LE 1er avril 2024, Judith Suminwa Tuluka/JST devenait la première femme cheffe du gouvernement en République démocratique du Congo/RDC. En attendant qu’elle prenne ses fonctions à la Primature, au 05 avenue roi Baudouin, à Gombe, la nouvelle Première ministre a-t-elle déjà pris la mesure de ce qui l’attend ? Parce qu’elle est tout un symbole pour les femmes, parce qu’elle leur a ouvert la voie, parce que nul n’ignore les difficultés qu’elle va affronter désormais.
Quel est l’objectif prioritaire que Judith Suminwa s’est donné en acceptant de conduire l’action gouvernementale pour le second mandat de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo ? En a-t-elle discuté avec le président de la République avant d’accepter sa nomination, tant l’exercice, avouons-le, n’est pas facile et ne sera pas non plus de tout repos ? Ces préoccupations, comme tant d’autres, sont pour l’instant en l’air et les gens se perdent en conjectures.
Pour un président de la République, nommer une femme, c’est prendre un risque en politique, du fait que le poste de Premier ministre est un poste très difficile, en tout état de cause. Mais les difficultés accroissent par le fait que le chef du gouvernement est une femme. Car les attaques de tous genres invoquant le plus souvent sa féminitude compliquent encore plus la situation politique.
Le choix de nommer JST au poste de Premier ministre ne manque pas de panache. C’est la première fois que la RDC reconnaît, au sommet de l’État, l’égalité des sexes. Mais c’est loin d’être une « première » dans le monde : Margaret Thatcher (Royaume Uni), Golda Meir (Israël), Indira Ghandi (Inde), Benazir Bhutto (Pakistan), Edith Cresson, Élisabeth Borne (France), Angela Merkel (Allemagne)… l’ont précédée, avec des parcours vraiment atypiques pour pouvoir mener le changement.
L’effet femme
Dans l’opinion nationale, l’effet femme joue à plein. Les critiques se déchaînent : il y a une grande part de misogynie dans les attaques et les arguments politiques.
La surprise du microcosme politique est totale. Les femmes se réjouissent, pour leur part, de cet événement où elles ont perçu une manière de révolution politique et symbolique. Elle l’est, en effet, dans notre pays, si réticent à la citoyenneté politique des femmes.
Au Parlement, leur représentation n’a jamais excédé le seuil constitutionnel de 30 %, seulement 13 % pour la législature 2024-2028 à l’Assemblée nationale. Au gouvernement, leur participation a toujours été marginale, 28 % dans le gouvernement sortant. Et beaucoup considèrent que la RDC n’est peut-être pas encore prête à désigner une femme à la tête du gouvernement.
Selon des sondages réalisés au lendemain de la nomination de Judith Suminwa, la majorité des Congolais en sont contents tant la déception était grande pendant le premier mandat de Félix Antoine Tshisekedi. Dans la classe politique, des responsables des partis s’interrogent, eux, sur ses capacités à diriger le pays. Par ici par là, on entend des « propos grossiers » et des critiques féroces à son égard. Même s’ils ne le manifestent pas en public, les « barons » de l’Union sacrée de la nation/USN, la plate-forme politique qui soutient le président de la République, se sentent d’autant plus humiliés qu’ils semblent prêts à la déstabiliser à tout moment.
Avec un air de rappel, Edith Cresson, fut nommée Première ministre en mai 1991, devenant la première femme chef de gouvernement en France. Rapidement devenue très impopulaire, elle était contrainte de quitter Matignon moins d’un an après sa nomination : très vite, la Première ministre commit des faux pas. Sa politique de communication, qui confondait fermeté et crudité du langage, s’avéra vite peu adaptée…
Pas de pitié pour Édith Cresson. L’impression défavorable ressentie dès le début fut confirmée lors de la présentation de son programme à l’Assemblée nationale. Discours « médiocre », selon des médias français, et qui, en dehors de son volontarisme industriel, n’apporta rien de nouveau par rapport à son prédécesseur, Michel Rocard, mais qui lui valut la sympathie des chefs d’entreprise. Conséquence, la côte de popularité de la Première ministre s’effondra rapidement. Les très mauvais résultats des élections régionales conduisirent François Mitterrand, le président de la République, à lui demander sa démission en avril 1992. Edith Cresson aura été donc le Premier ministre en France dont le passage à Matignon a été le plus court de la Ve République, un peu moins de onze mois. Et pourtant, derrière elle se dessine le portrait d’une femme compétente, courageuse, battante jusqu’au bout, énergique, volontaire mais victime d’un monde politique misogyne.
« L’ancienne cheffe du gouvernement de François Mitterrand a gardé de très mauvais souvenirs de son passage à Matignon et en garde toujours une certaine amertume. Coincée entre une majorité qui la soutenait à peine, des accusations sexistes et des propos qui faisaient polémique, elle n’a jamais vraiment trouvé sa place. »
Victime expiatoire ?
L’ancienne cheffe du gouvernement de François Mitterrand a gardé de très mauvais souvenirs de son passage à Matignon et en garde toujours une certaine amertume. Coincée entre une majorité qui la soutenait à peine, des accusations sexistes et des propos qui faisaient polémique, elle n’a jamais vraiment trouvé sa place.
En tout cas, personne ne souhaite vraiment que cela arrive à Judith Suminwa . Le risque d’être la victime expiatoire de toute une série de dysfonctionnements touchant la société congolaise dans son ensemble, qui accumule les difficultés sociales. Dans certains cercles des femmes, on semble regretter que ce soit précisément la première femme congolaise accédant à une haute fonction qui soit sacrifiée par les nécessités politiques du moment. Judith Suminwa risque de faire également les frais de différents scandales politico-financiers qui sont révélés quelques temps avant son arrivée au pouvoir, comme l’affaire forages et lampadaires.
Certes, le contexte catastrophique peut jouer en sa défaveur tout comme en sa faveur. Mais tout dépendra des capacités et talents cachés dont elle fera montre pour surfer sur la vague. Autour de nous, les exemples de femme de caractère dont elle se doit de s’inspirer sont légion. Au Royaume-Uni, Margaret Thatcher a exercé le pouvoir pendant onze ans. En Allemagne, Angela Merkel a été chancelière pendant seize ans. Il est vrai qu’en Allemagne et au Royaume-Uni, le Premier ministre est élu, contrairement à la RDC où il est nommé par le président de la République.
Style et vision
En Allemagne, première femme chancelière de l’histoire du pays, Angela Merkel a incarné une figure modèle pour les féministes. Pendant seize ans, la chancelière a fait preuve de pugnacité, bravant les déceptions de la base de son parti, SPD, et les enquêtes d’opinion. D’aucuns estimaient qu’elle aurait du mal à imposer son style, elle que Helmut Kohl qualifiait de « gamine », lorsqu’il la fit entrer dans son gouvernement au ministère de la Famille en 1990.
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