Même si la pandémie de coronavirus semble être sous contrôle en France et dans la plupart des pays d’Europe, les contaminations continuent à un rythme soutenu en Amérique ou ailleurs. L’Iran, Israël, l’Arabie Saoudite et d’autres pays connaissent déjà une deuxième vague, et la France n’est pas non plus à l’abri d’une nouvelle flambée. Il n’en reste pas moins que la première déferlante est derrière nous, et qu’on peut déjà tirer quelques enseignements sur le système de santé.
Première leçon : pas plus en France que dans tous les autres pays, l’hôpital n’était pas calibré pour faire face à une telle explosion des hospitalisations lourdes et surtout longues. La bonne surprise est venue dans la réactivité du système, qui a su rapidement : augmenter le nombre de lits de réanimation ; mobiliser les lits disponibles à l’hôpital privé, parfois tardivement dans certaines régions mais engageant des collaborations inédites bienvenues ; transférer en train plus de 500 patients vers des hôpitaux moins débordés, permettant d’éviter un engorgement des services au bord de la saturation. On sait à quel point l’hôpital, notamment public, structure l’organisation des soins en France ; alors qu’on le disait sclérosé, rigide, il a montré une étonnante capacité d’adaptation à une situation exceptionnelle. Enfin, l’épisode a aussi fait apparaître au grand jour à la fois le formidable engagement de l’ensemble des soignants, et l’indécente indigence de leur rémunération.
Seconde leçon : nous étions terriblement mal préparés. Les masques ont manqué, et plutôt que leur réquisition, chaotique, c’est la multiplication d’initiatives locales qui a permis de pallier en partie les carences de la répartition centralisée. Mais surtout, surtout, c’est la rareté des tests qui a conduit au désastre économique et social du confinement généralisé. Ce n’était pas une fatalité : en Allemagne, beaucoup d’institutions ou d’organismes, publics ou privés, ont commandé très tôt des tests en quantité, permettant de mettre en place dès la mi-mars, sur le modèle de la Corée du Sud, des drive-in où chacun pouvait venir se faire dépister. En France, cette possibilité fut ouverte aussi à tous le 18 mars, à l’IHU Méditerranée Infection de Marseille. De plus en plus d’éléments montrent que cette stratégie était payante, les personnes apprenant qu’elles étaient porteuses du virus adoptant le plus souvent des comportements solidaires, évitant de contaminer d’autres personnes, même en l’absence d’injonction ou de contrainte. En s’appuyant sur la responsabilité de chacun, le dépistage à grande échelle a permis de commencer à infléchir la dynamique de l’épidémie. Par ailleurs, tous les pays connaissent une très grande variabilité géographique de l’épidémie, plaidant pour un traitement différencié de zones parfois proches. Mais la seule image dont disposaient les autorités de santé en France était celle des statistiques d’hospitalisation et des décès, qui sont des indicateurs tardifs, révélant des contaminations qui datent déjà de plusieurs jours. Seul un dépistage précoce aurait permis d’identifier plus rapidement les territoires où l’épidémie était la plus active, et ceux au contraire où le virus ne circulait pas. Cette information localisée a cruellement manqué, et les décisions ont dû être prises dans un brouillard très opaque. Le confinement généralisé fut donc décrété, selon les mêmes modalités en Alsace ou dans le Limousin, imposant le coût social que l’on sait à des populations qui étaient pourtant à peu près épargnées par le virus.
Bref, le système de soins a tenu, le système de santé n’a pas fonctionné. L’hypercentralisation française a montré autant sa puissance dans l’organisation, en urgence, des transferts de malades, que son incapacité à traiter des situations très hétérogènes à travers les territoires. Ce n’est pas une réelle surprise : les dépenses de prévention, qui représentent en moyenne 8 % à 10 % de la dépense de soins dans les pays riches, ne se montent qu’à 4 % en France ; au sein du ministère de la Santé, le budget de la direction générale de la santé, en charge de la santé publique, n’atteint pas 500 millions d’euros, alors que la dépense totale de soins dépasse les 200 milliards…
De ce point de vue, il ne faut pas attendre grand-chose du Ségur de la santé. La vision qui l’inspire reste totalement focalisée sur les soins, et n’aborde que très peu la santé ; et pour ce qui est des soins, l’approche reste très centrée sur l’hôpital, voire principalement sur l’hôpital public. Espérons que ce raout conduira au moins à une revalorisation importante du salaire de tous les soignants. Quant à une approche qui intégrerait les soins dans une vision plus globale de la santé, devra-t-elle attendre une seconde vague de l’épidémie ?
Cette chronique est assurée en alternance par Anne-Laure Delatte, Ioana Marinescu, Bruno Amable et Pierre-Yves Geoffard.