La législation en République démocratique du Congo interdit de vendre des boissons alcooliques et des cigarettes aux moins de 18 ans. En plus leur présence dans des lieux où ces produits sont vendus ou dégustés. Pourtant, la réalité est toute différente.
Le ministère de l’Information, de la Presse et de la Communication nationale avait, en juillet 2007, signé un arrêté fixant les critères d’appréciation de la publicité sur le tabac et les boissons alcoolisées. Il est prévu, dans cet arrêté, outre des commissions de contrôle et de visa de la publicité, des avertissements sanitaires suivis de mesures visant la protection du mineur. « L’avertissement sanitaire devra apparaître sur chaque paquet, sur chaque carton de distribution ainsi que sur chaque article promotionnel sur lequel l’espace communiquant la marque est supérieur à 25 cm2 », énonce le sixième article de cet arrêté ministériel. Le texte précise : « L’avertissement sanitaire apparaîtra dans une couleur et une dimension lisibles. L’indication comportant la teneur en alcool pour les boissons alcoolisées doit être homothétique au format du support utilisé. Ses dimensions seront le dixième de celles du support ». La langue d’usage pour toutes les informations à faire figurer sur les paquets, cartons et articles promotionnels de tabac et des boissons alcoolisées est le français.
En outre, le même arrêté interdit l’achat, la vente et la distribution de tout objet promotionnel à des mineurs. Tout en précisant que les consommateurs adultes les seuls sont habilités à acheter et à vendre les produits tirés du tabac. Le texte est aussi un garde-fou en ce qui concerne la consommation par des enfants. Il la formule en ce sens : « la dégustation des produits de tabac ne peut être offerte à une personne qui n’a pas encore atteint l’âge de 18 ans. » Cependant la réalité sur le terrain est tout autre.
Une communication à demi- mot
En principe les instructions des cigarttiers auprès de leurs délégués commerciaux sont stricts : « Ils ne doivent pas vendre de la cigarette ni recruter comme revendeurs les mineurs » confie Alain Mayembe qui a longtemps travaillé pour une firme de fabrication de cigarettes au Congo (avant sa fermeture). « Ils sont tenus de transmettre l’information aux revendeurs qui à leur tour doivent la communiquer aux débitants » dit-il. En réalité, tous les débitants rencontrés disent n’avoir reçu aucune instruction sur la règle à suivre. Plus inquiétant, un revendeur-grossiste semble étonné que la loi interdise la vente aux mineurs et que l’instruction figure sur le paquet de cigarettes. Il affirme par contre être au courant de l’avertissement « Fumer est préjudiciable à la santé » écrit en majuscule sur le paquet. Quant aux instructions, Il avoue n’en avoir jamais reçu. Revers de la médaille : « les délégués commerciaux en quête d’avantages qu’apporte leur zone de chalandise et les fabricants qui cherchent à conquérir des nouvelles parts de marché dont la jeunesse diront les choses à demi-mot » explique Alain Mayembe avant de conclure « Exposer les enfants à la manipulation d’alcool ou de tabac, c’est les inciter à en consommer plus tard. » Pour lui, la donne ne pourra pas changer tant que les industriels du tabac et de l’alcool fournissent de l’emploi aux jeunes, parrainent les événements sportifs et payent des taxes à l’État. Ce dernier restera toujours muet.
Le mal est profond
La loi est formelle sur l’implication des mineurs face au problème. Aujourd’hui, il est possible, en République démocratique du Congo que les débitants d’alcool et de tabac soient des jeunes dont l’âge varie entre 10 et 17 ans. Dans les pires des cas, ce sont les moins de 10 ans qui sont sollicités.
Ndala, 15 ans s’occupe du bar de ses parents dans la commune de Kasa-vubu quand ils ne sont pas là. « D’ailleurs chez nous », poursuit-il, « tout le monde vend, petit ou grand, il suffit qu’un client se présente, nous le servons sans tenir compte de la nature de sa commande ». Moseka, sa sœur de 10 ans vient prendre une commande de boisson alcoolisée. La mère s’étonne qu’il existe une loi interdisant aux mineurs de vendre de la bière. Pour Kayiba, qui tient une buvette à son domicile, c’est son fils de 17 ans qui s’occupe de l’achat des boissons dans les dépôts. Elle non plus n’est pas au courant de la réglementation.
Hamuli, 16 ans, possède son propre kiosque de vente d’unités téléphoniques. Mais, sur l’étal se trouve également des paquets de cigarettes. Interrogé, il affirme : « C’est depuis une année que je vends des cigarettes. C’est un commerce que j’ai commencé pendant les vacances de l’année dernière. Au début, un monsieur me fournissait. Maintenant je vais en acheter moi-même auprès d’un grossiste au marché de Delvaux. » Alors que la mention sur le paquet de cigarettes indique nettement « Interdit à la vente aux mineurs et par les mineurs » Albert Mavangu, un père de famille, ne voit pas d’inconvénient que ses enfants, dont l’âge varie entre 8 et 15 ans, aillent lui acheter des cigarettes au coin de la rue. Il avoue « n’avoir jamais fait attention à l’avertissement ».
Des prix modiques
D’après une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le tabac est la deuxième cause de décès dans le monde par ordre d’importance, en provoquant près de 5 millions de morts par an. Quant aux estimations sur le nombre de fumeurs en Afrique, elles ne sont pas rassurantes. D’ici 2030, si aucune action de prévention n’est menée, les chiffres passeront de 85 millions à 200 millions de fumeurs.
Pour l’heure, ces avertissements risquent de passer totalement inaperçus, car la majorité des fumeurs achètent les cigarettes à l’unité et pour une somme modique. Ils voient rarement la couleur d’un paquet de cigarettes. En RDC, 50 francs ou 100 francs suffisent à un fumeur pour se procurer une cigarette. Tout dépend de la marque. Dans certains coins, c’est même deux cigarettes pour 50 francs. À ce prix, la cigarette est accessible aux plus jeunes qui peuvent en consommer en toute discrétion. Plus inquiétant, on estime qu’entre 82 000 et 99 000 jeunes commencent à fumer chaque jour dans le monde. De plus, les fumeurs qui débutent leur consommation pendant leur enfance ont plus de risques de développer une forte dépendance à cause de la nicotine et sont enclin à l’alcoolisme. Les sociétés brassicoles recrutent également des jeunes pour leurs actions promotionnelles. Elles rabattent le prix d’une bouteille de bière jusqu’à 500 francs. Toutes ces stratégies détournent les consommateurs des messages de prévention inscrits sur le paquet de cigarettes et la bouteille de bière.