Lors du Conseil des ministres du vendredi 7 août, Aimé Sakombi Molendo, le ministre des Affaires foncières, a sorti du tiroir le projet d’érection d’un site immobilier, La Corniche de Kinshasa, s’étendant de la commune de Gombe à la baie de Ngaliema. En fait, sa présentation n’a été que du réchauffé. Il a soutenu que le projet avait déjà été adopté par le précédent gouvernement. Et qu’au regard de différents problèmes qui restaient à résoudre pour la concrétisation de ce projet, une commission ad hoc a été mise sur pied. D’après lui, cette commission a abouti à la conclusion selon laquelle il faudra indemniser les occupants actuels et définir un chronogramme des opérations à mener jusqu’à la pose de la première pierre par le président de la République.
Pour obtenir l’accord du Conseil des ministres pour la réalisation de ce projet, du reste controversé, Aimé Sakombi Molendo (UNC) a été « complété » par Pius Mwabilu Mbayu Mukala, le ministre d’État, ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat (FCC), ainsi que par Aggée Aje Matembo, le ministre de l’Aménagement du territoire (FCC).
« Un projet puant !»
Le ministre des Affaires foncières a rappelé que « ce vaste projet immobilier offrira des infrastructures modernes à la ville de Kinshasa, un site touristique de premier plan, un rayonnement de la ville et de la RDC, la résorption du déficit de logements à Kinshasa, des emplois, etc. Le ministre a indiqué par ailleurs que le financement de ce projet était assuré », a indiqué David Jolino Diwanpovesa Makelele Ma-Musingi, le ministre d’État, ministre de la Communication et des Médias, porte-parole du gouvernement.
Pour des fins connaisseurs des affaires politiques de la République démocratique du Congo, ce rappel n’est pas anodin mais cache mal l’intention derrière. Il vise à calmer déjà les esprits parce qu’il faut s’attendre à tout. L’un d’eux confie que « c’est bien regrettable que tout ce qui est présenté au Conseil des ministres soit accepté comme une lettre qui passe à la Poste, sans la moindre analyse ». Pour lui, Sylvestre Ilunga Iliunkamba, le 1ER Ministre, doit se ressaisir.
Pour les pros, La Corniche de Kinshasa est un projet immobilier futuriste, pharaonesque qui vise « la valorisation et l’embellissement de la zone côtière fluviale selon les standards internationaux ». Ou encore « c’est un des rares projets dont la RDC peut se vanter aujourd’hui ». Et il va donner « une très grande visibilité le long du côté du fleuve ». Pour les antis, « c’est un projet mirobolant », un « éléphant blanc » qui rappelle un autre, La Cité du fleuve, à Kingabwa dans la commune de Limete. Lequel avait promis Dubaï ou New-York à Kinshasa. Bref, tous les qualificatifs y passent : « un projet chimérique », « une vaste escroquerie », « un scandale foncier et urbanistique », « un projet absurde »… pour dénoncer un projet qui va, à coup sûr, « rompre les équilibres s’il venait à être réalisé » (lire nos articles publiés en mai 2019 en pages 3 et 4).
Les réactions les plus virulentes que nous avons enregistrées viennent des experts eux-mêmes. Curieusement ! Ceux-ci ne comprennent pas comment le ministre des Affaires foncières, pourtant connaisseur de l’immobilier et bien renseigné sur les contours de ce projet et sur les conflits fonciers dans cette partie de la ville de Kinshasa, a pu « endosser un tel projet puant ». Ils disent que « c’est une tache noire qui vient ternir son mandat de ministre, pourtant bien entamé à la tête du ministère des Affaires foncières ».
Pour la plupart des commentaires qui nous sont parvenus, « c’est une grosse erreur politique » de la part du gouvernement. Et Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, « ferait œuvre utile en ne validant pas ce projet qui n’est que la poudre de perlimpinpin ».
Dans des milieux d’affaires à Kinshasa, on rit sous cape : « C’est un passage en force », « des pontes sont derrière le dossier qui représente de gros intérêts », « on sait comment ça se passe ici : ‘je donne ma signature et en contrepartie je gagne quoi’ », « on n’ira pas jusqu’à dire que l’argent a circulé mais c’est le système »… Mais tout le monde comprend que « c’est une montagne de corruption et des mauvaises pratiques ».
Disons-le, ce projet a soulevé en son temps des avis d’objection de la part des administrations compétentes. Maintenant que le Conseil des ministres a donné son aval pour sa réalisation, les services publics concernés sont vraiment inquiets. Point n’est besoin de rappeler que le projet La Corniche de Kinshasa fait polémique. « C’est un vrai scandale foncier et urbanistique dont on parlera longtemps encore dans cette ville de Kinshasa ».
Actuellement un vent de revendication politique souffle sur le pays. « C’est bien de sortir dans la rue pour dire non à Ronsard Malonda [désigné par les confessions religieuses pour être le prochain président de la Commission électorale nationale et indépendante/CENI, ndlr], c’est bien aussi de sortir dans la rue pour manifester son opposition aux propositions de loi de réforme judiciaire initiées par les députés FCC Minaku et Sakata… Mais c’est mieux de le faire pour s’opposer à un projet qui va avoir de lourdes conséquences sur les générations futures », nous déclare Léon Sokolo, altermondialiste congolais.
D’après cet expert de la Terre, la société civile se doit de se mettre débout pour dénoncer et obtenir l’annulation d’un tel projet. « On ne devrait pas prendre à la légère le problème sensible du littoral, et pour cela, les médias doivent se mobiliser. Regardez ce qui se passe à Ouakam à Dakar. Le scandale foncier a secoué tout le Sénégal ! La population congolaise se doit de se mobiliser pour mettre fin aux pratiques illégales d’où qu’elles viennent », fait-il remarquer. Et de rappeler : « Au Sénégal, la pression populaire, la mobilisation des médias et l’opposition de certains politiques ont fini par payer. En effet, le président sénégalais Macky Sall a demandé que soient immédiatement arrêtés tous les actes de lotissement sur le littoral. »
Un audit foncier
En réalité, la société civile devrait demander au chef de l’État de « faire faire un audit sur le foncier, notamment à Kinshasa pendant la période in tempore suspecto de 2016 à 2018. Kinshasa est devenu depuis quelques années le théâtre où les pontes s’octroient illégalement des terres, voire des immeubles et maisons de l’État. Ces audits devront conduire à des sanctions exemplaires contre les auteurs des spoliations foncières.
« Avant Sakombi Molendo, les ministres qui se sont succédé au ministère des Affaires foncières ont accumulé des énormités sans être pour le moins inquiétés. Et il ne faudra pas que cela puisse continuer », insiste Léon Sokolo. Qui pense que Kinshasa est assis sur un volcan des intrigues sourdes, des conspirations, des dangers cachés, des scandales qui finira un jour par entrer en éruption .
À propos du projet La Corniche de Kinshasa, Léon Sokolo estime que rien n’est réglé. « Il faut que la résistance s’organise maintenant contre ce projet. On ne peut pas laisser faire ça. Il faut que les riverains s’arment, pacifiquement, certes, mais qu’ils s’arment juridiquement pour empêcher le projet de se faire », encourage cet altermondialiste congolais.