Les hommes politiques s’en éloignent ou s’en servent en fonction de leurs intérêts.
La question du religieux est très sensible en Afrique où la quasi-totalité de la population est croyante. Les hommes de Dieu sont musulmans, chrétiens ou animistes. La religion est presque partout sous différentes formes. Les hommes politiques s’en éloignent ou s’en servent en fonction de leurs intérêts. Et ces religieux : sont-ils les dindons de la farce ou des complices ?
On constate que l’influence religieuse est instrumentalisée par le politique aujourd’hui, comme c’était le cas hier avec le colon, pour légitimer et cautionner certains choix et pratiques politiques allant contre les intérêts du peuple africain à l’instar de l’éternisation au pouvoir, la gestion patrimoniale ou la justice des vainqueurs.
Par exemple, dans les décrets du 30 et du 31 décembre 2008, le président Paul Biya du Cameroun, candidat à sa propre succession, nommait les membres du Conseil électoral (Elecam). Sur les 14 membres nommés, 12 appartenaient à son propre parti politique, le RDPC.
Suite à l’émoi suscité aux niveaux national et international, il avait élargi le Conseil électoral à 18 membres, trois mois avant les élections présidentielles d’octobre 2011, en cooptant Monseigneur Dieudonné Watio, évêque de Bafoussam et évêque jusqu’à mars 2011 du diocèse de Nkongsamba, ancien fief du maquis et de l’opposition.
Il y avait aussi le révérend Dieudonné Massi Gams, secrétaire général de l’Église presbytérienne du Cameroun (EPC) et président de l’Alliance des Églises réformées en Afrique, sans oublier le professeur Pierre Titi Nwel, coordonnateur du Service national « Justice et Paix » à la Conférence épiscopale nationale du Cameroun.
Appel de Dieu contre appel des anges
Comment pouvait-on continuer à décrier la partialité d’Élecam avec la présence de ces personnalités morales aux côtés des caciques du régime qui allaient protéger les intérêts de leur candidat? Pis, ces « bons » religieux avaient appris à leurs dépens la réduction des pouvoirs d’Élecam dans l’organisation des élections au profit de l’administration publique et de la justice. Par exemple, la proclamation, même partielle, des résultats avait été retirée à Élecam au profit du Conseil constitutionnel (fictif) et donc, de la Cour suprême dont le président du Conseil de la magistrature n’est autre que le président-candidat qui en nomme les juges.
La situation est similaire en Côte d’Ivoire. Une commission pour le Dialogue, la Vérité et la Réconciliation en Côte d’Ivoire (CDVR) avait été mise sur pied entre septembre 2011 et décembre 2014. A la fin de son mandat, après un bilan mitigé et suite à la déclaration de candidature aux prochaines élections présidentielles d’octobre 2015 de son président, Charles Konan Banny, une autre Commission nationale pour la réconciliation et l’indemnisation des victimes (CONARIV) a été créée le 24 mars dernier avec à sa tête Paul Siméon Ahouanan, l’archevêque métropolitain de Bouaké, ex-capitale de la rébellion.
Cela aurait été un « appel de Dieu » si le religieux répondait à l’appel des « anges ». Le prélat apportait ainsi sa caution morale à un calcul pré-électoral qui attribue les postes-clés de la justice et des élections aux ex-rebelles (Cour d’assises, Cour suprême, Cour constitutionnelle, etc.) et à la majorité présidentielle constituée du RHDP, Rassemblement des houphouëtistes (présidence de la Commission électorale et 10 membres sur 17).
Bénir la vérité des uns et maudire celle des autres
Le prélat acceptait ainsi d’œuvrer pour le pardon à sens unique. Il cautionnait la totalisation hégémonique qui consiste à dire que les gentils, « c’est Nous les vainqueurs » et les méchants, « c’est Eux les vaincus ». La neutralité du prélat est mise à rude épreuve puisqu’il doit choisir entre les victimes présentées par les vainqueurs et les victimes présentées par les vaincus.
Du côté des religieux, l’ambition angélique semble de mettre leur personnalité morale à contribution pour assurer des missions d’apaisement et de réconciliation. Sauf que la réconciliation et la pacification reposent sur la Mémoire et la Vérité.
Le religieux semble bénir la vérité des uns et maudire celle des autres. Il semble canoniser la mémoire constituée par les uns contre la mémoire effective des autres. Ce faisant, il adopte une démarche sectaire au moment où l’on attend de lui qu’il soit un arbitre incorruptible. En l’état, il n’est rien d’autre qu’un citoyen comme les autres qui peut prétendre à un poste de responsabilité, prendre position dans un conflit social ou exprimer librement son opinion.
Le religieux dit aussi qu’il veut devenir proactif en saisissant les opportunités que lui donne le séculier pour être présent dans les lieux de prise de décision. Le problème est que dans l’histoire de leur collaboration, le religieux s’est toujours fait détourner par le politique qui le contraint soit à garder le silence pendant des crimes abominables, soit à l’accompagner dans des missions de domination. Le religieux devient membre du jeu politique à ses dépens.
Au religieux de garder son autonomie
Il se retrouve en train de négocier un ordre social qui ne profite qu’aux plus forts de ce monde. Par exemple, dans une situation de divergence autour de la Commission électorale (CÉI) en Côte d’Ivoire, l’imam Diakité Ousmane, représentant du Conseil supérieur des imams, avait gardé le silence et Monseigneur Alexis Touably, président de la Conférence épiscopale, avait déclaré à la sortie d’une audience avec Ahmed Bakayoko, le ministre de l’Intérieur mis en cause : « l’Église n’est jamais partie de la CÉI. (…) La sortie de la salle (…) de l’Abbé Martial Boni Boni était, tel un «berger», pour demander à tous ceux qui sont sortis de revenir ». Ce faisant, l’Église s’était décrédibilisée dans la mesure où la pression de l’opposition avait fait bouger les lignes et avait abouti à l’inscription des réformes à l’agenda politique.
Pour atteindre son objectif de paix, il revient au religieux de garder son autonomie en créant ses propres structures parallèles pouvant servir de référence. Au sein de l’Église catholique, par exemple, cela s’inscrirait dans le cadre du Conseil pontifical Justice et Paix né du Concile Vatican II qui avait recommandé de créer « un organisme de l’Église universelle, chargé d’inciter la communauté catholique à promouvoir l’essor des régions pauvres et la justice sociale entre les nations ».