LE 27 février dernier, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre, avait réuni à son cabinet deux ministres, Didier Mazengu Mukanzu des Transports et des Voies de communication, et Clément Kuete Nymi Bemuna du Portefeuille, ainsi que Siméon Munganga, le président de la commission de suivi du projet de port en eaux profondes de Banana (CSPPEPB). Au cours de cette réunion où il était question de « faire le point » sur ce projet, il avait été décidé de « mettre en place une structure technique placée sous l’autorité directe du chef de gouvernement ».
Cette séance de travail avait l’air d’une « réunion de crise » parce que dans l’opinion on a l’impression que le projet n’avance pas mais il danse. Autrement dit, la construction du port en eaux profondes de Banana dans le Kongo-Central paraît être en panne. Et il faudra lui donner un coup de fouet. Siméon Munganga, l’ingénieur en charge de la commission de suivi du projet de port en eaux profondes de Banana, avait expliqué à l’issue de la réunion autour du 1ER Ministre, qu’une équipe technique étudiera quelques aspects spécifiques de ce grand projet à soumettre à l’examen du Conseil des ministres.
La construction d’un port en eaux profondes à Banana est un vieux projet d’infrastructure datant de 1929 mais qui n’est jamais sorti des tiroirs.
Rappel des faits
En novembre 2019, s’adressant à la communauté congolaise réunis aux docks d’Aubervilliers, au nord de Paris, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, avait annoncé la signature « pour bientôt » d’un accord sur le port en eaux profondes de Banana, à l’embouchure du fleuve Congo sur l’océan Atlantique. Il se fondait alors sur « les discussions très avancées », soulignant que « les partenaires sont là, et nous allons avancer avec eux ».
Et décembre de l’année dernière, devant les deux chambres du Parlement réunies en congrès, le président de la République affirmait avoir suivi avec une particulière attention « le débat sur la nécessité ou non de la construction du port en eaux profondes à Banana ». Le projet consiste en la construction ainsi que la gestion d’un port et d’une zone de libre-échange à Banana, pour un coût supérieur à un milliard de dollars. La première phase prévue est l’aménagement d’un quai de 1 500 m sur la côte atlantique. Pour cette phase, le coût serait de quelque 396 millions de dollars.
Si l’accord de construction du pont route-rail à jeter sur le fleuve entre Kinshasa et Brazzaville a été signé en Afrique du Sud, il n’en est pas encore le cas pour le projet du port de Banana. Tout ce que l’on sait, c’est le partenaire qui a été identifié et qui s’apprêterait à signer le contrat avec le gouvernement : Dubaï Port World (DPW) pour la construction et l’exploitation du port. En termes de capacité, DPW est présenté comme étant le troisième plus grand opérateur mondial de terminaux conteneurs dans le monde. Il gère aujourd’hui plus de 60 terminaux dans le monde.
Dans les discussions engagées, il était prévu que les travaux de construction commencent début de 2020. À terme, le port de Banana est censé créer une structure des sociétés. Un expert explique : « Si le projet piétine, c’est parce que l’ensemble des négociations serait entaché d’irrégularités et des soupçons de corruption. » C’est en 2015 que le dossier est remis sur la table. Le gouvernement est à la recherche d’un opérateur pour la construction d’un quai flottant à Banana. Plusieurs sociétés auraient alors été approchées, dont l’entreprise française Necotrans. Le 23 mars 2016, Jean-Phillipe Gouyet, le directeur général de cette société, et Suhail Al Banna, le directeur général de DPW pour l’Afrique et le Moyen-Orient, adressent ainsi une lettre à l’Organisation pour l’équipement de Banana-Kinshasa (OEBK), l’autorité publique chargée du développement du corridor Banana-Kinshasa.
D’après des sources proches du dossier, la lettre manifeste l’intérêt du consortium DPW-Necotrans pour le projet de concession d’un quai flottant à Banana. C’est à la suite de cette lettre que le gouvernement est entré directement en négociation avec DPW, sans Necotrans. Les mêmes sources précisent qu’aucun appel d’offres n’a été publié, comme l’exige la loi sur les marchés publics en République démocratique du Congo. Il semble que l’OEBK était simplement nantie d’une « permission spéciale » pour négocier avec DPW.
C’est ainsi qu’OEBK et DPW sont tombés rapidement d’accord dans les négociations pour la « construction d’un véritable port en eaux profondes ». En juin 2016, des représentants (on cite notamment Jamal Majid Bin Thaniah, le vice-président et directeur général et Tarik El Farouki, le directeur du développement Afrique) de DPW séjournent deux fois en RDC pour négocier le contrat.
Coup de théâtre
En octobre de la même année, le sultan Ahmed Bin Sulayem aurait assuré dans une lettre « l’intention d’accorder 40 % du capital de la compagnie qui construira le port à une nouvelle compagnie étatique congolaise ». En février 2017, José Makila Sumanda, alors vice-1ER Ministre, ministre des Transports et des Voies de communication, signe pour le compte du gouvernement congolais un protocole avec Suhail Al Banna, le directeur général de DPW pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Ainsi, DPW ouvre une filiale en RDC.
En février 2017, Suhail Al Banna, le directeur général de DPW pour l’Afrique et le Moyen-Orient, adresse une lettre à José Makila pour lui faire parvenir un « plan de travail détaillé pour une période de six mois ». Au mois de juin, les parties se retrouvent en RDC pour finaliser le contrat. En juillet de la même année, Suhail Al Banna envoie une autre lettre à José Makila dans laquelle il lui fait part de l’avancement des négociations et des études de faisabilité, et il lui demande la prolongation de la période d’exclusivité de deux mois, et donc de retarder la signature du contrat, prévue le 9 août.
La nouvelle date prévue pour la signature du contrat aurait été le 28 octobre 2017. Et le 5 octobre, José Makila se rend à Dubaï pour visiter les locaux de DPW dans la perspective de la signature imminente du contrat. Elle n’interviendra pas non plus le 28 octobre car, semble-t-il, Wivine Mumba Matipa, alors ministre du Portefeuille, aurait refusé d’apporter son contreseing. La délégation de DPW qui arrive à Kinshasa est profondément désappointée quand elle apprend que le contrat va être signé ultérieurement.
Les études de faisabilité et l’étude environnementale ont été approuvées par les parties. Tout comme une joint-venture, appelée lors des négociations « Port Autonome de Banana », serait créée entre une société étatique congolaise et DPW. Cette joint-venture devrait ensuite conclure un contrat de concession avec la RDC. La société étatique dans la joint-venture devrait logiquement être, soit la Société commerciale des transports et des ports (SCTP), soit l’OEBK. Ce serait une société anonyme, de droit congolais, appartenant à 30 % à l’État de RDC, ou du moins à la nouvelle entité qui sera créée, et à 70 % à DPW.
La RDC ne contribue pas financièrement au projet. Outre des facilités administratives et fiscales, la contribution de la RDC à hauteur de 30 % consiste surtout en l’octroi de terrains. Selon des sources, DPW aurait demandé avoir 50 ans de concession sans aucune étude de marché. Le coût des travaux est évalué à 600 millions de dollars. Le terminal aura une capacité de 332 000 containers et plus de 1,3 million de tonnes traitées chaque année. Le projet pourra générer 2 000 emplois directs.