Le refus du port du masque, une défaite politique

Contester la justification des mesures barrières de santé publique relève moins d’une négligence ou d’une insouciance que d’un discrédit vis-à-vis de l’autorité publique et de l’Etat.

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efuser le port du masque dans l’espace public doit être compris aujourd’hui comme un acte politique. Rien à voir avec la négligence ou l’insouciance. Au-delà de l’affirmation d’un quant à soi indifférent à l’intérêt général, réfuter ainsi la justification des mesures barrières de santé publique, c’est contester la gouvernance de la crise sanitaire et donc l’autorité de l’Etat. Cette dissidence inquiète à juste titre le gouvernement car on peut l’interpréter comme un discrédit à l’égard des stratégies déployées face au Covid-19 à la suite du confinement.

Alors que dans son avis du 3 août le Conseil scientifique Covid-19 redoute une nouvelle vague épidémique, il s’avère urgent de créer les conditions favorables à l’adhésion aux préconisations qui pourraient être demain plus contraignantes que l’usage de ce tissu protecteur. Il n’est pas évident que la médiatisation d’initiatives imposant désormais des pratiques systématisées comme l’obligation du masque au cours des déplacements dans certaines zones urbaines, soit le chemin qui contribuera à la responsabilisation individuelle. Admettre avec lucidité l’échec, de ce point de vue, de la sortie du confinement permettrait d’analyser les causes de la démobilisation d’une partie significative de notre société. Il est inconséquent de l’expliquer par une envie de liberté retrouvée, alors que pendant des mois nous avons été témoins de l’exemplarité de ces engagements de terrain soucieux de défendre nos libertés en assumant des responsabilités.

Réfractaires

Récemment, au cours d’une rencontre dans un centre de lutte contre le cancer, des soignants ont évoqué la solidarité des malades qui se réunissaient les après-midi pour confectionner des masques. C’est ainsi qu’ils s’investissaient contre le Covid-19 et considéraient qu’il était urgent d’agir. Je ne suis pas certain que nos responsables politiques aient encore compris la valeur et la signification de ces actes au service du bien commun. Ils ignorent et négligent ces intelligences et ces sollicitudes sociales qu’il importait de valoriser dans le cadre de stratégies de proximité. De telle sorte que leurs préoccupations actuelles s’attachent à convaincre ou à contraindre les réfractaires aux impératifs de santé publique, alors qu’elles auraient été mieux investies en soutien constructif à ceux qui ont conscience de nos responsabilités collectives.

Du point de vue de l’évolution possible de l’épidémie les incertitudes s’accentuent. Les experts scientifiques ne tiennent pas des propos rassurants y compris à propos du vaccin. Les multiples impacts sociétaux et économiques s’insinuent dans notre quotidien en dépit des mesures conjoncturelles d’amortissement de leurs effets les plus immédiatement redoutés. En huit mois notre société a été soumise à des bouleversements auxquels rien ne pouvait nous préparer. En dépit d’un volontarisme politique permettant d’atténuer ce qui pouvait l’être, il serait naïf de considérer que nous disposons à ce jour d’un plan B à hauteur des prochains défis.

L’heure est à la cohésion nationale, à la lucidité et au courage d’agir ensemble en tenant compte d’hypothèses qui, du péril sanitaire à la crise politique, peuvent mettre à mal la vie démocratique et nous précipiter dans ce chaos souvent évoqué dans les récits des grandes épidémies du passé. C’est pourquoi je ne pense plus nécessaire de revenir sur les occasions perdues, en particulier lorsque la sortie du confinement a été présentée à mauvais escient comme le retour à «la liberté d’avant», à la «normalité». Je considérais pour ma part plus opportun d’affirmer alors que notre liberté s’exerce en assumant en conscience nos responsabilités, et qu’en situation de catastrophe le souci de l’intérêt général prévaut sur toute autre considération individualiste.

Discrédit

Les préconisations publiques sont fragilisées par une perte de considération et de crédibilité consécutive à la contestation des politiques mises en œuvre face à la pandémie et plus encore pour la prévenir. Les controverses justifiées relatives au port du masque constituent une composante essentielle pour expliquer ce discrédit. La perspective d’un confinement possible, même selon des critères limitatifs, n’est pas pour restaurer cette exigence de confiance là où certains déplorent une impuissance face à l’inéluctable voire une défaite de l’action publique.

Le Conseil scientifique en appelle à nouveau au gouvernement pour la constitution d’un comité de liaison citoyenne : «Le mois de septembre permettrait de mettre en place un dialogue avec la société civile sur les décisions à prendre en cas de seconde vague. Ces décisions seront politiques et sociétales, bien plus que sanitaires.» La proximité, les territoires, les instances représentatives sur le terrain sont évoqués ces dernières semaines comme les hauts lieux de la vie démocratique. Il convient de s’autoriser la liberté de penser autrement et avec elles la mobilisation sociétale face au Covid-19, de créer les conditions d’un pacte de mobilisation intégrant la société civile aux choix qui la concernent et qu’elle doit être capable d’assumer.

Il ne s’agit pas tant de porter le masque que d’affirmer publiquement des valeurs, celles dont s’honore une démocratie en termes de responsabilisation individuelle et de souci du bien commun. Le gouvernement devrait enfin admettre que des décisions «politiques et sociétales» en situation de crise ne sont recevables et soutenables que dans le cadre d’un dialogue loyal, responsable et constructif avec la société civile. Il me semble plus déterminant que les mesures sécuritaires décidées pour tenter de palier un refus de l’autorité publique dont la «bataille du masque» n’est qu’un indice ou un symbole de plus.