INFO OU INTOX ? Selon des sources égyptiennes et soudanaises, l’Éthiopie aurait entamé en secret le remplissage du barrage hydroélectrique de la Grande Renaissance doté d’une capacité de 6 450 MW, selon la date qu’elle avait initialement indiquée. La construction du Gerd, la plus grande centrale hydroélectrique d’Afrique, a commencé en 2011 sur l’affluent du Nil Bleu dans les hautes terres du Nord de l’Éthiopie d’où jaillissent 85 % des eaux du Nil. Une querelle est née de ce méga-barrage entre l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan. Le Conseil de sécurité des Nations Unies et l’Union africaine (UA) veulent maintenant aider à la régler par des négociations.
Régler les désaccords
Le Soudan avait annoncé le vendredi 3 juillet la reprise des négociations en visioconférence avec l’Égypte et l’Éthiopie. Khartoum et Le Caire craignent que le barrage de 145 m de haut ne restreigne leur accès à l’eau lorsque le réservoir commencera à être rempli en juillet. Les discussions ont repris grâce à la médiation de l’Afrique du Sud, dont le chef de l’État, Cyril Ramaphosa, préside actuellement l’UA.
En rappel, le 26 juin, Le Caire et Khartoum avaient assuré que la mise en eau serait reportée jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé. Mais Addis-Abeba les a contredits le 27 juin réaffirmant sa volonté de commencer à remplir le réservoir de son gigantesque barrage, tout en s’engageant à conclure un accord définitif sous l’égide de l’UA.
Les pourparlers en cours visent à « régler des détails techniques importants », a précisé Yasser Abbas, le ministre soudanais de l’Irrigation. « 90 % des problèmes abordés ont déjà été résolus », a-t-il assuré, disant avoir reçu une « proposition d’accord ». Rapport des forces : L’Égypte qui dépend très majoritairement du fleuve Nil pour son approvisionnement en eau, est opposée à Gerd, tandis que le Soudan espère qu’il lui fournira de l’électricité et contribuera à réguler les crues du fleuve. L’Éthiopie, quant à elle, considère ce méga-barrage indispensable à son développement économique. Les négociations se tiennent avec la participation des observateurs de l’UA, de l’Union européenne (UE), de l’Afrique du Sud et des États-Unis, apprend-on.
Pendant que ces négociations ont lieu, le ministère égyptien des Ressources hydriques aurait reçu un rapport indiquant que l’Éthiopie a démarré le remplissage du réservoir. C’est Egypt Independent qui l’affirme, citant un professeur de l’université du Caire qui a fourni une image satellite pour preuve. Et le Soudan a indiqué que le début du remplissage était à la base des pénuries d’eau subies en juillet.
L’Égypte a fait savoir dans un communiqué que « le règlement des désaccords techniques et légaux sur le remplissage du barrage est primordial ». Les Américains avaient prévenu qu’« un accord pourrait prendre des mois » vu les désaccords. « Il reste beaucoup de travail à faire, mais je suis confiant que dans les mois à venir nous pourrons résoudre ce désaccord », avait déclaré Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain, au cours d’une conférence de presse à Addis-Abeba. Les États-Unis se sont impliqués dans le dossier après qu’Abdel Fattah al-Sissi, le président égyptien, a fait appel à Donald Trump, le président américain.
Problèmes en suspens
L’un des principaux points du désaccord technique concerne la vitesse de remplissage du réservoir du barrage, qui pourra contenir 74 milliards de m3 d’eau. L’Égypte craint une réduction drastique du débit du Nil en cas de remplissage trop rapide du réservoir par l’Éthiopie.
Le Nil bleu prend sa source en Éthiopie, rejoint le Nil blanc à Khartoum pour former le Nil, qui traverse ensuite l’Égypte et se jette dans la Méditerranée. Bref, le Nil qui coule sur quelque 6 000 km, est une source d’approvisionnement en eau et en électricité essentielle pour une dizaine de pays d’Afrique de l’Est (Burundi, Égypte, Éthiopie, Kenya, Ouganda, Rwanda, République démocratique du Congo, Soudan, Soudan du Sud et Tanzanie) qui ont créé l’Initiative du Bassin du Nil (IBN) comme système régional pour le partage équitable des ressources en eau du fleuve.
Si les négociations en cours venaient à échouer, des observateurs pensent que « le risque d’un conflit ouvert se dessine davantage ». C’est dans cette perspective que le Conseil de sécurité de l’ONU a été saisi pour l’appeler à « empêcher toutes les parties de prendre des mesures unilatérales, y compris le remplissage du réservoir, avant un accord final ».
Cela va sans dire que les trois pays doivent faire montre de volonté politique et d’engagement pour résoudre les « difficultés restantes ». L’Égypte, qui considère le Gerd comme une « menace existentielle », a, dans une lettre au Conseil de sécurité, affirmé que l’Éthiopie constitue « une menace pour la paix et la sécurité au niveau international ».
S’il y a, semble-t-il, un accord « sur certaines questions techniques » lors des échanges précédents entre les trois pays, reste que « de profonds désaccords juridiques » persisteraient entre l’Égypte et l’Éthiopie. Après neuf années de blocage, les négociations ont repris en novembre 2019 sous le parrainage des États-Unis et de la Banque mondiale.
Conséquences humanitaires
Parmi les principaux désaccords figurent « les moyens d’atténuer la sécheresse et les pénuries d’eau pendant les années sèches ». L’absence d’accord sur le Nil entre l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan fait craindre de « graves conséquences humanitaires », selon International Crisis Group. « Les parties pourraient s’acheminer vers un conflit, avec de graves conséquences humanitaires, s’ils ne peuvent pas formuler de solutions techniques permettant à la construction du Gerd de se dérouler de manière à éviter les chocs économiques et environnementaux des pays en aval », avait prévenu International Crisis Group, spécialisé dans la prévention et la résolution des conflits.
International Crisis Group propose notamment de renforcer les discussions sur l’impact du Gerd et de négocier un « traité sur le Nil pour le long terme ». En mai 2018, les trois pays avaient décidé de « créer un comité scientifique » dédié au barrage. Le conflit sur l’utilisation des eaux du plus long fleuve du monde dépasse désormais le seul cadre régional. Pourtant, logiquement, la solution durable ne peut être que régionale, politique et technique. Ce qui étonne, c’est le silence radio dans les capitales des pays membres de l’Initiative du Bassin du Nil.
Lancée en 1999, à l’origine, comme « un outil de mise en commun des informations scientifiques » entre les dix États riverains du plus long fleuve du monde, en vue d’« assurer le développement socio-économique par l’utilisation équitable et bénéfique des ressources hydriques communes du bassin du Nil », l’IBN vise la paix et la sécurité de tous les pays riverains, en évitant tout conflit potentiel ou réel sur l’eau dans le bassin du Nil. La ratification par tous les pays-parties de l’Accord-cadre (Accord d’Entebbe) du système censé définir le partage (usages) de l’eau du Nil est bloquée faute de consensus. Les points d’achoppement portent essentiellement sur l’article 4 relatif à « l’utilisation équitable et raisonnable des eaux du Nil », l’article 5 qui oblige les États du bassin de ne pas causer des dommages significatifs aux autres, et l’article 14 portant sur la sécurité de l’eau.