LOIN s’en faut. Rien n’interdit au gouvernement et encore moins aux ONG de pouvoir aider les coopératives en général et les coopératives agricoles en particulier. Qu’il s’agisse de l’aide financière, de l’aide fiscale ou de l’aide technique. Au contraire, il est de la responsabilité du gouvernement et des ONG d’encadrer les populations à travers ces associations.
Cependant, dans le nouveau concept de développement voulu par Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, on se demande comment les coopératives devront jouer le rôle de moteur de développement. Ne dit-on pas qu’on ne développe pas mais qu’on se développe ? Dans tous les cas de figure, l’élément clé du succès du Programme de développement local des 145 territoires demeure son appropriation par les gens eux-mêmes, qui acceptent les changements dans leur façon de vivre ou de fonctionner.
Ainsi, il faut exclure de la réflexion l’idée que l’implantation des coopératives agricoles se fera automatiquement partout sans quelques heurts, même si les principes fondateurs sont nécessairement respectés. Des spécialistes que nous avons abordés insistent sur un fait : la coopérative agricole doit apprendre à se construire sur la base des structures villageoises existantes et sur la rencontre
entre la démocratie traditionnelle et la démocratie coopérative.
Approche globale ?
La question peut être prise à plusieurs bouts. Cependant, la croissance et le développement des coopératives agricoles en RDC nécessite d’abord une approche ou une vision globale. Et sous cet angle, on est en droit de se poser une série de questions. Existe-t-il une masse critique de membres susceptibles de
mobiliser les ressources nécessaires ? Existe-t-il des ressources externes ? Quel est l’appui des agents économiques ? L’État a-t-il des politiques claires et cohérentes pour le développement des coopératives ? Les groupes sont-ils suffisamment homogènes ?
Toutes ces questions et bien d’autres sont révélatrices de paris à gagner qui sont de taille. D’emblée, des experts sont d’avis que l’expérience de développement des coopératives agricoles peut bien réussir en RDC si l’État promeut l’émergence des organisations et des structures locales autonomes et variées.
Selon les notes d’histoire que nous avons consultées, l’organisation des producteurs agricoles au Congo en mouvement paysan remonte à 1956 dans les filières du café et des palmiers à huile, avec pour objectifs la production et la commercialisation. Les coopératives ainsi créées apprenaient aux paysans les techniques culturales et post récoltes. Elles leur fournissaient aussi des engrais et des équipements.
C’est notamment le cas de la Coopérative des producteurs agricoles du Congo (COOPAGRICO). Dans les années qui ont suivi l’indépendance en 1960, l’État avait financé certaines coopératives, et des grandes coopératives fonctionnaient grâce à des ONG locales. Il faut souligner que sans le financement extérieur et sans l’appropriation par les bénéficiaires, la plupart ont cessé de fonctionner.
Il faut aussi dire si le mouvement paysan a connu un grand essor dans le Kivu, c’est grâce à des initiatives locales des paysans pour trouver des solutions à leurs problèmes, appuyés en cela techniquement et financièrement, notamment par l’Union européenne (UE), à l’époque Communauté économique européenne (CEE), ainsi que par des ONG internationales.
Intérêts communs
On peut citer les cas de ADI KIVU, le Syndicat d’alliance paysanne (SAP) qui s’est mû en Solidarité paysanne, le Syndicat de défense des intérêts paysans (SYDIP) qui s’est transformé en Conseil technique pour le développement rural (COTEDER)… Quand bien même il y avait un développement à la base, le déficit de la représentation faisait défaut au niveau national. Il a fallu donc avoir une coordination des actions paysannes et pour la défense des intérêts des coopératives agricoles.
Ainsi sont nées également des fédérations provinciales pour relever les défis communs bien identifiés : faible productivité, accès difficile aux marchés, aux financements agricoles et à la terre, l’insécurité foncière, la mauvaise gouvernance agricole… Mais l’action des fédérations a montré ses limites et il a fallu donc mutualiser les efforts des fédérations en créant une confédération, que l’on appelle aujourd’hui la Confédération nationale des producteurs agricoles au Congo (CONAPAC).
Le mouvement paysan congolais est aujourd’hui dirigé par Espérance Nzuzi Muaka, membre du Comité de gestion de la plateforme industrielle de Lukula au Kongo-Central, élue présidente en décembre 2021. Ce n’est que le mardi 11 janvier 2022 que son prédécesseur et elle ont procédé à la cérémonie de passation de témoin au siège du mouvement paysan à Kinshasa, en présence de Blaise Nzwanga, le vice-président et de Rosalie Biuma, la trésorière… Décrite comme une battante par ceux qui la connaissent mieux que quiconque, Espérance Nzuzi a des idées plein la tête. Son plan d’actions est déjà tout tracé. Une analyse FFOM a été demandée aux agents afin de définir des bonnes relations avec l’exécutif.
Le lendemain de sa prise de fonction, la nouvelle présidente de la CONAPAC a pris part à la premièreréunion annuelle du ministère de l’Agriculture, au cours de laquelle il a été évoqué la tournée du président de la République dans des territoires du Grand Kasaï, mais aussi le document national de sécurité alimentaire et nutritionnelle de la FAO ainsi que la planification de la saison B 2021/2022. Deux réunions sont prévues avec les partenaires de la CONAPAC en vue de préparer la tenue d’unegrande réunion à laquelle prendront également part les délégués des ministères sectoriels. En attendant, Espérance Nzuzi a eu un entretien avec Mies Vanmullem, la représentant pays de l’ONG Trias, membre du consortium AgriCongo, sur les perspectives de partenariat avec
la CONAPAC pour 2022.
Les leçons du passé
Depuis 1960, l’État tente des politiques visant l’amélioration du secteur agricole national. Dans les années 1980, le ministère de l’Agriculture recensait plus de 42 grands projets agricoles dans le pays. Cependant, ces projets répondaient plus aux intérêts de ceux qui les avaient initiés et financés qu’aux besoins urgents de la population locale.
Par exemple, le pays produisait d’importante quantité de café pour
l’exportation mais ne couvrait pas ses besoins alimentaires. Les céréales (maïs, blé, et soja), le riz et la viande continuent à être importés, alors que le pays a la possibilité de moderniser l’agriculture et subvenir à ses besoins. Pire, les régimes politiques qui se sont succédé, n’arrêtent de proclamer l’agriculture « priorité des priorités ».
En effet, la déclaration de politique générale de 1969 assignait à l’agriculture plusieurs objectifs : produire des denrées alimentaires de base en vue d’assurer à la population une alimentation saine et équilibrée et si possible arriver à exporter ; fournir les matières premières aux industries locales ; et promouvoir les cultures d’exportation, sources génératrices de devises nécessaires à l’acquisition des biens d’équipement pour le développement du pays. La déclaration de 1969 distinguait la production agroindustrielle de la production vivrière.
Puis, il y a eu en 1990, le Plan directeur, un modèle de politique agricole globale concocté avec des partenaires dans le but de relancer le secteur agricole, conduire à son expansion et au développement du milieu rural.
La loi agricole de 2012 entend mettre en place une agriculture durable qui sauvegarde l’environnement et adapte les systèmes culturaux au fonctionnement naturel du climat et à ses perturbations. Mais elle ne fait pas consensus. Pour bien des parties prenantes, il est nécessaire d’apprendre des erreurs du passé pour définir le modèle économique qui conviendrait le mieux au contexte de la RDC.