AU COURS de la prochaine décennie, l’Afrique devrait jouer un rôle de plus en plus important à l’échelle mondiale. Ce sont les spécialistes qui le soulignent. D’ici à 2050, la population du continent devrait doubler pour atteindre deux milliards d’habitants, ce qui représentera alors un quart de la population mondiale. En outre, six des dix économies avec les taux de croissance les plus élevés du monde se trouvent en Afrique, un continent riche en possibilités d’investissement.
Tous ces arguments et bien d’autres encore font que l’Afrique est très courtisée ce dernier temps par les puissances (Chine, Japon, Inde, Russie, États-Unis, etc.) sur le plan économique. Les sommets se suivent et se ressemblent presque. Mais que peut-on attendre du Sommet Royaume-Uni-Afrique sur l’investissement ? Répondre à cette question, c’est passer en quelque sorte en revue la coopération économique du Royaume-Uni avec l’Afrique.
Ce sommet a lieu à un tournant historique. Le Royaume-Uni se prépare à quitter l’Union européenne (UE) le 31 janvier, et donc à l’après-Brexit. On pense que les Britanniques cherchent à élargir leur partenariat avec l’Afrique dans un esprit gagnant-gagnant. C’est dans cette perspective que ce sommet consacré aux investissements en Afrique réunit une vingtaine de pays africains représentés par les chefs d’État et de gouvernement, des chefs d’entreprises privées et des représentants des institutions internationales. Il vise à mettre les Africains face aux investisseurs britanniques, en leur permettant de conclure des accords d’investissement.
En clair, les Britanniques, toutes griffes dehors, veulent être le partenaire de choix pour l’Afrique et l’investisseur ayant le plus grand impact en termes de création d’emplois de qualité, de croissance et de développement économique durable. Le potentiel économique de l’Afrique est important pour le Royaume-Uni. Un diplomate britannique en poste à Kinshasa a fait savoir que le sommet va créer des partenariats générateurs d’exportations, d’emplois et de croissance économique, en mettant l’accent sur les femmes et les jeunes.
Grosso modo, Londres a une offre à faire en termes d’accès au financement, de recherche, de développement, de technologie et de bonne gouvernance. À ce sommet, les Africains vont s’entendre dire qu’ils doivent poursuivre les réformes, améliorer le climat des affaires, lutter contre la corruption… pour encourager les investissements directs étrangers dans leurs pays.
L’après-Brexit
Selon le même diplomate britannique, son pays réfléchit à la diversification de ses investissements dans le monde, notamment sur le continent africain. Avec le Brexit, la Commonwealth Development Corporation (CDC), institution financière de développement, s’attend à un fléchissement de l’économie britannique. Créé en 1948, cet organisme finance le secteur privé en Afrique et en Asie, deux régions qui, à elles seules, concentreraient 70 % des populations les plus pauvres du monde.
La CDC a adopté une nouvelle stratégie : se tourner également vers les États qui n’appartiennent pas à la sphère d’influence traditionnelle du Royaume-Uni, ex-puissance coloniale. Il s’agit, entre autres, d’augmenter les investissements britanniques dans l’espace francophone. La CDC est présente en Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en Mauritanie et au Burkina Faso. En Côte d’Ivoire, par exemple, elle a investi dans une centaine d’entreprises, dont des groupes hôteliers et des institutions financières.
Les pays francophones africains captent autour de 20 % les investissements de la CDC, qui compte accroître significativement cette part. Jusqu’à l’année dernière, cette institution investit chaque année environ 1,6 milliard de dollars en Afrique et en Asie. Le budget de la CDC a été quadruplé, passant de près de 2 milliards d’euros à quasiment 7 milliards. Pour les 5 prochaines années, elle prévoit mettre entre 800 millions et 1 milliard de dollars annuellement dans des projets en Afrique. En clair, il est question d’investir autour de 5 milliards de dollars en Afrique au cours de cette période.
Les Britanniques effectuent actuellement des visites d’exploration partout en Afrique. Ils s’entretiennent avec des hauts responsables politiques, des représentants du monde des affaires et des chefs d’entreprise. Partout, le message est le même : « Nous avons beaucoup plus de fonds à investir. Nous voulons explorer de nouvelles opportunités. » Est-ce que la République démocratique du Congo est à même de capter ces fonds ? La CDC a déjà mis ses billes dans Plantations Lever au Congo (PLC), filiale du géant international de l’industrie agroalimentaire et cosmétique, connue autrefois sous le nom d’Unilever.
Les fonds de la CDC, explique-t-on, vont souvent à des pays ayant un taux de chômage élevé (notamment parmi les jeunes diplômés) et où le secteur privé nécessite d’être revitalisé. L’organisme britannique privilégie des secteurs à croissance rapide et générateurs d’emplois directs ou indirects : l’industrie manufacturière, l’agrobusiness, les services financiers, les infrastructures de base, le bâtiment, la santé et l’éducation.
Coopération bilatérale
En participant à ce sommet, Félix-Antoine Tshisekedi, le président de la République, embrayera sur la relance des relations économiques entre la RDC et le Royaume-Uni ainsi que sur les opportunités d’affaires dans les secteurs des mines, de l’agriculture, des finances… Londres entreprend aussi d’agir sur le terrain des négociations commerciales et s’inscrire solidement en tant que partenaire du continent.
La Grande-Bretagne a bien l’intention de « dynamiser » la coopération bilatérale et le commerce avec les pays africains après le Brexit. Les Britanniques apaisent les esprits en déclarant que le Brexit ne causera pas des perturbations mais fournira à la Grande-Bretagne l’occasion d’élaborer une politique commerciale indépendante.
Six pays d’Afrique australe (Afrique du Sud, Botswana, Namibie, Eswatini, Lesotho et Mozambique) ont déjà signé un accord commercial de libre-échange autonome avec le Royaume-Uni. Dénommé SACU + M, l’accord permettra aux entreprises de continuer à commercer à des conditions préférentielles après le Brexit. Tous ces pays sont membres du Commonwealth et leurs échanges avec le Royaume-Uni s’élevaient à 9,7 milliards de livres sterling en 2018.
Pour les dirigeants britanniques, il y a un engagement clair à accroître les échanges avec les pays en développement et à stimuler les économies de l’Afrique. Londres veut encourager les banques multilatérales de développement à prêter davantage dans la monnaie locale de l’emprunteur, explique Alok Sharma, le secrétaire d’État britannique au Développement international et organisateur du sommet UK-Afrique. Placé sous les thèmes principaux : « De nouvelles perspectives pour les échanges commerciaux bilatéraux et l’intérêt grandissant des investisseurs britanniques pour l’Afrique ».
Akinwumi Adesina, le président de la Banque africaine de développement (BAD), participe à ce sommet, dont le but est de bâtir de nouveaux partenariats pour la prospérité. Il animera une réunion-débat en séance plénière ayant pour thème : « Les finances et les infrastructures durables – Exploiter le potentiel des services financiers de la City de Londres et du Royaume-Uni pour promouvoir la croissance en Afrique ». Les débats porteront sur l’amélioration de l’accès aux moyens d’investissement en Afrique et sur la recherche d’opportunités existantes et inexploitées.
Le président de la BAD va préciser ses engagements dans le cadre d’un dialogue stratégique avec le Royaume-Uni. Ce dialogue avec le Département du développement international (DFID) sera axé sur la stimulation de la transformation économique en Afrique dans les domaines des infrastructures, de l’égalité des sexes, du secteur privé et de l’emploi. Le changement climatique, l’accès à l’énergie, la lutte contre la précarité et l’application des principes de bonne gouvernance seront également abordés.
En 2018, la valeur des échanges commerciaux entre l’Afrique et le Royaume-Uni s’élevait à plus de 33 milliards de livres sterling. Près de 2 000 entreprises britanniques sont actuellement établies en Afrique. Les exportations de l’Afrique vers le Royaume-Uni se sont élevées à 17 milliards de livres sterling en 2016, en légère augmentation par rapport aux 16,7 milliards de dollars de 2015. Parmi les principaux pays exportateurs africains vers le Royaume-Uni figuraient, en 2016, l’Afrique du Sud, qui représente à elle seule 58 % du total des exportations, suivie du Nigeria (7 %), de l’Algérie, du Maroc et de l’Égypte, avec 5 % chacun.
En marge du sommet, il est prévu un forum sur les infrastructures durables le mardi 21 janvier. Cette réunion qui est co-organisée par la Royal African Society et l’Université Oxford Brooks, verra la participation des parlementaires, universitaires et décideurs du Royaume-Uni.