POUR ceux qui ne le savent peut-être pas, Judith Suminwa Tuluka est une experte onusienne au sein du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Depuis 2015, elle exerce à la représentation de la République démocratique du Congo comme coordonnatrice pour le pilier consolidation de la paix et de la démocratie. D’aucuns ne voient pas vraiment un lien direct de sa désignation avec la veille stratégique au cabinet du chef de l’État, conçue comme une aide à la prise de décision stratégique grâce à une analyse des évolutions tendancielles et de leur environnement. La veille stratégique est donc de nature itérative et prospective afin d’anticiper les changements dans l’environnement de l’organisation et d’éviter des événements indésirables. D’après eux, Judith Suminwa Tuluka serait le choix du PNUD, tout simplement. Mais pourquoi ?
Pour rappel, le PNUD/RDC a manifesté son intérêt d’accompagner Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo à concrétiser les engagements de son quinquennat.
C’est pourquoi, un protocole d’accord portant sur l’appui du PNUD/RDC (représenté par Dominic Sam) au cabinet du chef de l’État (représenté par Vital Kamerhe Lwa Kanyiginyi Nkingi) a été signé en date du 31 octobre 2019. Cet accord consiste en la création de la Cellule présidentielle de veille stratégique. Cependant, le président de la République a créé en lieu et place le Conseil présidentiel de veille stratégique. « Pourquoi ce changement dans la dénomination de la structure ? Est-ce qu’il a voulu lui donner un autre contenu que celui du PNUD ? », se demandent des observateurs.
La mouture du PNUD
Le document du PNUD de mise en œuvre du Projet d’appui à la Cellule présidentielle de veille stratégique prévoit son démarrage en octobre 2019 et son achèvement en septembre 2023. L’objectif principal est de « soutenir la stratégie de développement et le programme des réformes de nouvelles autorités congolaises, ainsi qu’appuyer la mise en place et l’opérationnalisation de la Cellule présidentielle de veille stratégique à travers la mobilisation d’une expertise technique et d’autres ressources nécessaires permettant au Président de la République et à son cabinet de répondre, par des solutions plus adaptées, aux attentes des populations, ainsi qu’aux principaux défis de développement auxquels la RDC fait face ».
Dans ce document, il est encore écrit : « Le Projet apportera un appui technique, stratégique et programmatique à la mise en place et à l’opérationnalisation de la Cellule. À cet égard, il dotera la Cellule des ressources techniques, professionnelles, matérielles et financières dont elle a besoin pour fonctionner. Le Projet s’appuiera sur le personnel à temps plein de la Cellule, des équipes de consultants et les points focaux des ministères et d’autres entités impliquées pour des besoins de coordination dans la conception, l’exécution et l’évaluation des interventions ciblées. »
« Le succès de la mise en œuvre du projet, poursuit le même document, reposera sur la collaboration entre la Cellule et les services chargés de fournir les informations nécessaires au suivi des engagements pris par le Président de la République. Des contacts étroits devront donc être établis avec les services du Premier Ministre, les collèges de la Présidence, les points focaux des ministères, les exécutifs provinciaux, les responsables de toute institution publique ou entité concernée. Par ailleurs, des partenariats pourraient également être noués avec les universités et les centres de recherches dans notamment l’exploitation des opportunités d’innovation ».
Tel que décrit dans le document, on se pose quand même des questions sur l’appui réel du PNUD à la présidence de la République. Apparemment, c’est le PNUD qui va tout faire pour le compte de la structure nouvellement créée. Dans certains milieux à Kinshasa, on va jusqu’à dire que c’est nouveau, et on explique : « D’ordinaire, le PNUD apporte son appui aux programmes du gouvernement, et jamais, jusque-là, cet appui n’est allé à un cabinet présidentiel. Soit ! Mais pourquoi c’est le PNUD qui doit recruter, programmer et opérationnaliser, etc. ? Pourquoi ne laisse-t-il pas au coordonnateur nommé d’élaborer lui-même sa feuille de route que le PNUD viendrait appuyer ? », s’interrogent les mêmes observateurs.
Selon des sources au PNUD, le budget prévu pour ce projet est autour de 5.5 millions de dollars. Mais les fonds vont être destinés à des programmes et opérations classiques : recrutement des consultants et experts, missions, séminaires, sensibilisation, publication, équipement et fonctionnement. Bref, rien ne tomberait directement dans l’escarcelle du CPVS. Dans certains milieux, on redoute déjà « une sorte d’ingérence et de contrôle » sous le paravent d’appui. Et on le fait savoir.
Comme quoi, c’est du classique dans le monde des organisations internationales. Pourtant, dans l’entendement de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le CPVS devrait avoir pour objectif ultime de remettre la puissance publique au centre du jeu sur les thèmes qui lui sont chers : paix, stabilité, justice, développement économique et bien-être (social, santé, éducation, eau, électricité, etc.) pour la nécessaire reconstruction du pays. Disons-le, ces priorités expriment le fait que l’État ne saurait être indifférent à des problèmes qui se posent à tous les citoyens.
État stratège
Vu sous cet angle, la création du CPVS doit sonner le retour de l’État stratège. Celui-ci s’intègre dans une logique de puissance et de rayonnement : rendre la RDC une nation plus compétitive sur le plan économique et plus influente sur la scène internationale. C’est cela qui a toujours été le combat politique de François Muamba, chantre du patriotisme économique, soulignent des proches.
Des spécialistes font remarquer qu’en tant que principe de rationalisation de l’organisation politique et garant de la cohésion sociale, l’État est en effet par essence investi d’un rôle stratégique vis-à-vis de la société. Ce rôle prend une portée nouvelle à partir du moment où l’État a pris en charge le développement économique et social, à travers l’élaboration des politiques publiques.
Toute politique publique se présente sous la forme d’un ensemble des mesures concrètes articulées entre elles, d’un cluster de décisions formant un programme. Elle implique la mobilisation des ressources juridiques, matérielles, symboliques, en vue d’atteindre certains objectifs, et la définition d’un cadre général d’action. C’est donc bien une stratégie de développement qui se construit par l’intermédiaire des politiques publiques.
Dès lors l’État a le beau rôle de coordinateur des différentes actions et de garant de la cohérence de celles-ci, mais permet également de créer une synergie entre les petites et moyennes entreprises (PME), les centres de recherche et les grands groupes industriels. Le rôle de l’État stratège s’inscrit dans une démarche de développement économique par l’innovation, perçue comme facteur de croissance.
Veille stratégique
François Muamba qui sait s’entourer, est pertinemment conscient : l’enjeu essentiel de la veille stratégique n’est pas tant l’accès à l’information, mais le traitement judicieux de cette information. Dans un contexte où les sources d’information se multiplient et s’internationalisent, la veille apparaît comme un véritable moteur de développement, soulignent les mêmes spécialistes. Grâce à une veille compétente, le président de la République peut agir activement dans un secteur. De plus, étant bien informé, il sera capable d’anticiper des changements qui peuvent s’opérer dans la marche du pays.
En effet, des études ont montré que l’États ou les entreprises qui innovent sont ceux qui sont durablement les plus performants en termes de veille stratégique. L’action stratégique de l’État se déploie de manière transversale, dans tous les secteurs d’activités. Chaque contribution met en lumière les défis et difficultés. Dans la phase post-crise, l’État stratège doit être un moteur de développement, partant de l’intérieur et non de l’extérieur.