Les problèmes de primes non payées, payées en retard ou amputées restent au cœur des tensions entre les footballeurs et dirigeants des instances sportives de leurs pays ainsi que l’explication, dans certains cas, de leur mauvais comportement sur le terrain.
C’est fin décembre 2014 que Jean-Florent Ibenge Ikwange, le sélectionneur des Léopards, a fini par signer le contrat qui le lie, jusqu’en août prochain, à la Fédération congolaise de football association (Fécofa). Il a fallu pour cela de multiples tractations entre la Fédération congolaise de football association (Fécofa) et le gouvernement. « Il est temps pour le staff technique de signer officiellement un contrat de travail avec notre pays parce qu’il s’agit maintenant d’une phase finale et non d’une période éliminatoire », affirmait alors Constant Omari, le président de la Fécofa. Il révélait ainsi ce que tout le monde savait : « Ces entraîneurs ont qualifié l’équipe nationale à la CAN sans salaire. Ils n’ont touché que des primes de matches de qualification. » Ainsi, le sélectionneur national devait toucher 18 000 dollars par mois et son adjoint, Mwinyi Zahira, environ 15 000 dollars. Le contrat expire en en août prochain.
Mieux vaut un chien vivant qu’un lion mort
Que les Léopards aient réalisé l’exploit de finir la compétition sur la troisième marche du podium relève du miracle d’autant que, pendant certains les matches de qualification, ils n’avaient pas touché la moindre prime. Ce qui faisait dire à Vincent Badibanga, psychologue du sport, avant la phase finale en Guinée-Équatoriale qu’« en cas de disette, les Léopards seront inoffensifs tout au long de cette compétition. Mieux vaut un chien vivant qu’un lion mort. » Spécialiste des études comportementales humaines, il rappelait deux théories de motivation de l’individu : le processus de frustration-régression et celui de comparaison sociale qui influencent inévitablement l’attitude des footballeurs à cause de l’épineuse problématique des primes de matches. La première théorie stipule : « Dès lors qu’un individu est déçu par la non satisfaction d’un besoin, il peut se rabattre sur le type de besoin immédiatement inférieur, autrement dit, il va observer une attitude qui va le niveler vers le bas. Comme exemple pratique, Badibanga cite la sélection camerounaise, les Lions indomptables qui, lors du dernier Mondial au Brésil, a démontré ce qu’il appelle « la honte africaine en sol étranger. » Le onze camerounais a connu plusieurs faux pas dus aux primes promises. En l’absence d’un accord avec leur fédération sur les primes qui leur revenaient de droit, les joueurs avaient boycotté le voyage pour le Brésil. Ensuite, ils avaient réclamé chacun la somme de 180 000 dollars comme prime de participation, alors que l’État camerounais n’avait prévu que 70 000 dollars. Enfin, avant leur dernière rencontre contre la Croatie, une dispute a éclaté dans les vestiaires entre le capitaine de l’équipe, Samuel Eto’o, et un membre de la fédération parce que l’argent attendu restait toujours invisible. Conséquence, sur les trois matches joués, les Camerounais ont subi trois défaites, marqué un seul but contre neuf encaissés. Ce fut une élimination au premier tour parsemée d’actes d’anti- jeu spectaculaires, en plus de la fameuse affaire des « 7 pommiers pourris » au sein du groupe. Tous ces faits avaient fini par paralyser l’équipe et terni, en sus, l’image des joueurs et celle de leur pays.
Problèmes d’argent et déconcentration des joueurs
« Quand on parle des problèmes d’argent à quelques heures d’une rencontre importante, l’expérience dans ce domaine a démontré que ces équipes connaissent généralement un fiasco», affirme Vincent Badibanga, qui souligne que « les joueurs sont déconcentrés et l’attention sera plus focalisée sur leurs poches que sur le jeu.» Pour lui, « il faut qu’ils soient servis quinze jours au minimum avant la compétition pour rester concentrés. » On se souvient d’un épisode qui remonte à la CAN 2006 lorsque les Simba de l’époque voulaient boycotter le match de quarts de finale contre les Pharaons d’Égypte parce qu’ils n’avaient pas touché leurs primes. « Si les joueurs ne sont pas payés, ils ne joueront pas », avait alors déclaré le sélectionneur français Claude Leroy. Il avait fallu attendre un vol spécial du ministre des Sports d’alors, Jacques Lungwana, pour que les joueurs montent sur le terrain. Score final : quatre buts à un en faveur des Égyptiens.
Des problèmes récurrents
On peut également évoquer l’élimination des Black Stars du Ghana au premier tour de la Coupe du monde au Brésil. À demande des joueurs, le Ghana avait affrété un avion transportant les fameuses primes, en espèces, afin de remonter le moral des joueurs avant le match décisif contre le Portugal. « L’avion doit arriver dans quelques heures, mais ils ont décollé depuis longtemps. Je ne peux pas vous donner le montant, les joueurs me tueraient. L’usage au Ghana c’est qu’on paie en liquide car tous les joueurs n’ont pas de comptes au Ghana. (…) Je ne dis pas que c’est la meilleure manière, mais en Afrique c’est différent de l’Europe, il faut le comprendre », se confiait le sélectionneur Kwesi Appiah à la presse. Quant aux Super Eagles du Nigeria, ils ne s’étaient pas présentés à l’entraînement le 26 juin 2014, en pleine compétition. Raison invoquée par la presse nigériane : les joueurs réclamaient des primes conformes à leur qualification pour les huitièmes de finale de la Coupe du monde. Résultat : ils ne sont pas allés plus loin dans la compétition. « En Afrique, où les fédérations sont presque toujours dépendantes financièrement des États, le versement des primes se fait souvent en cash et il n’est pas exceptionnel que des ministres débarquent avec des valises bourrées de billets de banque », selon Patrick Mboma, l’ancien attaquant de l’équipe nationale du Cameroun.
L’équité avant toute chose
Quant au second processus d’équité, « il suppose que les individus comparent leur situation avec celle des autres pour vérifier s’ils sont traités de manière équitable afin d’agir en fonction du traitement subi », poursuit Badibanga. « Ici, il n’est pas question de comparaison et de raison, mais plutôt d’une question capitale axée sur la motivation plus ou moins équilibrée des uns et des autres. Par exemple, nos adversaires tunisiens dans ce tournoi auraient déjà touché chacun un montant de 35 000 dollars comme prime de participation. Ils auraient promis de verser une partie de cette somme à une association caritative. Quant à la gratification des joueurs congolais, elle n’a pas été divulguée. « Or, si leurs primes sont de loin inférieures à celles de leurs adversaires, une iniquité s’installera dans leur mental et elle pourra développer en eux un complexe », insiste le psychologue. En 2013, le Trésor public avait déboursé un million de dollars à la veille du départ des Léopards en Afrique du Sud, à raison de 25 000 dollars pour la participation à la compétition et 15 000 dollars comme prime de match. Mais la distribution de la cagnotte avait créé des vives tensions au sein de l’équipe en plein tournoi. Les Léopards furent éliminés au deuxième tour. Invité le 21 décembre 2014 sur Radio Okapi, l’entraîneur adjoint des Léopards, Mwinyi Zahira, a déclaré : « Les joueurs ont accepté de venir [au sein de l’équipe nationale, NDLR] et de nous qualifier [pour la phase finale]. Donc, priorité à eux. » Le message était clair.
Très peu de temps avant se rendre en Guinée-Équatoriale, les Léopards avaient fini par connaître le montant de leurs primes, tel que communiqué par la fédération : 5000 dollars par match, quelle que soit l’issue de la rencontre, avec l’éventualité d’une augmentation en cas de qualification pour les quarts de finale. Constant Omari, le président de la fédération avait alors tenu ce discours plus que menaçant à l’endroit des joueurs : « Vous ne venez pas à l’équipe nationale pour faire de l’argent, mais pour faire honneur au drapeau que vous venez défendre (…). J’ai dit au coach que celui qui est indiscipliné, vous le mettez dans l’avion et il part, même si c’est le meilleur joueur du monde. Je préfère perdre avec des joueurs disciplinés que gagner avec des joueurs indisciplinés. »
Une gestion chaotique
La réclamation des primes par les sélections africaines est une preuve de la mauvaise gestion des fédérations africaines de football. Elles tergiversent pour donner les primes aux joueurs tout en sachant que, pour le cas de la Coupe du monde, par exemple, chaque fédération reçoit 8 millions de dollars. Pourquoi alors ne pas motiver les joueurs avant le début de chaque compétition ? Réponse de Jean-Florent Ibenge : « C’est comme si vous envoyiez un enfant à l’école et que vous ne payiez pas sa tenue, son minerval, sa restauration et que vous vouliez, après, qu’il soit le premier de la classe. C’est un peu compliqué. »