OÙ VA L’IGF ? On voyait l’Inspection générale des finances très grande, trop grande même pour cette mission de transparence dans les dépenses publiques. Cependant, l’analyse froide de ses « observations définitives sur le contrôle de gestion de quelques entreprises publiques (Congo Airways, RVA, SCTP, FPI, CNSS, ARCA…), transmises aux mandataires de l’État dans ces sociétés et du reste divulguées en temps réel dans les réseaux sociaux, a commencé à calmer tout le monde. Partout, dans les entreprises publiques contrôlées, un seul et même constat : les observations définitives avant recommandations de l’IGF « ne sont pas conformes à la réalité des faits » sur lesquels les inspecteurs des finances se sont penchés.
Mais, pour autant, faut-il ignorer ou escamoter le bien-fondé de cet exercice de contrôle de gestion à cause des « tâtonnements » des inspecteurs des finances ? Probablement pas. Alors, que faut-il penser des recommandations de l’IGF ? Nul ne le sait encore alors que le président de la République est favorable à des sanctions administratives par les ministres sectoriels. En tout cas, le principal intéressé, l’inspecteur des finances en chef, lui, a donné un indice sur la suite.
Jules Alingete Key, toujours droit dans ses bottes, ne mâche pas ses mots sur la gent des mandataires publics.
Surprenant rapport ?
Programmée pour le succès, dotée d’une équipe d’inspecteurs que l’on dit « remplie de compétence et d’expérience », l’IGF détonne par ses méthodes. Toute cette réputation paraît être effondré avec ces observations définitives. Surprenant rapport au regard de la tournure prise par les réactions qui mettent en évidence les errements de l’IGF. Et comme dans un syllogisme, la conclusion est contenue dans les prémisses (les propositions majeure et mineure). C’est pourquoi, on ne saurait accepter les prémisses et rejeter la conclusion sans contradiction. Et vice versa.
De l’avis des mandataires interrogés, les conclusions des inspecteurs des finances émises dans le rapport de l’IGF « sont inexactes ». Et ils rappellent que les missions de contrôle de l’IGF n’ont pas appliqué le principe universel de contrôle qui consiste en l’objectivité, l’indépendance et la compétence. Sans vraiment émettre un jugement de valeur sur le rapport des missions et la compétence professionnelle des inspecteurs des finances, des mandataires qualifient la plupart des affirmations contenues dans ce rapport de « pure spéculation ».
Dans ce cas, comment faire confiance aux conclusions de l’IGF ? La faute peut-être de l’IGF est d’avoir mis toutes les entreprises dans le même sac sans tenir compte des spécificités propres à chaque entreprise et à chaque secteur d’activité. Et en plus, compte tenu de ces spécificités, certaines sociétés sont soumises à des audits des cabinets externes. Disons le ici, même les partenaires et des banques internationaux et des banques avec lesquels travaillent certaines entreprises ont des doutes sur le niveau du sérieux des conclusions de l’IGF. C’est l’image du pays qui s’en sort davantage affaiblie.
Certes, les performances des sociétés publiques sont de notoriété publique bien en dessous du potentiel pour des raisons que l’on peut deviner aisément. Mais de là à tirer sur l’ambulance ou à jeter l’enfant avec l’eau de bain, tout le monde n’en revient pas. Pour rappel, toutes les recettes imaginées jusqu’à maintenant pour tirer les sociétés d’État vers le haut ont été un échec. La réforme COPIREP de 2009, appuyée par la Banque mondiale pour faire renaître les sociétés d’État, avait suscité beaucoup d’espoirs chez les syndicats des travailleurs du secteur public. La réforme envisagée avait pour objectif de restructurer, donner une vision et rendre compétitives les entreprises publiques. En effet, le constat général était que la plupart des entreprises publiques n’étaient plus viables, il fallait carrément les liquider ou les transformer en calquant leur gestion sur le modèle du secteur privé. À quoi aura servi finalement la transformation des entreprises publiques en sociétés commerciales ? Jusqu’à quand les entreprises publiques seront-elles considérées comme le tiroir-caisse par la classe politique ? Au nom de quelle logique économique, les entreprises publiques doivent-elles faire l’objet d’un partage équitable et équilibré entre les politiciens ?
Les travers de la gestion
Certes, l’État est connu pour être le pire actionnaire dans une entreprise. Ce qui l’intéresse, ce sont seulement les dividendes qu’il peut en tirer. Est-ce pour autant la raison pour que les politiciens mettent les entreprises et les établissements publics dans une coupe réglée ? Pendant longtemps, les entreprises publiques en République démocratique du Congo ont fonctionné dans cette logique au point que toutes sont devenues au fil du temps un fardeau pour l’État propriétaire.
Bref, la situation globale dans les entreprises publiques n’a pas vraiment changé depuis la réforme de 2009. Les principaux travers dans la gestion sont restés les mêmes et personne n’a vraiment recapitalisé les entreprises à des niveaux compatibles avec une activité économique. Grosso modo, les intérêts de l’État, donc des Congolais, ne sont pas protégés. La revitalisation des entreprises publiques est un enjeu économique considérable pour les repositionner sur l’échiquier régional et continental, avec l’avènement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). L’enjeu pour l’État, c’est développer la valeur ajoutée locale car l’activité appelle l’activité. Et sur ce registre, la RDC regorge encore de nombreuses opportunités de développement dans tous les secteurs. « Au lieu de se tourner vers cette nouvelle vision économique en Afrique, ceux qui nous gouvernent veulent justement tuer les entreprises publiques au profit des investissements privés, alimentés par ailleurs par l’argent public et échappant superbement au fisc et à la douane », observe un analyste économique.
Alors, on comprend bien que la nomination des nouveaux mandataires dans les entreprises publiques est notamment au cœur du débat d’après-reconfiguration de la majorité parlementaire. En RDC, la politique politicienne tient tout en l’état. En découvrant les « observations définitives » de l’IGF, les mandataires sont passés par toutes les émotions. Pour eux, il ne faut pas donner du crédit au rapport de l’IGF, parce qu’ils croient fermement que les informations livrées manquent de pertinence et de matérialité. Ils se disent « vraiment déçus » de l’attitude des équipes de missions de contrôle qu’ils ont eus sur le terrain.
Partout, c’est la déception. « C’est frustrant, c’est dur… Il faut l’accepter, relever la tête… », nous confie un DG de société publique. Qui ne se fait pas d’illusions : « Tout porte à croire que le vin est déjà tiré malgré les moyens de défense que nous avons présentés à réaction. » Désormais, il réfléchit à tête reposée de la suite.