Une partie de l’appui financier de la Banque mondiale atterrit dans les paradis fiscaux

Des experts de cette institution financière internationale sont formels : 5 % des milliards de dollars d’aide accordés par l’institution de Bretton Woods contribuent à alimenter ces niches financières.

LE RAPPORT intitulé « Elite Capture Foreign Aid » montre comment l’aide financière de la Banque mondiale en faveur de 22 pays atterrit dans des banques étrangères, reconnues comme des paradis fiscaux. En analysant plusieurs transactions financières entre 1990 et 2010, les auteurs du rapport ont constaté qu’au cours d’un trimestre où un pays recevait une aide équivalente à 1 % du PIB, ses dépôts dans les paradis fiscaux augmentaient de 3,4 % par rapport à un pays ne recevant aucune aide.

Ainsi, l’octroi de financements de la Banque mondiale en faveur de pays tels que le Burundi ou l’Erythrée correspondait à une hausse des transferts vers des pays comme la Suisse ou Luxembourg. En termes de montant, les dépôts moyens dans les paradis fiscaux vont de 4 millions de dollars pour Sao Tomé-et-Principe à près de 200 millions de dollars pour Madagascar. En revanche, aucune augmentation des avoirs détenus des pays non considérés comme des paradis fiscaux n’a été observée. 

Ces flux financiers illicites correspondent au total à 5 % de l’aide au développement accordée par la Banque mondiale aux pays concernés. Un taux qui monte jusqu’à 15 % pour les sept pays qui dépendent le plus de l’aide de l’institution financière internationale (Burundi, Guinée-Bissau, Érythrée, Malawi, Sierra Leone, Ouganda, Mozambique).

Manque de suivi

Un mal profond ? Si les révélations du nouveau rapport sont assez gênantes pour la Banque mondiale, il faut noter que ce n’est pas la première fois que l’aide au développement de cette institution fait l’objet de soupçons de détournements où d’utilisation douteuse. En 2015 déjà, un rapport produit par plusieurs ONG dont Oxfam dénonçait le manque de suivi des financements accordés par la Société financière internationale (SFI), branche de la Banque mondiale consacrée au secteur privé. « La douloureuse vérité est que la SFI ne sait pas où finit une grande partie de son argent ni même s’il est utile ou nuisible », avait alors déclaré Nicolas Mombrial, le chef du bureau d’Oxfam International à Washington DC. Selon certains experts, les rédacteurs du nouveau rapport auraient subi des pressions de la Banque mondiale pour « bloquer » sa publication. Si les patrons de l’institution ont démenti ces allégations, il n’empêche qu’il s’agit d’un camouflet pour la Banque mondiale qui s’est faite, ces dernières années, l’un des chantres de la réduction des inégalités et de la pauvreté, principalement en Afrique. Une situation qui intervient en pleine passe d’armes entre l’institution de Bretton Woods et la Banque africaine de développement (BAD) au sujet du rôle de cette dernière dans un risque présumé de surendettement des pays africains.

La liste noire de l’UE

De nouveaux noms viennent de s’ajouter sur la liste noire des paradis fiscaux stigmatisés par l’Union européenne (UE). Les ministres européens des Finances ont intégré le Panama, les Seychelles, les îles Caïmans et Palau. Ils ont en revanche décidé d’accorder un répit à la Turquie, selon un document officiel de l’UE cité par Reuters. Établie en 2017, la liste noire comprend désormais douze entités dont les transactions financières sont soumises à un contrôle accru et qui risquent de perdre l’accès à des fonds européens. Y figuraient déjà les Fidji, le sultanat d’Oman, les Samoa, Trinidad et Tobago, le Vanuatu et trois territoires dépendant des États-Unis (Guam, les îles Vierges américaines et les Samoa américaines). Un choix politique ? La Turquie bénéficie pour sa part d’un an de sursis même si elle n’a pas mis à exécution les transferts automatiques d’informations fiscales avec la totalité des États membres de l’UE. Les Européens ont pris cette décision pour prendre acte de l’adoption par le Parlement turc des modifications législatives nécessaires. Mais d’après deux responsables européens, cette décision relève surtout d’un choix politique visant à ne pas tendre davantage les relations entre le bloc communautaire et Ankara. La France aussi a mis en janvier dernier sa propre liste des paradis fiscaux. Treize territoires et États sont épinglés : Anguilla, les Bahamas, les Fidji, Guam, les Iles Vierges américaines, les Iles Vierges britanniques, Oman, le Panama, les Samoa américaines, les Samoa, les Seychelles, Trinité-et-Tobago et le Vanuatu.