BTP : la défaillance de l’État

Le BTP en RDC est un secteur d’avenir, pourvu que les pouvoirs publics y mettent de l’ordre. Cela doit commencer par la revisitation de la réglementation en vigueur et l’abandon de certaines pratiques.

QUAND le BTP va, c’est que l’économie marche, dit un adage français. C’est en rappelant cela que Michel Uyumbu Soko Longe, le président du conseil d’administration de la Corporation nationale des ingénieurs BTP (CNirs BTP), croit fermement que le BTP est un secteur d’avenir dans notre pays. « Mais, c’est un secteur qui doit être repensé pour que les choses soient remises en ordre », pose-t-il. 

En effet, déclare-t-il, 59 ans après l’indépendance, la RDC ne dispose pas de normes spécifiques dans ce secteur. « Ce n’est pas normal ! Nous, les professionnels en avons grandement besoin. Les normes qui existent sont devenues désuètes parce que nous ne savons plus les utiliser. Il appartient donc à l’État de jeter un regard sur un secteur aussi vital qu’est le BTP, en y mettant de l’ordre. Quant à nous, Corporation nationale des ingénieurs BTP, sommes disposés à apporter notre contribution », nous confie-t-il.

Est-ce que la situation chaotique dans le BTP, particulièrement à Kinshasa, est la conséquence de la défaillance de l’État. « Bien sûr que oui ! Rien qu’au niveau de la réglementation. Aujourd’hui, on parle d’un nouveau code foncier qui a beaucoup d’effets, et nous allons peut-être y apporter notre contribution. On parle aussi du code de l’urbanisme et de l’habitat, tous vont être promulgués bientôt, nous l’espérons. Cependant, nous insistons sur un fait : faire en sorte que le changement de destination de terrain soit scrupuleusement interdit dans notre pays », souligne Michel Uyumbu.

Responsabilité partagée ?

D’un côté, si l’État se montre défaillant ; de l’autre, les professionnels du BTP ont également leur part de responsabilité. C’est pourquoi, les ingénieurs ont eu l’idée ingénieuse de se constituer en corporation. Michel Uyumbu explique : « Au départ, la préoccupation a été de savoir comment les bénéficiaires de nos services professionnels nous jugeaient. 

Ensuite, le diagnostic que nous avons fait, a montré que beaucoup d’entre nous n’avaient pas un comportement digne. C’est pourquoi, nous avons jugé utile de nous regrouper en corporation pour édicter un code d’éthique. » 

Justement, sans éthique, les services rendus aux bénéficiaires ne peuvent être de qualité. Ce sera la seconde partie de cet entretien que nous publierons prochainement. « Pour éviter justement que les ingénieurs BTP se comportent n’importe comment, nous avons donc créé cette corporation dans le but d’assurer la protection du public bénéficiaire de nos services professionnels, en observant une certaine ligne de conduite que nous avons appelée la Charte de l’ingénieur BTP », fait remarquer le président du conseil d’administration de la CNIrs BTP.

D’après lui, la Charte de l’ingénieur BTP est un « document qui définit les valeurs de la profession à respecter et l’éthique qui va guider toutes nos actions », en tant qu’ingénieurs. 

Alors, comment savoir que cette charte est observée par tous ? « Pour nous assurer que chaque membre pose correctement ses actes, nous avons créé une commission d’inspection professionnelle, c’est-à-dire des pairs qui vont vers leurs collègues pour voir comment ils travaillent et les encourager à respecter l’éthique professionnelle, répond Michel Uyumbu.

À ceux qui ne sont pas encore membres de la CNIrs BTP, c’est-à-dire les jeunes ingénieurs fraîchement émoulus et les étudiants encore en formation, la corporation leur propose un encadrement professionnel. « On ne peut pas a priori dire que les jeunes posent des actes indignes d’un ingénieur, si on ne les encadre pas. 

Donc, d’un côté, nous encadrons les plus jeunes, et, de l’autre, nous assurons une formation continue aux séniors. Bref, nous veillons scrupuleusement aux actes que nous posons en tant que professionnels. C’est pourquoi, nous avons décidé d’adhérer ensemble à cette charte pour bien coordonner nos activités », souligne Michel Uyumbu. 

Qui fait savoir que ce souci de se comporter dignement dans l’exercice de la profession de l’ingénieur BTP dicte également la relation à la filière formation. « Avec l’Institut national du bâtiment et des travaux publics (INBTP) qui est notre Alma Mater, nous sommes constamment en contact avec les autorités académiques. Surtout que maintenant, cette institution universitaire est en train de migrer vers le système LMD. En tant que professionnels, nous avons apporté notre contribution pour que cette transition se passe sans heurts », note-t-il. 

Et d’ajouter : « Nous avons mené pour le compte de l’institut une double enquête au niveau de nos membres mais aussi auprès de ceux qui ne le sont pas. Le travail a consisté, d’une part, en une enquête d’autosatisfaction des anciens diplômés de l’école pour savoir comment ils évaluent leur formation, quelles sont les difficultés qu’ils rencontrent sur le terrain, quelles sont leurs suggestions pour améliorer la formation ». 

Et, d’autre part, du côté des utilisateurs de produits, le travail a consisté en une enquête de satisfaction pour savoir comment ils évaluent les produits utilisés qui sont les diplômés de l’institut, quelles sont leurs suggestions pour améliorer la qualité de la formation. Pour cela, la CNIrs BTP a consulté une centaine d’entreprises, publiques et privées, mais aussi des agences de financement des projets. « Toutes les suggestions recueillies ont été transmises aux autorités académiques de l’INBTP », fait savoir Michel Uyumbu. 

Kinshasa est à détruire ?

Lorsqu’on lui demande de donner son avis sur Kinshasa, devenue une vieille ville pour certains, donc une ville à raser complètement pour rebâtir une nouvelle, il reste un moment dubitatif. « Ça me paraît très délicat, s’il faut raser toute une ville de 12 millions d’habitants, et qu’il faut réinstaller et faire le relogement », réagit-il. « D’ailleurs, poursuit-il, on n’a pas les moyens de le faire. Ce qu’il faut faire, à mon avis, c’est d’arrêter d’abord l’hémorragie comme le ferait un bon médecin dès qu’il y a un accident ». 

Stopper l’hémorragie, à son sens, « c’est prendre des mesures draconiennes pour que certains phénomènes, certaines habitudes qui ont élu domicile chez nous puissent être éradiqués ». Comme la plupart des experts en aménagement de la ville le préconisent aux autorités du pays et de la ville de Kinshasa de développer l’Est de Kinshasa, Michel Uyumbu pense qu’on pourrait développer dans cette partie, ne serait-ce qu’une ville administrative. « Où  seront déplacés le Parlement, les ministères et tous les services publics. 

Cette ville construite vers l’extrémité de la capitale sera véritablement une nouvelle ville et le miroir de Kinshasa. Je pense que cela va résoudre un problème, car de l’aéroport, on s’y rendra directement, sans difficulté, et cela a l’avantage de désengorger la commune de la Gombe qui est en train d’être saturée pour rien », explique cet expert.