BARNABÉ Muakadi, le directeur général de la Direction générale des impôts (DGI), a le cœur lourd. La majorité des Congolais ne paie pas l’impôt, tranche-t-il dans le vif. Selon les chiffres qu’il avance, la République démocratique du Congo ne compte que près de 200 000 nationaux qui s’acquittent de leur devoir d’impôt. « C’est un scandale en plein XXIe siècle, comparé au nombre estimé d’habitants, soit 90 millions », râle-t-il. Comme solution, le directeur du fisc préconise de rendre « obligatoires dès l’école primaire » les enseignements sur les impôts. Barnabé Muakadi dit perdre son latin quand il entend la population réclamer des actions du gouvernement mais ne paie pas l’impôt : « Un pays ne se développe pas avec les appuis extérieurs. Le gouvernement agit avant tout grâce aux impôts et taxes que paie la population. »
Colère et tollé
Les propos du directeur général du fisc, le vendredi 18 février 2022, ont provoqué la colère et un tollé. Combien sont-ils réellement les contribuables en RDC ? « De quels Congolais il parle ? Des opérateurs économiques seulement ou de l’ensemble de la population ? », se demande-t-on dans le débat. En RDC, le sentiment général est que l’impôt est odieux, car quel en qu’en soit le montant, il prend dans la bourse du contribuable pour ne rien y rapporter, comme le disait François-Vincent Raspail. « Nous payons les impôts et les taxes mais nous ne voyons pas ce que l’État fait de l’argent public pour répondre aux attentes de la population », se plaignent beaucoup de Congolais.
Chez les entrepreneurs, qui s’élèvent depuis plusieurs années contre une fiscalité asphyxiante. Par exemple, par la voix de son intrépide président Albert Yuma Mulimbi, la Fédération des entreprises du Congo (FEC) a qualifié 2021 d’une année pendant laquelle « l’environnement des affaires a été dominé par la corruption et une fiscalité confiscatoire ». Pour la FEC, le climat des affaires dans le pays a été « très morose » : peu attractif et peu transparent à cause de ces deux facteurs. À cela s’ajoute, l’insécurité juridique et judiciaire ainsi que le coût très élevé des facteurs de production au point de dissuader les investisseurs désireux d’entreprendre en RDC. « Dans un tel environnement, comment mobiliser les investissements dont le pays a tant besoin pour créer des richesses et se développer ? », interpelle un patron des PME.
Vu du côté de la FEC, il est du devoir de l’État d’accorder « une attention particulière aux doléances des opérateurs économiques en vue de l’amélioration des conditions d’exercice des affaires et en assurer le suivi ». Le principal patronat du pays demande à l’État de tout simplement « respecter les règles qu’il édicte lui-même » : être un créancier responsable, ne pas créer des litiges artificiels et ne pas se substituer au marché.
Pour leur part, la Confédération des petites et moyennes entreprises du Congo (COPEMECO) et les non-affiliées dénoncent plusieurs obstacles ou entraves dans leur expression. Les PME déplorent qu’elles sont soumises à de multiples tracasseries concernant les taxes et les impôts. Conséquence : nombre d’agents économiques préfèrent évoluer dans les méandres de l’économie souterraine. En effet, dans l’informel, la COPEMECO estime à 4 % le nombre d’assujettis qui contribuent à l’effort de maximisation des recettes fiscales.
La COPEMECO relève que les tracasseries fiscales et parafiscales sont très accentuées dans les nouvelles provinces issues de la décentralisation territoriale de 2015. Aujourd’hui, la tendance est à chaque province son administration fiscale et parafiscale, peu importe le nombre d’opérateurs économiques.
Contraintes de la culture fiscale :
Régime déclaratif
Parmi les contraintes décriées par les PME, le régime déclaratif qui caractérise le système fiscal national, selon lequel les contribuables souscrivent leurs déclarations fiscales aux échéances précises. Ces déclarations sont supposées « sincères et complètes ». D’où l’obligation faite à chaque contribuable d’être en mesure de justifier les éléments de sa déclaration. Par conséquent, l’administration fiscale dispose d’un pouvoir de contrôle ou de recherche des redevables défaillants et de vérification des déclarations souscrites.
Pour souscrire sa déclaration, il faut d’abord être informé de ses obligations, ce qui nécessite une culture fiscale approfondie chez les citoyens. Or le système fiscal congolais comporte des faiblesses, notamment la fragmentation fiscale et la multiplicité des taxes, ainsi que la lourdeur de certaines catégories d’impôts, en particulier les impôts sur les revenus. Il ne faut pas oublier les réalités socio-économiques non adaptées au régime fiscal déclaratif auquel sont soumises les PME », fait remarquer un opérateur économique.
En septembre 2017, le gouvernement a organisé à Kinshasa le Forun national de la réforme fiscale (FONAREF) qui a réuni à ses côtés les administrations fiscales, les opérateurs économiques, la société civile, les partenaires au développement bi et multilatéraux pour échanger sur le vécu fiscal congolais et les expériences de certains pays. L’objectif était de « baliser le chemin » grâce à une méthode participative et inclusive.
Payer impôts et taxes a longtemps fait débat au pays, voire souvent dénoncé, parfois avec véhémence, non seulement par les assujettis et les contribuables, mais aussi par l’État lui-même à cause de ses insuffisances en termes de mobilisation des recettes au regard du potentiel fiscal du pays.
Les faiblesses
L’étroitesse de l’assiette fiscale fait peser le fardeau sur une petite catégorie de personnes ou d’entreprises seulement, ce qui rend le système fiscal inique. Il est paradoxal que sur une population estimée à environ 90 millions d’habitants, on ne compte que quelque 200 000 assujettis au système fiscal possédant un numéro d’Impôt. En plus d’une dizaine d’impôts, il existe près de 400 taxes à caractère légal et parfois illégal. D’où l’incitation de nombre d’assujettis à la fraude et à la corruption.
Par ailleurs, la prolifération des exonérations provenant des régimes fiscaux d’exception, à l’efficacité économique peu évidente, amenuisent les recettes fiscales et entraînent un traitement discriminatoire des opérateurs économiques. Que dire de la multiplicité d’intervenants administratifs et la différenciation des procédures qui ne facilitent pas l’accomplissement des obligations fiscales et les relations entre assujettis et administrations, rendant ainsi le système fiscal complexe ?
Cette complexité ainsi que les incohérences du système fiscal font que les opérateurs économiques se plaignent d’être asphyxiés par une fiscalité très lourde, et l’État trouve faible le rendement. Les assises de septembre 2017 avaient pour but précisément de lever les options fondamentales et faire des propositions concrètes en vue de la définition d’une nouvelle législation et/ou une réglementation fiscale ainsi que de la mise en place d’une administration fiscale plus dynamique et efficace.
En attendant cette réforme dont l’objectif majeur serait d’inciter les assujettis ou les contribuables et ceux qui se cachent encore dans l’informel à sortir de la clandestinité et à renoncer à la fraude fiscale, l’État devrait revoir à la baisse le barème ou le taux en tenant compte des réalités. Il devrait aussi réduire nombre d’intervenants, supprimer la multitude de taxes fiscales et parafiscales redondantes et instaurer un impôt global, libératoire et incitatif. Cet impôt tiendrait compte des réalités socio-économiques des PME. L’État devrait également instaurer le système de déclaration unique regroupant toutes les taxes fiscales et parafiscales, etc.