Avec le confinement, les entreprises du tertiaire ont été contraintes de mettre en place du télétravail à domicile (et du chômage partiel) pour leurs salarié·e·s. Pendant cette période, les bureaux se sont retrouvés bien vides, posant la question de leur utilité. Certain·e·s professionnel·le·s et journaux s’interrogent sur l’avenir des espaces ouverts (couramment appelés open spaces) ou sur la nécessité de flexibiliser nos espaces de travail avec le développement du télétravail. Un récent sondage publié par Malakoff Médéric montre que le télétravail a été en majorité bien accueilli par les salarié·e·s et que 73% de télétravailleur/euse·s souhaitent continuer l’expérience après le confinement, de manière régulière ou ponctuelle. Ce chiffre peut sembler encourageant pour les sociétés souhaitant changer leur organisation et leurs espaces de travail. Mais le développement du télétravail est-il porteur de meilleures conditions de travail pour les salarié·e·s ?
Le sondage de Malakoff Médéric montre également que 54% des télétravailleur/euse·s ayant répondu estiment ne pas avoir bénéficié d’un accompagnement lors de la mise en place du travail à distance et 30% estiment que leur santé psychologique s’est dégradée pendant le confinement. A ces chiffres, il est possible de joindre des témoignages de personnes revenant sur les difficultés de travailler à distance : «On n’a pas eu le temps d’y réfléchir. Mais justement, ça aurait été le moment de le penser et de prendre de la distance sur le travail, son organisation. […] On est en train de fragmenter finalement le travail […] et ça s’accentue encore plus avec les outils à distance puisque l’on passe de plus en plus par des messageries, par des outils qui sont plutôt liés à la communication et moins au travail collaboratif.» Ces différents éléments montrent que les entreprises ne sont pas toujours prêtes à mettre les moyens nécessaires pour que les espaces de travail de leurs salarié·e·s, que ça soit au bureau ou chez eux, soient bien adaptés à leur travail salarial.
Le télétravail n’est pas forcément négatif pour les salarié·e·s, mais il n’est pas pensé en priorité pour eux. Comme le rappelle Olivier Cros, directeur Workplace chez CBRE (une société d’immobilier d’entreprise américaine), lors d’une conférence en ligne organisée par News Tanks Cities : «Les clients nous ont appelés : «Tiens, il y a une révolution du travail que l’on va pouvoir saisir.»» Ça, c’est la partie mode de travail mais aussi il y a aussi l’espoir financier :«Peut-être n’avons-nous pas besoin de tant de mètres carrés ?» Le télétravail apparaît avant tout, pour beaucoup de décideurs, comme une solution à un problème foncier : le prix des mètres carrés par salarié·e.
Pour l’immobilier d’entreprise, un immeuble de bureau représente un coût foncier ou/et un actif financier rentabilisable par diverses stratégies immobilières (revalorisation locative ou évolution des tendances économiques sur le marché immobilier) (1). Le télétravail permet une meilleure gestion du patrimoine immobilier. Il s’accompagne généralement d’une transformation des espaces de travail amenant les salarié·e·s à travailler dans des tiers lieux (coworking, fablab, etc) ou/et dans des bureaux aux postes de travail non attribués et au nombre de places limité (modèle souvent désigné comme desk-office ou flex-office).
Il est courant de présenter aussi ces nouveaux espaces de travail comme plus «collaboratifs», soulignant l’importance de lieux de socialisation au travail. Mais il est trop souvent oublié que l’espace est aussi une ressource au travail, comme en témoigne le développement des hackerspaces et des fablabs qui fournissent les outils et moyens nécessaires à la pratique d’une activité (2). Dans le télétravail, le coworking et le flex-office, le travail est segmenté en un ensemble de tâches indépendantes les unes des autres et pouvant être réalisées dans différents espaces. Et dans la plupart des projets d’aménagement de bureaux, il est souvent demandé aux salarié·e·s de s’adapter à ces nouvelles manières de travailler, sans réellement prendre en compte la complexité de leur travail. Mais de nombreuses recherches scientifiques montrent l’importance des espaces de travail pour les salarié·e·s : ils structurent nos pratiques professionnelles et culturelles, mais ils constituent aussi une ressource au travail, et parfois même un support de l’identité professionnelle. C’est-à-dire que les salarié·e·s leur donnent une signification et les investissent, ce qui les aide à s’investir dans leur travail. Ainsi, un des risques de cette crise sanitaire est de voir s’accélérer le développement de ces nouveaux modes de travail pour des raisons principalement financières. La transformation de nos espaces de travail post-confinement ne doit donc pas se faire uniquement sur la base de logiques financières au détriment des conditions de travail des salarié·e·s.