LES cinq crises majeures sont la crise géopolitique ou l’agressivité des modèles autoritaires ; la crise technologique ou l’absence de régulations appropriées ; la crise démocratique ou le dénigrement de la presse et la haine des journalistes encouragée par des chefs d’État démocratiquement élus ; la crise de confiance ou la suspicion en hausse envers les médias d’information ; et la crise économique ou l’appauvrissement du journalisme de qualité.
Pour Reporters Sans Frontières (RSF), la pandémie de coronavirus sert en effet de prétexte à de nombreux gouvernements autoritaires pour mettre en œuvre la fameuse « doctrine du choc » : profiter de la neutralisation de la vie politique, de la sidération du public et de l’affaiblissement de la mobilisation pour imposer des mesures impossibles à adopter en temps normal. C’est le cas de la Chine (177è) et de l’Iran (173è, – 3 places), foyers de l’épidémie, qui ont mis en place des dispositifs de censure massifs. Mais c’est le cas aussi en Hongrie (89è, – 2 places), où Viktor Orbán, le 1ER Ministre, a fait voter une loi dite « coronavirus ».
Moyen de pression
Le Classement mondial de la liberté de la presse est un moyen de pression sur les chefs d’États et les gouvernements pour qu’ils améliorent la situation de la liberté de la presse dans leurs pays. « Nous entrons dans une décennie décisive pour le journalisme. Le droit à une information libre, indépendante, pluraliste et fiable est de plus en plus menacé. Pour que cette décennie ne soit pas funeste pour la liberté de la presse, pour que les journalistes puissent continuer d’exercer cette fonction essentielle de tiers de confiance dans nos sociétés, notre mobilisation est plus que jamais indispensable… Nous entrons dans une décennie décisive pour le journalisme, et le coronavirus est un facteur multiplicateur », lance RSF.
L’édition 2020 du Classement mondial de la liberté de la presse démontre que la pandémie de Covid-19 met en lumière et amplifie les crises multiples qui menacent le droit à une information libre, indépendante, pluraliste et fiable. « Nous entrons dans une décennie décisive pour le journalisme, liée à des crises concomitantes qui affectent l’avenir du journalisme, déclare Christophe Deloire, le secrétaire général de RSF. L’épidémie de coronavirus fournit une illustration des facteurs négatifs pour le droit à l’information fiable, et elle est même un facteur multiplicateur. Que seront la liberté, le pluralisme et la fiabilité de l’information d’ici l’année 2030 ? La réponse à cette question se joue aujourd’hui ». Cette année, la Norvège maintient pour la quatrième année consécutive sa place de premier tandis que la Finlande conserve sa deuxième position. Le Danemark (3è, + 2) est classé au troisième rang, en raison d’une baisse de la Suède (4è, – 1) et des Pays-Bas (5è, – 1), confrontés à une recrudescence de cas de cyber harcèlement. À l’autre extrême du Classement, peu de changements. La Corée du Nord (180è, – 1) ravit la toute dernière place au Turkménistan, tandis que l’Érythrée (178è) reste le pire représentant du continent africain.
Les leçons en 2020
Du côté des plus fortes baisses de cette édition 2020, Haïti, où des journalistes se retrouvent pris pour cible lors des violentes manifestations qui secouent le pays depuis deux ans, chute de 21 places et se situe désormais en 83è position. Les deux autres reculs les plus importants se situent en Afrique : aux Comores (75è, – 19) et au Bénin (113è, – 17), deux pays où se multiplient les atteintes à la liberté de la presse. Tandis que la légère amélioration (- 0,9 %) de l’indice de référence, qui évalue la situation à l’échelle de la planète entière, s’inscrit dans un contexte général détérioré : l’indice global reste dégradé de 12 % par rapport à ce qu’il était à sa création en 2013. Si le pourcentage de pays situés dans la zone blanche du Classement, qui indique « une bonne situation » de la liberté de la presse, reste inchangé (8 %), celui des pays situés dans la zone noire, qui signale « une situation critique », augmente de 2 points et passe à 13 %.
L’Europe reste le continent le plus favorable à la liberté de la presse, en dépit des politiques répressives de certains pays de l’Union européenne (UE) et des Balkans, devant la zone Amériques, en deuxième position, même si les poids lourds régionaux, États-Unis et Brésil, deviennent de véritables anti-modèles. L’Afrique, qui arrive troisième, enregistre également des reculs importants, dus notamment à une recrudescence des détentions arbitraires de longue durée et des attaques en ligne. C’est la zone Asie-Pacifique qui affiche cette année la plus forte dégradation de son score régional (+ 1,7 %). L’Australie (26è, – 5), jadis modèle régional, se caractérise désormais par ses menaces contre le secret des sources et le journalisme d’investigation. Deux pays ont également contribué à faire baisser la note globale de ce continent : Singapour (158è), avec sa loi orwellienne sur les fausses informations, a perdu 7 places et a basculé dans la zone noire du Classement, de même que Hong Kong (80è), qui a également perdu 7 places en raison de son traitement des journalistes lors des manifestations pro-démocratiques.
Méthodologie
Publié chaque année depuis 2002 à l’initiative de RSF, le Classement mondial de la liberté de la presse permet d’établir la situation relative de 180 pays et territoires en matière de liberté d’information. La méthodologie du Classement s’appuie sur leurs performances en matière de pluralisme, d’indépendance des médias, d’environnement et d’autocensure, de cadre légal, de transparence et de qualité des infrastructures soutenant la production de l’information. Il ne s’agit pas ici d’évaluer les politiques gouvernementales des pays.
Les indices globaux et régionaux sont calculés à partir des scores obtenus par les différents pays et territoires. Ces scores sont eux-mêmes établis à partir d’un questionnaire proposé en vingt langues à des experts du monde entier, doublé d’une analyse qualitative. À noter que plus l’indice est élevé, pire est la situation. La notoriété du Classement mondial de la liberté de la presse en fait un outil de plaidoyer essentiel.