Le commerce illicite fait le bonheur des groupes armés

Comme pour le coltan, l’or et la cassitérite, le trafic de braise rapporte des revenus substantiels à ceux qui s’y adonnent dans l’est Du pays. Des ONG s’en inquiètent et proposent des solutions alternatives pour la conservation de la biodiversité.  

Sacs de braise destinés à la vente dans un village.
Sacs de braise destinés à la vente dans un village.

Selon l’agence d’information des Nations unies IRIN, le commerce illicite de coltan, de cassitérite et d’or n’est pas le seul à procurer des ressources financières aux groupes armés encore actifs dans l’est de la RDC. La braise de contrebande leur rapporterait quelque 30 millions de dollars par an. La production et le commerce de ce combustible a pris des proportions inquiétantes au point que des environnementalistes donnent de la voix pour exiger des mesures radicales.

D’après le directeur du parc des Virunga, Emmanuel de Mérode, cité par IRIN, tous les groupes armés, notamment les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) et des soldats des Forces armées de la RDC (FARDC) seraient impliqués dans le trafic de braise.

Déforestation

« Plus de 90% de la braise produite au Nord-Kivu proviennent d’arbres abattus dans le parc des Virunga », fait remarquer de Mérode. Environ 790 000 hectares, soit 20% du parc, ont été dévastés pour produire du charbon de bois. Sur les routes conduisant à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu, on voit souvent passer des camions ou des bicyclettes chargés de sacs de charbon en provenance des zones encore sous contrôle des milices. Dans le territoire de Rutshuru, par exemple, des éléments des FDLR avaient mis en organisations de bûcherons, de charbonniers et vendeurs de braise. Dans le Nord-Kivu, les commerçants vont chercher du charbon à Rugari, dans le territoire de Rutshuru, à 35 km au nord de Goma, ou à Burungu et Kitchanga, respectivement à 80 km et 90 km à l’ouest de Goma. Les FDLR considéraient que la forêt leur appartenait. Ils l’avaient même quadrillée par secteurs d’environ 5 km chacun et que trois ou quatre d’entre eux contrôlaient nuit et jour. Quand ils ne réquisitionnaient pas les bûcherons, les FDLR imposaient une taxe mensuelle de 5 à 25 dollars par bûcheron.

Un pactole pour les ex-CNDP

Dans le territoire de Masisi, le trafic de braise serait entretenu par des éléments en vadrouille des FARDC, voire par des gens qui se font passer pour des membres de l’ex-rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), qui s’était mué en Mouvement du 23 mars (M23). Le CNDP a cessé d’être formellement un mouvement rebelle lorsque ses combattants ont été intégrés dans les FARDC. Mais sur le terrain, « il y a toujours des postes de contrôle et des barrages tenus par des éléments armés se réclamant du CNDP, qui continuent à prélever une taxe de cinq dollars par mois et à exiger de l’argent pour le passage de chaque sac de charbon de bois », confie Bimwa, un commerçant cité par IRIN.

La présidente d’un groupement de femmes, Mathilde Muhindo Mwamini, dénonce l’exploitation de civils, notamment des femmes et des enfants, dans le commerce du charbon de bois ainsi que l’implication des militaires. Ces derniers ne se gênent d’utiliser des civils pour couper le bois. Mais interdire la production et le commerce de braise n’est pas la meilleure solution, d’après certains environnementalistes. Que faire alors ?

L’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) soutient l’exploitation des sources d’énergie alternatives, notamment la production de briquettes de biomasse à partir de feuilles, d’écorces et de pelures de fruits ou d’autres déchets agricoles. Le coût de production est relativement bas car les matières premières sont abondantes. Les briquettes de biomasse fournissent 70% d’énergie en plus par rapport à la braise. L’ICNN distribue des kits de production de briquettes de biomasse dans le territoire de Rutshuru et dans les camps des déplacés, espérant ainsi réduire le financement des milices. Certaines ONG ne partagent pas cette démarche. « La mise en concurrence du charbon de bois peut avoir des conséquences négatives. Les presses à briquettes pourraient être détruites par les rebelles qui contrôlent le commerce de charbon et des habitants pourraient être forcés à produire ou à transporter le charbon de bois pour eux », pense Laura Miller de l’ONG Mercy Corps.

La braise écologique

À Goma, le Fonds mondial pour la forêt (WWF) investit dans la production de la braise écologique. Face aux besoins énergétiques de cette ville et aux exigences de la préservation des forêts naturelles, le WWF s’est engagé à planter 3 500 ha d’arbres pour la production d’une braise écologique pour lutter contre la déforestation dans le Nord-Kivu. De grandes aires de biodiversité comme le parc national des Virunga doivent faire l’objet de reconstitution écologique, soulignent les experts du WWF.

Selon plusieurs études, la braise représente le potentiel énergétique de substitution le plus important par rapport à l’électricité. Le projet de forêts artificielles que soutient le WWF pour la production de braise à Goma est déjà en expérimentation à Mampu sur le plateau des Bateke à quelque 170 km de Kinshasa. Mampu est le premier centre d’agroforesterie pour la production de braise écologique en RDC.

Près de 10 500 ha de forêts artificielles y sont aménagés et exploités par des agro-forestiers qui bénéficient chacun de 25 ha d’acacias. Les exploitants procèdent à l’abattage des essences pour la carbonisation, l’agriculture et la remise du couvert végétal. La mise en œuvre d’une telle entreprise nécessite une connaissance approfondie du massif forestier à aménager et de l’ensemble des conditions naturelles et humaines susceptibles d’influencer son évolution. Dans les milieux où le bois demeure la source principale d’énergie, le secteur forestier doit ainsi trouver des moyens pour mobiliser des énergies « propres » pour le remplacement progressif des combustibles fossiles, à condition que le gouvernant adopte des politiques adéquates et qu’un réel transfert de technologies s’effectue.