Convoquée par la direction à un entretien préalable à un licenciement « pour faute grave », la journaliste a vu la procédure disciplinaire annulée trois jours après.
Zineb El Rhazoui a été convoquée à un entretien préalable à un licenciement « pour faute grave ». Trois jours après, coup de théâtre : la procédure disciplinaire a été annulée. La crise au sein de Charlie Hebdo est-elle en voie de résolution quatre mois après l’odieux attentat perpétré contre le journal satirique français ?
Zined El Rhazoui est l’une des rescapées de la tuerie du 7 janvier 2015. Cette sociologue franco-marocaine, militante anti-islamiste, a été aussi l’une des quinze salariés, sur la liste que compte l’hebdomadaire français, à avoir réclamé publiquement en avril dernier une gouvernance plus collégiale du tabloïd. Selon le journal Le Monde, elle a reçu, mercredi 13 mai, un courrier de la direction la convoquant à un entretien préalable à un licenciement « pour faute grave ». Il s’agissait seulement de la « rappeler à ses obligations minimales vis-à-vis de son employeur, suite à des nombreux incidents », a indiqué une porte-parole de la direction, sans préciser ce qu’il lui était reproché.
Vu ses positions hostiles aux islamistes, elle a notamment fait l’objet de menaces de mort de la part de ces derniers à la mi-février. Visant également son mari, ces menaces ont été dénoncées par des sociétés de journalistes. Par ailleurs scénariste de la vie de Mahomet, dessiné par Charb, El Rhazoui vit depuis sous protection renforcée, à Paris.
Je vis dans des chambres d’amis
« Mon mari a perdu son emploi car des jihadistes ont dévoilé son lieu de travail, il a dû quitter le Maroc. Je suis menacée, je vis dans des chambres d’amis ou à l’hôtel et la direction envisage de me licencier… Bravo Charlie », a-t-elle ironisé à la sortie de son rendez-vous.
Sans préjuger du motif du courrier reçu, Mme El Rhazoui a expliqué qu’elle n’a pas pu travailler normalement depuis les attentats qui ont décimé la rédaction en janvier. « Je ne suis pas la seule. On ne peut pas reprocher aux gens d’aller mal et de ne pas se comporter en bons ouvriers, on vit dans des conditions chaotiques. C’est impossible de faire des reportages sous protection policière… », explique-t-elle.
Avant janvier, elle a réalisé pour Charlie Hebdo des reportages en France et à l’étranger, notamment en Afrique, souvent sur les religions. Elle a été recrutée en 2011 pendant les « printemps arabes ». Auparavant, elle a été militante au Maroc, opposée au régime ou au ramadan, via notamment le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles, qu’elle a cofondé. Elle a aussi été très active au sein de l’association « Ni putes ni soumises ».
Depuis janvier, Mme El Rhazoui est souvent apparue dans les médias, notamment au « Grand Journal », afin de défendre la laïcité contre l’islamisme ou le droit au blasphème, des thèmes liés à Charlie Hebdo et aux attentats, comme lors des conférences à Chicago, Montréal ou Paris.
Victime d’une mesure punitive
Au fond, Mme El Rhazoui a pensé être victime d’une « mesure punitive » pour avoir contesté la direction actuelle de Charlie Hebdo. Elle a fait partie des signataires d’une tribune parue fin mars dans Le Monde demandant une « refondation » du journal et une gouvernance ainsi qu’une structure de capital beaucoup plus collégiale qu’aujourd’hui. Le capital est actuellement détenu à 60 % par le directeur de la publication Riss et le directeur financier Eric Portheault. Ils travaillent de façon assez étroite avec le rédacteur en chef Gérard Biard.
La tribune des journalistes qui ont créé une association n’avait pas plu à la direction, qui s’est estimée injustement visée. Un e-mail a été envoyé aux signataires, leur demandant de ne pas émettre de critiques à l’extérieur. Par ailleurs, les salariés ont été consultés sur leur vision du futur du journal, dans l’optique d’une future nouvelle formule. Patrick Pelloux, chroniqueur à Charlie, est furieux du courrier envoyé à Zineb El Rhazoui : « On est tous encore en train de gérer l’après-attentat. Convoquer des membres de l’équipe qui sont encore dans des souffrances incroyables, c’est méchant et déloyal. » « Recevoir des prix pour la liberté d’expression et convoquer des journalistes menacés, c’est paradoxal, ajoute-t-il. Et on n’a pas d’explication alors que le journal se veut alternatif et socialement irréprochable… »
Un autre journaliste s’indigne du sort réservé à Zineb El Rhazoui, qui est une « grande gueule » mais qui « s’est exposée et mise en danger depuis des années » pour écrire un livre comme celui sur Mahomet avec Charb, ou pour ramener des reportages.
Une décision aussi bête que méchante
« Je suis très surpris d’une décision aussi bête que méchante, mais pas au sens de Hara-kiri…, critique-t-il. La méthode est incroyable pour Charlie. C’est violent. » La réaction de la direction sous-entend qu’il pourrait ne pas s’agir de licencier Zineb El Rhazoui, simplement de la rappeler à l’ordre et à ses devoirs envers le journal. Cette dernière ne décolère pas et estime que « si c’était le cas, on aurait dû discuter… ».
Après de multiples pressions, la direction de l’hebdomadaire a réhabilité Zineb El Rhazoui de ses fonctions. Pour cette journaliste, la tentative de la licencier était une façon de sanctionner sa prise de position qu’elle réaffirme sans hésitation. « Aujourd’hui, cette direction doit comprendre que ce que Charlie Hebdo symbolise, c’est quelque chose qui ne lui appartient pas. Charlie Hebdo a été au cœur d’un immense élan de soutien à la fois moral et matériel. Il est évident que cet argent qui a été envoyé pour aider les familles des victimes, pour aider les blessés, pour permettre à ce journal de perdurer, cet argent là ne peut pas rester concentré entre les mains de deux actionnaires. Il faut faire évoluer cette situation là vers une situation d’entreprise plus sociale, plus collective et plus transparente ».
Dans les prochains jours, elle va rencontrer le directeur du journal pour évoquer avec lui l’avenir du journal qui, depuis l’attentat de janvier, a recueilli près de 30 millions d’euros.