Le rapport du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme (BCNUDH) publié le 15 octobre, et qui met en cause le comportement de la police lors de l’opération « Likofi », n’a pas plu au gouvernement. Kinshasa n’a pas hésité à déclarer son directeur persona non grata.
F
uite en avant ou indignation légitime ? Rien n’est simple. Force est de reconnaître que le torchon brûle entre le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme et les autorités congolaises. Principal accusé, Scott Campbell, le chef de cette structure qui existe depuis février 2008. Elle comprend la Division des droits de l’homme de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) et le Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme en République démocratique du Congo (HCDH-RDC). Le dernier rapport du BCNUDH est axé sur « les violations graves des droits de l’homme, à savoir des exécutions sommaires et extrajudiciares et des disparitions forcées, commises à l’encontre de civils par des agents de la Police nationale congolaise (PNC) dans le cadre de l’opération « Likofi ». Cette opération avait pour but de lutter contre la délinquance à Kinshasa et a été menée entre le 15 novembre 2013 et le 15 février 2014 », précise les auteurs. Au terme de nombreuses enquêtes menées à partir de novembre 2013, juste après le lancement de l’opération Likofi, conduite de manière alternative par le général Célestin Kanyama Tshishiku, inspecteur provincial de la police de Kinshasa, et le général Séguin Ngoy Sengelwa, commandant de la Légion nationale d’intervention (LENI), le BCNUDH se dit « en mesure de confirmer que l’opération ‘Likofi’ a fait au moins 41 victimes de sexe masculin. Parmi elles, neuf ont fait l’objet d’exécutions sommaires, et 32 de disparitions forcées. Ces violations auraient été commises par des agents de la PNC. » Se référant à « des sources policières concordantes », le rapport indique que l’opération « Likofi » « aurait été menée sur la base d’informations fournies par des agents de la police en charge des renseignements et par des indicateurs en ce qui concerne l’identité de présumés ‘kulunas’. Ces indicateurs ont parfois accompagné les agents de police pour procéder aux arrestations. Dans certains cas, l’opération aurait donné lieu à de véritables rafles, sans indentification préalable des personnes arrêtées. Les informations à la disposition du BCNUDH sur les cas qui ont pu être vérifiés n’indiquent pas que les victimes étaient armées, ou représentaient une menace ou un danger lors de leur interpellation. » Les auteurs du rapport mettent aussi l’accent sur la manière utilisée lors des exécutions sommaires et extrajudiciaires : « Elles auraient été commises par des agents de la PNC portant des cagoules, certains munis d’armes à feu, et se déplaçant à bord de véhicules de type jeep sans plaque d’immatriculation. La majorité des victimes auraient été tuées dans leur quartier, parfois à la sortie de leur domicile. » Autre constat, « les corps des victimes ont été, pour la plupart, récupérés par des agents de la police des commissariats de leur lieu d’habitation, tôt le matin, pour être emportés ensuite à bord d’un véhicule à la morgue de l’Hôpital général de référence de Kinshasa (HGRK). Selon certaines sources crédibles, plusieurs dizaines de corps auraient été entreposés à la morgue. » Mais les enquêteurs eux-mêmes n’ont pu vérifier cela car « l’équipe du BCNUDH s’est vu refuser à plusieurs reprises l’accès à la morgue de l’Hôpital général de référence de Kinshasa gardée par des contingents militaires et policiers. De plus, le BCNUDH a reçu une information selon laquelle une injonction aurait été donnée par le gouvernorat, qui administre la morgue, pour restreindre l’accès des observateurs et/ou activistes des droits de l’homme à la morgue. » Dès le lendemain de la publication de ce rapport, le gouvernement a répliqué. Le ministre de l’Intérieur, de la Sécurité, de la Décentralisation et des Affaires coutumières, Richard Muyej Mangez, piqué au vif, a déclaré, le 16 octobre, au cours d’une conférence de presse : « Il nous revient de constater avec amertume que le présent rapport, sous examen, a été mené de manière partiale et partisane, avec l’intention manifeste de discréditer la PNC, de démoraliser ses agents et de déstabiliser les institutions de la République. (…) Le Bureau conjoint nous avait saisis en date du 2 juin 2014, en nous soumettant la première mouture de son rapport sur l’opération ‘Likofi’. Nous y avions répondu en date du 5 septembre 2014. Quelle n’est pas notre surprise de constater aujourd’hui que le Bureau conjoint n’ait pas tenu compte des observations que nous leur avions dûment versés et qu’il se soit tenu à sa version des faits, une version largement contredite par les faits eux-mêmes. »
Par conséquent, a ajouté le ministre de l’Intérieur, « Scott Campbell remplit désormais les conditions requises pour être déclaré persona non grata. » Quant au ministre des Médias, Lambert Mende Omalanga, il est allé encore plus loin : « Au cours des évaluations avec le gouvernement, Monsieur Campbell avait été maintes fois alerté sur le fait que ses services étaient instrumentalisés par les responsables de ces officines de la haine qui passent le plus clair de leur temps à ruminer des plans machiavéliques de vengeance contre le président Joseph Kabila, ‘coupable’ de les avoir défaits aux élections de 2011. » Autrement dit : « Il a été constaté de bien curieuses accointances fonctionnelles entre le numéro un du BCNUDH à Kinshasa et des membres connus et reconnus d’une certaine opposition, appelons-la non-républicaine pour ne pas utiliser un qualificatif plus désobligeant, dont les officines sont source de plusieurs éléments professionnellement inacceptables dans les rapports estampillés BCNUDH. » Scott Campbell a quitté Kinshasa le matin du 18 octobre. D’après son adjoint, Carlos Araujo, contacté par Business-et-Finances, « c’est dans le cadre de ses vacances, qui étaient déjà programmées. Il va revenir. »