été suivi d’application. Au contraire, l’étude est rangée dans le tiroir à l’Hôtel de ville de Kinshasa.
Pire, l’administration Kimbuta (2007-2018) a préféré recruter un cabinet singapourien pour dessiner Kinshasa de demain. Selon les experts de la Banque mondiale, la capitale de la République démocratique du Congo qui compte déjà plus de 10 millions d’habitants, sera dans les prochaines années la plus grande ville d’Afrique. On pense que Kinshasa comptera près de 30 millions d’habitants en 2050. Le cabinet singapourien dont le nom n’a jamais été dévoilé, a été sollicité pour « faire le Plan général d’aménagement de la capitale », et sur lequel on grefferait tous les autres plans.
Bien avant l’étude diagnostique de l’AFD, quelques travaux d’agrandissement de la chaussée ont été réalisés sur le boulevard du 30 Juin, les Champs Elysées kinois, dans le centre-ville, et sur le boulevard Lumumba qui mène à l’aéroport de Ndjili. Mais aussi sur la route des poids lourds, sur l’avenue du 24 novembre, sur By Pass, sur le Triomphal, etc. Ces travaux se poursuivent d’ailleurs dans le cadre du Programme des 100 jours du chef de l’État (Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo), notamment avec la construction des sauts-de-mouton.
Cependant, les voies restent insuffisantes pour décongestionner la capitale. Kin-la-belle, devenue Kin-la-poubelle, est aujourd’hui, au propre comme au figuré, une ville folle qui tend les nerfs. Tu te réveilles le matin, et aussitôt commence le casse-tête. Sur les questions de circulation urbaine, l’étude de l’AFD recommande une extension urbaine de 300 km2 à l’Est, des voiries de plus de 600 km, la réhabilitation du train urbain, un service de bus hyper-moderne, etc. C’est connu, Kinshasa connaît une urbanisation de la pauvreté, pour reprendre l’expression du professeur Corneille Kanene. Qui souligne : « Il y a une croissance urbaine très forte, mais qui ne correspond pas aux critères habituels. » Bref, Kinshasa a plusieurs réalités urbaines.
Besoin d’infrastructures
Et donc, il va se poser avec acuité, à l’horizon 2030, la question de la disponibilité des logements décents (les besoins en logement étaient estimés à 3 millions de logements par année pour l’ensemble du pays entre 2001 et 2015). Laquelle a déjà engendré d’autres problèmes dont le développement incontrôlé des bidonvilles, l’occupation anarchique des terrains, la construction en dehors des normes du BTP… À cela s’ajoutent la gestion des déchets et la destruction du milieu physique par les érosions. L’urbanisation sauvage, caractérisée par l’occupation des terrains non viabilisés et des sites à risque, ainsi que les problèmes fonciers récurrents, pourrissent le cadre de vie. Le programme gouvernemental de 2012 parle de « doter le pays d’un Plan d’aménagement général du territoire et des plans particuliers des provinces et des grandes villes; réaliser une étude de faisabilité en vue de la création d’une banque de l’habitat et finaliser la loi sur le crédit-bail ».
Le colonisateur belge avait aménagé les villes et les territoires du pays en fonction de ses besoins d’exploitation des ressources de la colonie. La tendance architecturale de l’époque était plutôt à des constructions pavillonnaires et à la mobilité par la voiture. Des experts de la ville pensent qu’il faut inverser la tendance en privilégiant la concentration et le déplacement par des moyens de masse (bus, train, ferry…).
D’après eux, la concentration et l’urbanisation déclenchent la prospérité, dans les zones aussi bien urbaines que rurales. Une ville qui fonctionne bien, soutiennent-ils, favorise le commerce, la transformation de la production rurale et les activités non agricoles. Kinshasa a besoin d’infrastructures, d’institutions fortes et de systèmes des services de base. Bien souvent, c’est le cas en RDC, les dirigeants politiques ont du mal à faire le choix sur les stratégies de croissance dans les programmes de développement et sur les allocations d’investissement.
Les villes existent grâce aux avantages économiques et sociaux de la proximité, disent les experts de la ville. Elles existent aussi grâce à la qualité des réseaux de transports et d’alimentation en eau et électricité, ainsi qu’à la grande couverture des technologies de l’information et de la communication (TIC). Les enjeux de l’aménagement du territoire et de la planification urbaine ne sont donc pas les moindres.
Les experts de la ville estiment qu’à cause de la pauvreté grandissante et l’absence d’une politique efficace de gestion du foncier et de l’urbanisme, il faudra une gouvernance solide pour rétablir l’équilibre des écosystèmes urbains, améliorer l’accès au logement décent, assurer l’accès permanent à l’eau potable et à l’électricité, aux systèmes élémentaires d’assainissement et de drainage, ainsi que pour développer les transports en commun autour d’un axe structurant afin de désengorger le centre-ville.