POURQUOI les produits d’assurance liés aux transferts d’argent sont-ils importants ? Quelles formes pourraient-ils prendre ? Quelles opportunités offrent-ils ? Quels défis réglementaires doivent-ils encore être maitrisés pour permettre de les introduire sur le continent ? Autant de questions auxquelles la note de CENFRI tente de répondre.
En 2018, la valeur des transferts d’argent vers l’Afrique subsaharienne était supérieure à la valeur des autres sources de capitaux étrangers dans la région, telles que l’Aide étrangère au développement (AED) et l’investissement direct étranger (IDE). En 2018, les transferts d’argent personnels vers cette partie de l’Afrique avaient atteint 84 milliards de dollars, ce qui représentait en moyenne 3 % du Produit intérieur brut (PIB) en Afrique subsaharienne, selon la Banque mondiale. Dans certains pays, les transferts d’argent étaient encore plus importants, 36 % du PIB en 2019 au Sud Soudan et 10 % du PIB au Sénégal (Banque mondiale, 2020).
Lorsque l’on compare les chiffres officiels des transferts d’argent aux estimations de la migration, il apparaît que l’envoi de fonds par des canaux informels reste omniprésent (Cooper & Esser, 2020). En outre, alors que l’utilisation des services de transfert d’argent numériques augmente, on estime que la plupart des transferts d’argent en Afrique subsaharienne sont toujours reçus en espèces, et que seulement 15 % à 20 % des envois de fonds officiels sont numériques (Cooper & Esser, 2020 et The Economist, 2020).
Une bouée de sauvetage
Pour les ménages, c’est une bouée de sauvetage. Bien que les transferts d’argent puissent prendre plusieurs formes, ils impliquent souvent un travailleur migrant qui envoie régulièrement de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille restée au pays. Ces transferts représentent une source de revenus relativement stable et fiable, et jouent un rôle déterminant pour lisser la consommation et aider les ménages à mieux faire face aux dépenses imprévues.
Une étude menée au Royaume-Uni auprès de 1 146 expéditeurs d’argent par voie numérique au Cameroun, au Kenya, au Nigéria ou en Ouganda a révélé que les expéditeurs transfèrent de l’argent souvent dans un but précis. Les objectifs les plus cités étaient les dépenses quotidiennes (dépenses et factures du ménage), les postes de dépenses plus coûteux (frais de scolarité) et les imprévus (dépenses de santé et funérailles).
Les transferts d’argent sont particulièrement importants en temps de crise, que ce soit une crise familiale, une crise économique locale ou une crise mondiale comme l’actuelle pandémie de Covid-19. Lorsque la crise est mondiale, les implications sont amplifiées, les expéditeurs aussi bien que les receveurs en sont affectés. La perturbation de l’activité économique causée par les crises est très difficilement supportable par les ménages vulnérables à faible revenu, nombreux étant bénéficiaires des envois d’argent.
D’après une étude récente menée par BFA sur les effets de Covid-19, 73 % des répondants nigérians ont déclaré que leurs revenus avaient diminué et 49 % que leurs dépenses avaient augmenté en raison de la pandémie (BFA, 2020). D’après l’étude publiée par insight2impact (i2i) en avril 2020, 55 % des répondants au Nigéria ne pouvaient pas du tout trouver des fonds d’urgence, et 32 % n’étaient pas très sûrs d’en trouver (i2i, 2020).
Chocs imprévus
Le Nigéria est le plus grand destinataire des transferts d’argent en Afrique subsaharienne, et il est probable que de nombreux ménages qui ont perdu leurs revenus ne puissent pas trouver des fonds d’urgence et seront confrontés à de nouveaux niveaux de stress financier. Ils dépendront encore plus des transferts d’argent pour les dépenses quotidiennes, comme pour nourrir leur famille. La réduction des mouvements de transferts d’argent a un impact significatif sur les niveaux de pauvreté et la résilience des ménages, qui ont moins de possibilité pour gérer à la fois les dépenses quotidiennes et les chocs financiers imprévus. L’effet des crises sur les mouvements de transferts d’argent et, partant, sur la résilience, met en évidence la nécessité de disposer de produits financiers qui permettent aux expéditeurs de transferts de continuer à envoyer de l’argent lorsque des événements à risque tels que des chocs économiques et sanitaires se produisent, ou encore de couvrir l’impact de ces chocs sur les receveurs des transferts.
Cependant, toute souscription d’assurance, autre que l’assurance maladie subventionnée, reste faible. Moins de 10 % des adultes dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne sont assurés (Schlemmer, 2020). Ceci indique qu’il y existe un écart de protection des risques important, exposant plusieurs ménages aux risques avec des moyens inadéquats et des ressources limitées. Les expéditeurs et les receveurs sont tous deux confrontés à des événements à risque inattendus qui ont des effets négatifs sur leurs moyens de subsistance.
Les expéditeurs courent le risque de ne pas pouvoir envoyer de l’argent lorsqu’ils sont confrontés à des chocs imprévus, tels que décès, invalidité, accident ou maladie. L’exposition aux événements à risque est aggravée par le fait que de nombreux migrants travaillent dans le secteur informel et ne peuvent pas accéder aux mesures de protection de base.
En outre, les expéditeurs sont confrontés à des chocs de revenus lorsque les receveurs des transferts d’argent sont confrontés à un événement à risque ayant un grand impact financier qui exige que les expéditeurs leur envoient de l’argent supplémentaire pour couvrir le coût financier de l’événement à risque. Ces types d’événements ne sont pas planifiés et pèsent donc davantage sur les expéditeurs de fonds.
Quant à eux, les receveurs de transferts d’argent subissent des chocs sur leur revenu disponible en raison de risques liés à la santé, la vie, les actifs ou les affaires impactant négativement leur capacité à maintenir leurs moyens d’existence. Lorsque cela se produit, les receveurs ont besoin d’un plus grand secours financier de la part des expéditeurs. En outre, les receveurs sont confrontés à des revenus réduits si les expéditeurs subissent des chocs et ne peuvent pas leur envoyer de l’argent. L’expéditeur peut subir des chocs tels que des risques de santé ou des risques sur les affaires, ou des risques plus graves comme l’invalidité ou la mort.
Les receveurs demandent souvent de l’argent lorsqu’ils sont confrontés à un choc financier imprévu. De cette façon, les receveurs des transferts d’argent transfèrent sur les expéditeurs le coût financier des événements à risque auxquels ils sont confrontés. Par exemple, 84 % des expéditeurs dans l’étude menée au Royaume-Uni ont déclaré avoir effectué des transferts d’argent à des fins médicales (Rinehart-Smit, et al, 2020).
Besoin d’assurance
Le transfert du risque à un assureur permettra d’assurer des envois de fonds continus même si les expéditeurs sont confrontés à un événement à risque.
Des études antérieures ont montré que les migrants (expéditeurs d’argent) souhaitent acheter une assurance pour leurs proches restés au pays et, dans une certaine mesure, pour eux-mêmes. D’après la même étude sur les expéditeurs de fonds numériques britanniques au Cameroun, au Kenya, au Nigéria et en Ouganda, 21 % des répondants ont déclaré avoir envoyé de l’argent chez eux pour couvrir le coût des primes d’assurance. Cela indique que les expéditeurs prennent en considération la valeur de l’assurance pour leurs proches au pays (Rinehart-Smit, 2020). Cependant, une étude distincte menée en Afrique du Sud sur l’assurance funéraire a révélé qu’il est difficile de convaincre les receveurs des transferts d’argent de dépenser des fonds pour l’assurance, en particulier lorsqu’ils ont de faibles revenus (Powers et al., 2012).
Bien que l’offre de produits d’assurance liés aux transferts d’argent soit limitée à l’échelle mondiale et naissante en Afrique subsaharienne, un fort potentiel existe. Les progrès technologiques et l’émergence des services financiers numériques rendent ces produits plus réalisables et moins onéreux du point de vue de l’analyse de rentabilisation.