Comment encadrer les creuseurs dans les sites miniers

Kamituga est une localité dans le Sud-Kivu où a eu lieu le 11 septembre dernier un éboulement dans une mine artisanale. Des éboulements meurtriers de ce genre sont devenus tellement récurrents qu’il importe aujourd’hui que les pouvoirs publics s’y penchent sérieusement.

LE GOUVERNEMENT a ordonné une enquête sur le dernier incident de Kamituga dans le Sud-Kivu. Un éboulement de la terre dans une mine d’or a fait des dizaines de morts. Combien étaient-ils, piégés le vendredi 11 septembre  dernier par l’éboulement dans cette mine d’or artisanale à Kamituga ? Sans préjuger des résultats de l’enquête diligentée par le gouvernement, il y a lieu de se poser déjà des questions à propos de l’encadrement du secteur de l’exploitation artisanale des minerais en République démocratique du Congo. En effet, de nombreuses familles dépendent de cette activité qui est du reste très risquée…

Des mineurs artisanaux tentent de gagner leur vie en revendant les minerais qu’ils parviennent à extraire dans des conditions difficiles. Ceux de Kamituga se trouvaient à plus d’une cinquantaine de mètres sous terre quand des courants d’eau provenant d’une rivière en crue les ont surpris ce jour là… Qu’ils reçoivent leur licence d’exploitation de l’État ou d’une entreprise concessionnaire, les mineurs artisanaux sont censés bénéficier de l’assistance d’une structure publique. Mais cela n’est malheureusement pas le cas en RDC, regrette Raoul Kitungano, coordonnateur de l’ONG Justice pour tous. 

« Il y a une déviation de la mission principale de pouvoir assister les exploitants miniers artisanaux en termes de matériels et équipements sur le terrain. Mais aussi, les exploitants miniers artisanaux doivent fournir un effort pour acquérir des matériels et équipements appropriés pour leurs activités », déclare-t-il… L’ONG Justice pour tous recommande par ailleurs que les exploitants miniers artisanaux qui n’opèrent pas sur des sites attribués par l’État soient, eux aussi, autorisés à se constituer en coopératives pour mieux faire face aux dépenses d’achats d’équipements.

Des incidents récurrents

À Kamituga, le site minier où a eu lieu le drame appartient à une filiale de la compagnie multinationale canadienne Banro. Il y a un an, cette société canadienne a annoncé la suspension de ses activités industrielles et a cédé des droits d’exploitation artisanale à des habitants qui s’étaient soulevés. Ce n’est pas la première fois que Banro invoquait le cas de force majeure pour justifier la suspension de ses opérations minières dans la région du Sud-Kivu et du Maniema. Outre l’insécurité permanente dans les mines dont elle détient les permis d’exploitation, les relations avec les communautés locales et les autorités gouvernementales, nationales et provinciales, sont souvent en dents de scie et donnent à polémique.

Pour rappel, le 24 septembre2019, Brett A. Richards, le président et directeur général de Banro Corporation Ltd, a écrit à l’inspecteur général du Travail, énumérant les circonstances qui justifient la décision de « suspendre les opérations » à Namoya Mining SA, Lugushwa Mining SA, Kamituga Mining SA et Banro Mining Congo SA, mais aussi « les contrats de travail de tous les employés ».

Primo, les « nombreuses difficultés » qui entravent les opérations minières dans ces entités. « Ces difficultés comprennent de sérieuses et incessantes préoccupations sécuritaires à Namoya/Salamabila, notamment le harcèlement et les raids sur les lignes d’approvisionnement de Banro, les attaques contre le site minier lui-même et les menaces contre les employés ».

Secundo, « la situation a pris un tournant imprévisible » à partir du 26 juillet 2019, lorsque Sheikh Assani Hazaïfa Mitende (Sheikh Hassan) et des rebelles armés Maï-Maï ont enlevé quatre employés de Namoya Mining SA/Banro commis à la construction d’une route au profit des mineurs artisanaux de la communauté locale et plus généralement de la province du Maniema.

Tertio, « de sérieux problèmes sécuritaires persistent sur le site minier de Namoya/Salamabila », malgré l’issue heureuse de la prise d’otages. Pour rappel, le PDG de Banro a été contraint de signer un « protocole illégal » pour obtenir la libération des otages. En effet, Sheikh Hassan et la milice Maï-Maï qui ont pris de facto le contrôle de la coopérative des mineurs artisanaux, s’appuient sur ce « torchon » de document pour « reprendre toutes les parties » des mines de Namoya Mining SA qu’ils souhaitent, et y imposer ainsi leur loi et leurs principes, parce qu’ils se considèrent comme « les plus forts sur le terrain ».

Quarto, les menaces de mort de Sheikh Assani à l’endroit de tout travailleur de Namoya Mining SA/Banro qui se présenterait au lieu du travail, mais aussi à l’égard des familles liées à la compagnie, ainsi que l’interdiction faite aux vendeurs locaux de traiter affaire avec Namoya Mining SA/Banro, lorsque cette dernière a refusé de céder à l’exigence de Sheikh Assani dans son « ordre noir » du 13 septembre 2019.

Quinto, le contrôle de la mine par « une force armée rebelle et terroriste » et « les menaces de mort formelles » qui pèsent sur les travailleurs constituent ni plus ni moins « un événement imprévisible ». Au vu des prises d’otages précédentes, dont on déplore la mort d’un agent  égorgé en pleine forêt après son enlèvement, il y a lieu de craindre que « d’autres événements malheureux » ne se répètent, voire ne soient inévitables et insurmontables, tout simplement parce que la compagnie n’a pas le contrôle de la sécurisation de la zone. « Cette situation a pour effet de nous empêcher temporairement de fournir du travail aux employés des entités Banro susmentionnées. Cette situation de force majeure ne s’applique pas aux employés de Tangwiza Mining SA qui devraient continuer de travail », écrit Brett A. Richards. 

Relations conflictuelles

Le moins que l’on puisse dire est que Banro n’a jamais été vraiment mise en situation de bien travailler en République démocratique du Congo. « À sa place, un autre investisseur aurait mis déjà la clé sous le paillasson, pris ses cliques et claques pour aller voir ailleurs », fait remarquer un expert du secteur. En effet, à plusieurs reprises, la compagnie minière a alerté les autorités gouvernementales, nationales et provinciales, de ces nombreuses difficultés qui entravent ses activités minières.

De l’avis de beaucoup d’observateurs, entre le monopole de Banro et la survie des communautés locales, l’État est face à un dilemme. Plusieurs analyses mettent en relief la difficile ré-industrialisation du secteur aurifère dans la province du Sud-Kivu, notamment à cause de « l’évolution des relations conflictuelles » entre les parties prenantes qui coexistent au sein des concessions de la société canadienne Banro. On reproche aux autorités gouvernementales de ne pas avoir initié un véritable dialogue entre les parties prenantes, à savoir Banro, les exploitants artisanaux, les communautés affectées, les autorités et services étatiques et les sociétés civiles locales, afin qu’elles puissent envisager ensemble des solutions pour garantir une paix durable. Banro dispose de quelque 13 permis d’exploitation et 14 permis d’exploration couvrant la quasi-totalité de la ceinture aurifère de 210 km, qui s’étend du territoire de Walungu dans le Sud-Kivu, jusqu’à la concession de Namoya dans la province du Maniema. En l’absence de Zones d’Exploitation Artisanale (ZEA) viables dans la région, il s’agit bien d’un quasi-monopole légalement accordé à la société canadienne. 

L

e statut de « creuseurs » est donc plus précaire que celui des exploitants artisanaux qui occupent des sites reconnus par l’État. Selon des activistes de la société civile, les mineurs piégés le 11 septembre dernier ont manqué d’oxygène. « Lorsqu’il y a des puits qui sont au-delà de 50 m ou 100 m, les mineurs artisanaux ne travaillent qu’avec des compresseurs d’air. Or, dans ce contexte, il a été difficile que tout fonctionne comme il le faut car il y a eu affaissement du sol », explique Raoul Kitungano.

La défaillances de l’État 

On reproche à Banro de ne pas répondre comme il se doit aux attentes des communautés locales en termes d’accès à l’emploi, de développement et d’indemnisation des déplacés des concessions. Des défis qui sont porteurs de germes de tensions et de conflits. « En RDC, la contribution des multinationales au développement des communautés locales est un sujet épineux. À cela s’ajoute la problématique de l’insécurité dans les zones minières », fait remarquer Albert Mutupeke, un notable dans la région. Qui accuse l’État d’« inaction ». En effet, tout a été dit sur cette problématique de l’insécurité à l’Est. « Mais que fait l’État pour sécuriser les investissements ? Je suis du même avis que ceux qui pensent que le gouvernement se doit de nettoyer les concessions de Banro de tous les fauteurs de trouble. La notion de la propriété foncière est une notion cardinale dans les affaires. 

Pour ce qui est de Banro, de nombreuses voix s’élèvent contre les processus de recrutement et l’embauche des personnes non originaires de la région. Des études et des enquêtes ont été menées dans la région, et elles ont abouti presque toutes à un même constat : les autorités nationales et provinciales doivent créer et rendre effectives les ZEA, rendre publiques les cartographies délimitant les concessions attribuées à Banro, soutenir la création de regroupements de creuseurs dans les concessions couvertes par des titres exclusifs afin de les reconvertir en petites entreprises d’exploitation artisanale de sous-traitance, assurer une meilleure prise en charge des agents des services étatiques et des forces armées afin d’éliminer le phénomène des taxations illégales, créer des comptoirs d’achat d’or dans les concessions de Banro, créer des centres d’apprentissage professionnels en faveur des communautés locales…

Par ailleurs, la charge incombe à l’État d’intensifier les campagnes de sensibilisation sur son rôle et celui des investisseurs, mettre sur pied un cadre inclusif et représentatif de concertation entre les creuseurs, la notabilité, la société civile, Banro et les autorités locales…

Soixante ans après son accession à la souveraineté internationale, la RDC peine encore à transformer ses ressources qui font d’elle l’un des pays africains les plus nantis en ressources naturelles. Soixante ans après son indépendance, la RDC fait encore partie des pays les plus pauvres du monde. 

Après l’indépendance, les mines ont continué à être gérées par les Belges. Après, il y a eu la mesure de zaïrianisation prise par le président Mobutu qui a nationalisé la plus grande entreprise minière, la Gécamines. 

Il y avait aussi la Minière de Bakwanga (MIBA) dans le Kasaï. Pendant la période du Zaïre, les mines ont plus profité au pouvoir qu’à la population, elle-même. Le code minier de 2002 avait pour objectif d’attirer davantage les investisseurs que de s’appuyer sur le développement des communautés. Avec sa révision en 2018, il y a quand même une évolution, parce qu’aujourd’hui, les communautés peuvent avoir des moyens pour développer les milieux dans lesquels les mines sont exploitées. 

Poumon de l’économie

Grâce à la libéralisation du secteur, l’activité minière a enregistré un bond spectaculaire en RDC. Ainsi la production du cuivre atteint des millions de tonnes par an tandis que celle du cobalt s’est variée. Les mines demeurent le point fort de l’économie congolaise pendant que l’agriculture est en recul.  Pourtant, le déficit énergétique empêche le pays d’atteindre un bon niveau de transformation de minerais, font remarquer des observateurs. Avec le nouveau code minier régissant le secteur minier, la RDC enregistre des améliorations dans la gestion des ressources naturelles.

Actuellement, les exploitants disposent d’un moratoire allant jusqu’en mars 2021, au-delà duquel il leur est interdit d’exporter du concentré de cuivre et de cobalt. Mais rien n’indique que d’ici là, la capacité énergétique permettant le traitement et la transformation de minerais serait suffisante. Eric Monga, le président de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), au grand Katanga, et vice-président national chargé de l’énergie et des hydrocarbures, soutient l’option prise par le gouvernement. « Le cuivre est raffiné à peu près à 100 % au pays et l’installation maintenant des unités des plus grandes transformations pour des plus grandes valeurs ajoutées sont en cours, c’est un processus », déclare-t-il.  

Pour rappel, en marge de la 5è édition du Forum Investir en Afrique qui avait eu lieu le 10 septembre 2019 à Brazzaville, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, a affirmé que le gouvernement travaillait sur les voies et moyens pouvant permettre à la RDC de transformer sur place ses minerais.

Cependant, un rapport souligne la corruption au sein de la filière du cobalt en RDC. Par exemple, l’association Ressource Matters dénonce le fait que des entreprises américaines et européennes achètent du « cobalt sale » au géant minier anglo-suisse Glencore. La RDC possède la moitié des réserves mondiales de cobalt. Exploité essentiellement au Katanga, ce minerai devient de plus en plus important. Utilisé dans la fabrication des batteries des téléphones et des ordinateurs ainsi que pour les véhicules électriques, le cobalt est devenu un minerai stratégique dont certaines grandes entreprises ne peuvent plus se passer. 

Elisabeth Caesens, la directrice de Ressource Matters et auteure du rapport, explique que son organisation a contacté de grandes entreprises européennes ou américaines qui achètent leur cobalt au géant minier anglo-suisse Glencore. Sur les 14 entreprises que nous avons contactées et parmi elles nous avons des grands noms comme Apple, BMW, Volkswagen, Daimler, Volvo, Renault, Peugeot, etc. Toutes condamnent la corruption.

Là où ça se gâte, c’est quand on veut discuter de cas concrets. Encore une fois, il s’agit d’une quantité considérable de cobalt. Quand nous essayons de trouver des solutions pratiques pour les cas concrets, on continue à faire face à cette langue de bois. Toujours est-il que tant qu’on n’arrivera pas à appliquer des mesures plus sérieuses face à un risque vraiment tangible, les outils généraux et transversaux risquent de rester des coups d’épée dans l’eau.

Parmi les différentes personnes qui travaillent dans la filière cobalt, certains plaident pour plus de responsabilité du côté des consommateurs et une meilleure gouvernance de la part des États. Freddy Kasongo travaille à l’Observatoire d’études et d’appui à la responsabilité sociale et environnementale : « Nous souhaitons que les utilisateurs finaux puissent comprendre tous les enjeux qui existent autour de la chaîne d’approvisionnement des minerais qu’ils utilisent pour fabriquer leurs matériaux électroniques. Nous voulons de plus en plus que l’impératif de contrôle soit pris en compte, notamment en matière de corruption. »

En attendant, les organisations qui luttent pour plus de transparence dans la chaine de production de cobalt congolais continuent leur plaidoyer, espérant convaincre les grandes entreprises électroniques ou automobiles de faire face à leurs responsabilités en cessant d’acheter du « cobalt sale », c’est-à-dire d’entretenir des circuits d’approvisionnement marqués par la corruption ou le travail des enfants.