C’EST devenu coutume qu’au début de l’année, l’Association congolaise des banques (ACB) organise un dîner en guise de présentation des vœux. Le 8 février 2019, on s’en souvient, l’ACB faisait part de ses craintes par l’entremise de son président Yves Cuypers, le directeur du comité de direction de la Banque Commerciale Du Congo (BCDC). L’ACB voyait-elle déjà venir le danger, en pointant du doigt trois grands défis à relever au cours de l’année dernière ?
Le vendredi 31 janvier dernier, l’Association congolaise des banques a réuni les opérateurs dans le secteur financier, les autorités du pays, les clients de banques, etc. pour son traditionnel dîner annuel au restaurant Gourmand du Cercle sportif de Kinshasa (CSK) à Gombe. Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, le gouverneur de la Banque centrale du Congo (BCC), était présent, comme d’habitude. José Sele Yalaghuli, le ministre des Finances, sans doute empêché pour raison d’État, à savoir la réunion hebdomadaire du conseil des ministres, était représenté par Vincent Ngonga Zinga, son directeur de cabinet.
Naturellement, avec la même verve oratoire qu’on lui reconnaît, Yves Cuypers a présenté les vœux de l’ACB. Les vœux « les plus chaleureux » pour l’année 2020 à l’ensemble des acteurs du secteur bancaire de la RDC. Le président de l’ACB a souhaité que cette année nouvelle soit vraiment empreinte de succès, de générosité, de développement. Et au-delà de tout (et c’est peut-être là, le thème même ou le défi majeur de cette année), le renforcement du secteur bancaire national. Pour Yves Cuypers, « le pays en a tant besoin ».
Le bilan du travail
En effet, l’année 2019 a été caractérisée par la mise en œuvre des réformes initiées par la BCC, l’autorité de régulation et de contrôle du système financier national, afin de renforcer la surveillance des risques sur le secteur bancaire. Mais l’ACB constate que des incertitudes demeurent encore, notamment en ce qui concerne le relèvement du capital minimum de départ de 30 millions de dollars à 50 millions en 2020, la mise à jour et l’application des nouvelles instructions en matière de gouvernance et de contrôle interne, l’application des nouvelles instructions sur la protection des consommateurs, la poursuite et la modernisation du système national de paiement, et l’émission des bons du Trésor sur le marché des titres publics.
À l’heure du bilan, l’ACB note que l’exercice 2019 est « le meilleur cru » depuis plus de 25 ans ». Il y a eu progression « explosive » par rapport à 2018, a indiqué Yves Cuypers laissant au gouverneur de la Banque centrale le soin de communiquer sur les résultats réalisés par le secteur bancaire national en 2019. La reprise de l’activité est progressive depuis 2018, a fait constater Deogratias Mutombo. En ce qui concerne les paramètres clés du système bancaire, les évolutions ont été « confortables » en 2019 par rapport à 2018. Soit une moyenne de 25 % de croissance.
Le total bilan des banques a atteint 8,5 milliards de dollars à fin décembre 2019, presque 29 % de croissance par rapport à l’année 2018. Le total dépôt, lui, se situe à 6,1 milliards de dollars, soit 26 % de croissance, tandis que le total crédit a atteint 4,4 milliards de dollars venant de 2,6 milliards de dollars, soit environ 28 % de croissance par rapport de 2018. On retiendra utilement que par rapport à la profitabilité, le résultat net d’exploitation est de 94,5 millions de dollars, contre 76,6 millions en 2018. Qu’au niveau de la profitabilité, le secteur a enregistré 11,9 %, contre en 7,6 % en 2018. Pour ce qui est de la solvabilité globale, les résultats font état de 14.1, contre le seuil minimum de 10. Ce sont, du reste, des chiffres qui sont encore « provisoires », a indiqué le gouverneur de la Banque centrale.
Globalement, a fait remarquer Yves Cuypers, le secteur bancaire a été significativement « rentable » en 2019, parce que les dépôts ont crû de façon significative. Cela représente, a-t-il dit, une contribution au compte des résultats, dans un environnement qui souffre sur le plan économique et sur le plan budgétaire des résultats. Aujourd’hui, a laissé entendre Yves Cuypers, le secteur bancaire est l’un des moteurs de la croissance économique dans notre pays, mais aussi de l’investissement, de la lutte contre la pauvreté et de la lutte contre le blanchiment des capitaux dont on sait combien il peut appauvrir le pays. « Nous sommes dans ce paysage une des clefs de voûte de développement humain de la République démocratique du Congo et nous devons en être fiers », a-t-il déclaré à ce propos.
Et de poursuivre en direction des banques : « Je vous encourage à prendre des mesures ad hoc pour renforcer notre crédibilité et notre notoriété. Il y va de la protection de notre système tout entier, que ce soit le système financier, que ce soit l’économie même du pays. » En effet, l’extérieur nous regarde. Pour rappel, la BCC s’inquiétait déjà du « resserrement » des correspondants bancaires à l’international pour les établissements bancaires du pays. C’est que la situation est préoccupante pour l’ensemble du système financier national. La relation financière a été l’un des trois défis majeurs de 2019. Plus qu’un défi, à lui tout seul, c’est un vaste chantier. C’est probablement le défi le plus difficile à relever, même si en apparence il paraît simple.
Gouvernance et transparence, c’est là la clé pour entretenir une bonne relation financière avec les banques correspondantes, particulièrement celles qui opèrent en dollar américain. D’après Yves Cuypers, la relation financière est le « véritable poumon financier » du pays. Pour relever ce grand défi, les banques commerciales ont besoin de soutien venant de la Banque centrale et du gouvernement.
On sait tous que des banques internationales ont décidé de ne pas ou plus correspondre, c’est-à-dire avoir une relation financière, avec les institutions financières congolaises. La raison invoquée : elles ne présentent pas un « dispositif adéquat » de surveillance des risques, liés notamment à la circulation de l’argent sale. Ou tout simplement, par prudence, parce qu’elles veulent éviter d’être liées à quelque niveau que soit au phénomène de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme ainsi que d’être mêlées aux personnes ou pays frappés par les sanctions internationales, notamment américaines et européennes.
D’où il faut « une grande transparence », recommande Yves Cuypers. Comment ? « Les banques doivent communiquer de manière crédible. Nous devons être transparents sur la construction de nos résultats, sur notre stratégie, et sur notre situation financière ». Autre préoccupation : l’harmonisation des comptes et l’uniformisation des publications. L’autorité de régulation est interpellée.
La prudence est de mise
Malgré les performances, le taux de réemploi est de 55 %. « Ce n’est pas fameux », a dit le gouverneur de la Banque centrale. Qui invite les banques à la prudence concernant la qualité du portefeuille crédit : « Nous devons être regardants sur l’évolution de la qualité du portefeuille crédit parce qu’il faut renforcer le dispositif de risques de crédit. Il faut éviter qu’en période difficile la situation s’aggrave. Nous devons faire en sorte qu’il y ait moins de créances improductives. »
Le message est donc clair : les banques congolaises doivent fournir des efforts pour améliorer leurs statistiques, et consolider l’évolution enregistrée en 2019. « C’est pourquoi, nous devons poursuivre les réformes que nous avons engagées depuis quelques années pour consolider cette reprise de l’activité.
C’est important d’avoir un système bancaire résilient, capable d’absorber le choc, un système qui consolide sa stabilité financière, poursuit son développement pour le bien de notre économie », a conclu Deogratias Mutombo.