BTP à Kin, le chaos

Côté bâtiment, l’heure est au boom immobilier, avec le développement des constructions pour habitation. Côté travaux publics, sans vision ni projet urbanistique, la capitale est devenu un immense et indescriptible capharnaüm. Et il n’y a que l’ingénieur pour donner du sens à ce chaos.

LES VILLES ne sont jamais construites ni aménagées n’importe où et n’importe comment. C’est de la compétence technique des ingénieurs en bâtiment et travaux publics (BTP). C’est dire que l’ingénierie est une activité rigoureuse de conceptualisation et de réalisation d’ouvrages d’art fonctionnel et de construction d’ensembles structuraux. C’est une activité qui allie règles de l’art et rigueur scientifique, de la conception et des études à la responsabilité de la construction et au contrôle des équipements.

Au Moyen-Âge, l’ingénieur était le conseiller, et pas n’importe lequel, du roi dont il avait l’écoute. Car il était la personne en charge de la planification des fortifications, de l’agencement des terrains et des communications durant les guerres. C’était aussi le constructeur d’engins militaires. Si ailleurs, les pouvoirs publics recourent constamment à la compétence technique des ingénieurs pour leurs politiques de développement des agglomérations, cela ne semble pas, malheureusement, être souvent le cas dans notre pays. Bien souvent, dans le secteur du BTP, tout ou presque se fait, outre l’avis technique des experts. Parfois, ils ne sont même pas consultés ni associés aux projets des pouvoirs publics. 

Le tour d’horizon du secteur

Michel Uyumbu Soko Longe est le président du conseil d’administration de la Corporation nationale des ingénieurs en BTP (CNIrs BTP). Cette corporation existe depuis trois ans déjà, mais elle acquiert de l’envergure au point d’être considérée aujourd’hui comme un interlocuteur valable des pouvoirs publics. « Il faut dire qu’il y a eu d’autres associations d’ingénieurs BTP avant nous. Malgré notre jeune âge, l’État tient quand même compte de nous. Pour preuve, nous avons été associés à deux reprises par le ministère des Infrastructures, des Travaux publics et de la Reconstruction à des projets de grande importance », souligne Michel Uyumbu. 

Lesquels ? « Nous avons été consultés et nous avons apporté notre expertise au projet d’élaboration des Manuels de réparation et de maintenance des chaussées à revêtement bituminé dans la ville de Kinshasa. Ce projet a été financé par la Coopération japonaise (JICA). Récemment, nous avons été aussi consultés, comme organisation professionnelle, dans le cadre du projet d’élaboration du Plan directeur de la ville de Kinshasa (PDDK) financé également par les Japonais », explique-t-il.

C’est à la faveur d’une visite à nos rédactions du Complexe Texaf Bilembo que cet ingénieur, entrepreneur avec une expérience éprouvée à l’internationale (expert de l’Organisation Internationale de Normalisation, ISO, expert de l’Organisation Africaine de Normalisation, ARSO, et membre de l’Association pour la Promotion de la Métrologie et de la Normalisation au Congo, APROMEM), a daigné nous accorder un entretien à bâtons rompus que nous publierons en deux parties. 

D’entrée de jeu, comme s’il venait de recevoir un direct à l’estomac, à la question de savoir quelle réflexion préliminaire fait-il du secteur du BTP en RDC, il répond sans faux-fuyants : « Le secteur du BTP va malheureusement très mal et à tous les niveaux dans notre pays. » 

Puis, il déroule : « Premièrement, nous avons une pauvreté incroyable d’infrastructures dans ce secteur. Pour le bâtiment, nous avons un déficit de logements évalué à des milliers d’unités. Les dernières statistiques évaluent ce déficit à plus de 600 000 unités. Cela veut dire que les Congolais n’habitent pas dans les logements décents. Et nous savons tous dans quel état se trouvent les bâtiments publics dans le pays, et plus particulièrement à Kinshasa. Regardez les bureaux de l’État, les ministères, les bureaux des territoires, etc. Bref, nous avons un problème sérieux dans ce secteur. »

Puis, de poursuivre : « Pour les travaux publics qui sont un domaine vaste, regardons nos voies de communication, et duel est le bilan que nous en faisons ? Le savez-vous qu’à Kinshasa, une ville de plus de 12 millions d’habitants, il y a moins de 600 km de route ? Il y a une pauvreté urbaine incroyable en matière de routes dans le pays. » Michel Uyumbu multiplie les exemples pour décrire le chaos urbain en matière de BTP : « En ce qui concerne les infrastructures de production d’énergie électrique, par exemple, la ville de Kinshasa a un déficit de presque la moitié des besoins estimés au-delà de 1 000 MW. Et dire que cette couverture de la SNEL n’est pas permanente. » 

Il y a beaucoup de challenges

Tout est donc pénurie en RDC, avions-nous écrit dans l’une de nos éditions. « Nous avons un déficit tellement criant que nos besoins ne sont pas satisfaits régulièrement. Qu’il s’agisse de l’électricité ou de l’eau. Bref, nous sommes dans un pays où le secteur du BTP va très mal », déplore Michel Uyumbu. Qui enfonce le clou : « La réglementation au pays dans le secteur du BTP est désuète. Aujourd’hui, je peux me présenter où je veux, construire ce que je veux, et n’importe comment. Bref, il y a beaucoup de problèmes dans ce secteur. » Autrement dit, il y a beaucoup de défis à relever, notamment dans le domaine de l’aménagement urbain. « Généralement, une ville se développe autour d’un schéma directeur d’aménagement. Kinshasa a connu quelques schémas directeurs d’aménagement, et aujourd’hui, on parle du Schéma d’orientation stratégique pour l’agglomération de Kinshasa (SOSAK). Quand bien même nous avons émis beaucoup de réserves sur ce document, il est encore dans les tiroirs. Malheureusement ! », dénonce-t-il.

Le président du conseil d’administration de la CNIrs BTP ne trouve pas d’autres mots pour dire que « nous sommes dans une situation chaotique dans le secteur du BTP ». Aujourd’hui, épingle-t-il, dès qu’il y a une pluie à Kinshasa, « nous avons des érosions par ci par là ». Or, « les érosions sont la conséquence d’une mauvaise gestion d’affectation des sols ». 

Michel Uyumbu s’est dit sidéré de voir que les actions de lutte antiérosive soient médiatisées : « Moi, je ne me ferai pas filmer, car c’est comme quelqu’un qui va enterrer les gens qui sont morts de faim, alors qu’il aurait dû leur donner à manger. »

Ce qu’il faut, une bonne gestion du foncier, nous dit-il : « Nous aurons alors stoppé ce phénomène d’érosions. On n’y fait peut-être pas attention, nous avons aujourd’hui des villes qui sont en train d’être totalement détruites. La gratuité de l’enseignement de base, c’est une très bonne chose. Mais regardons dans quel état se trouvent les écoles publiques. Nous sommes en train de perdre les espaces réservés aux écoles au profit des affaires. » 

En effet, les espaces, jadis acquis pour une vocation sociale, sont de plus en plus détournés de leur vocation première, transformés en espaces commerciaux. Pire, l’État ne dit rien : « Nous savons comment le foncier a été géré pendant l’époque coloniale. Toutes les grandes écoles que nous voyons dans la ville de Kinshasa ont bénéficié de la convention qui accordait gratuitement des terrains pour développer des infrastructures à vocation sociale. Est-ce que ceux qui ont bénéficié de ces terrains ont-ils le droit de basculer du social vers le commercial ? »