« Actuellement, aucune de nos entreprises publiques n’est rentable ».
Quel avenir pour les entreprises publiques ? C’est tout l’intérêt de leur mutation en sociétés commerciales dont est chargé le Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP). Son secrétaire exécutif considère qu’il s’agit de les rendre compétitives en améliorant leur gestion, en investissant dans l’outil de production, en réduisant leurs charges… Pour lui c’est une question d’intérêt national.
Business et Finances : À ce jour, combien d’entreprises publiques y a-t-il au Congo?
νAlex N’Kusu Ndongala Siya : La République démocratique du Congo compte, au jourd’hui, vingt entreprises publiques ayant fait l’objet d’un processus de transformation en sociétés commerciales. C’est notamment la Générale des carrières et des mines (GECAMINES), la Régie des voies aériennes (RVA), la Société nationale des chemins de fer (SNCC), la Société nationale d’électricité (SNEL), la REGIDESO, la Société nationale d’assurance (SONAS), la Société commerciale des transports et des ports (SCTP)…
Cependant, il faut considérer que, conformément à la loi du 7 juillet 2008 fixant les règles relatives à l’organisation et à la gestion du portefeuille de l’État, la définition du vocable « entreprise publique » a changé. Aux termes de cette loi, « l’entreprise publique » est définie comme « toute entreprise du portefeuille de l’État dans laquelle celui-ci ou toute autre personne morale de droit public détient la totalité ou la majorité absolue du capital social ». Ainsi donc, la Minière de Bakwanga (MIBA), la Cimenterie nationale (CINAT), parmi d’autres sont considérées comme des entreprises publiques. D’autres entreprises publiques comme Congo Airways viennent d’être créées. D’autres encore sont en gestation. Ce sont essentiellement les entreprises publiques transformées en sociétés commerciales qui font le plus l’objet de l’attention du Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP).
Parmi toutes ces entreprises, combien sont encore rentables?
νParmi les constats qui sont à la base de la réforme des entreprises publiques, il y a justement leur manque de rentabilité. Actuellement, aucune de nos entreprises publiques n’est rentable. Toutes perdent de l’argent du fait des charges structurelles très élevées, d’une certaine insolvabilité vis-à-vis des fournisseurs, ainsi que la difficulté à recouvrer leurs créances notamment auprès de l’État qui, la plupart du temps, est leur débiteur principal.
Quel bilan faites-vous du processus de réforme des entreprises publiques lancée par le gouvernement avec l’aide de la Banque mondiale en 2002, dans le cadre du projet compétitivité et développement du secteur privé ?
νLa réforme des entreprises publiques poursuit deux objectifs principaux : insuffler une dynamique nouvelle dans les entreprises du portefeuille de l’État pour améliorer leur potentiel de production et de rentabilité, améliorer la qualité du service rendu à la population, et contribuer au renforcement de la compétitivité de ces entreprises et de l’ensemble de l’économie. En suite, il faut alléger la charge du Trésor public et accroître la contribution du secteur du portefeuille dans le budget de l’État. C’est un processus. Attendons son aboutissement pour en dresser le bilan.
Mais y a-t-il quand même des progrès ?
νDes progrès ont été réalisés dans l’atteinte des résultats escomptés de la réforme des entreprises du portefeuille. En ce qui concerne l’assainissement du portefeuille de l’État, le secteur est régi par un cadre juridique clair et moderne. Il a été assaini. À ce jour, il est constitué de 20 sociétés commerciales dont l’État est l’unique actionnaire, ainsi que de ses participations dans les sociétés d’économie mixte.
Avez-vous des exemples concrets ?
νEn ce qui concerne l’organisation et la gestion du portefeuille de l’État, l’objectif a été atteint par la dissociation de la personnalité de l’État de celle de l’entreprise publique qui met les entreprises à l’abri des fonds vautours. C’est le cas du succès de la Gécamines sur FG Hémisphère ; de la suppression de la tutelle des entreprises et la responsabilisation des organes de gestion avec une obligation de résultats ; la reforme du Conseil supérieur du portefeuille (CSP).
Les entreprises se sont-elles, pour autant, mieux portées ?
νEn ce qui concerne le renforcement de la compétitivité des entreprises, l’allègement de leurs passifs par la fixation des règles de reprise par l’État des passifs non assurables a permis aux entreprises publiques d’assainir quelque peu leurs bilans. Leurs actifs nets se sont accrus suite à l’allègement des dettes. La mise en œuvre des plans sociaux a contribué à l’amélioration des adéquations entre les effectifs de certaines entreprises et leurs niveaux d’activités. Mais beaucoup reste à faire.
Pourquoi les fruits de cette réforme ne sont-ils pas perceptibles ?
νIl convient tout d’abord de préciser que la réforme des entreprises publiques implique celle de leurs principaux secteurs d’activités pour libérer des pans de l’économie nationale gelés par le monopole de fait reconnu jusque-là aux entreprises publiques et qui y interdisaient tout apport de capitaux privés. Pour ce qui est de la réforme elle-même, l’objectif est de les préparer à se montrer compétitives dans un environnement concurrentiel. S’agissant des fruits de la réforme, les usagers en cueillent quelques-unes sans peut-être vraiment s’en rendre compte. Quelques exemples ? Le premier secteur réformé est celui des télécommunications. À ce sujet, les Congolais ont oublié les calvaires qu’ils enduraient pour téléphoner, ne serait-ce que dans la ville. Le secteur des mines, aussi, a été réformé. Un code minier a été élaboré et mis en application. Le boom minier qui s’en est suivi, grâce notamment à l’apport des capitaux privés, est indiscutable.
Dans ces deux cas, à quoi la réforme a-t-elle conduit ?
νDans ces deux cas, les réformes sectorielles ont conduit à l’amélioration de la productivité, la création d’emplois, l’augmentation de la contribution de ces secteurs au PIB et aux finances publiques. Et c’est là que l’État tire une partie, sinon l’essentiel, de ses revenus pour construire des écoles, des hôpitaux, payer les salaires. Bref, pourvoir aux besoins de base des populations. D’autres secteurs sont en pleine mutation. Le secteur des assurances vient d’être libéralisé. De même que celui de l’électricité. Il est évident que ces deux secteurs vont bientôt récolter les fruits de la réforme. Je reconnais cependant que, s’agissant des la réforme des entreprises publiques elles-mêmes, le chemin est encore assez long. Mais cela est normal, car il s’agit d’un processus dynamique et long compte tenu du degré de déliquescence de ces entreprises et des résultats attendus. En fait, la réforme des entreprises publiques est institutionnelle. Mais au-delà de l’aspect institutionnel, il y a la grande question de la recapitalisation. La thérapeutique préconisée fait appel aux capitaux privés par le biais des partenariats public-privé. Cette approche a nécessité un changement radical de la gouvernance des entreprises publiques qui se heurte à beaucoup d’obstacles et de chausse-trappes.
Quels sont ces obstacles ?
νL’un des obstacles majeurs est la peur de l’indispensable changement dans l’approche de gestion de ces entreprises publiques. Vous suivez certainement les péripéties de la réforme de la Société commerciale des transports et des ports, l’ex-ONATRA. Les premiers résultats ont été enregistrés, mais ils doivent être consolidés sous peine d’être vains. Il y a des choses qui nous paraissent toutes naturelles aujourd’hui. Pourtant, elle ont donné lieu à des joutes terribles. Voyez, par exemple, l’hôtel Karavia à Lubumbashi, une des toutes premières opérations BOT menée par le COPIREP. On a tous oublié dans quel état se trouvait cette entreprise publique en 2008. Il en est de même pour le Fleuve Congo Hôtel sorti des ruines du bâtiment du CCIC. Et ce ne sont pas des cas isolés.
À propos justement de ce qui se passe à la SCTP, le COPIREP est pointé du doigt pour avoir lancé un appel d’offre de concession sur les ports de Matadi et Boma, ainsi que sur le chemin de fer Kinshasa-Matadi. N’est-ce pas une privatisation qui ne dit pas son nom ?
νIl s’agit simplement de moderniser ces infrastructures et de les mettre aux standards internationaux, avec l’apport des privés qui en assureront également l’exploitation et la gestion pour plus de compétitivité et de performance. Les actifs resteront la propriété de la SCPT, c’est-à-dire de l’État. Il s’agit d’un partenariat public-privé qui n’a rien à voir avec une cession d’actions ou d’actifs.
Mais que vise alors cette mise en concession d’une partie des unités de l’ex-ONATRA ? Ne fallait-il pas attendre la loi sur les partenariats public- privé pour envisager une telle opération ?
νLa notion de partenariat public-privé n’est pas ignorée du droit positif congolais. Il s’agit ici d’un cas de désengagement. La loi du 7 juillet 2008 précise les conditions dans lesquelles le partenariat public-privé doit se réaliser dans ce cas d’espèce…
Qu’en est-il de l’évaluation des patrimoines des entreprises publiques ?
νElle fait partie du processus de leur transformation en sociétés commerciales. Ce processus a deux volets. La transformation juridique, ainsi que la transformation financière et comptable pour doter l’entreprise de tous ses instruments de gestion. La phase juridique menée tambour battant par le COPIREP s’est achevée dans les délais fixé par le gouvernement. Les statuts de toutes les entreprises publiques ont été adoptés et publiés au Journal officiel, le 30 décembre 2010. Les nouvelles sociétés commerciales ont aussi été inscrites au Nouveau registre de commerce et sont aujourd’hui dotées de statuts conformes au droit OHADA. C’était de la responsabilité du COPIREP. Mission accomplie. La phase financière et comptable est de la responsabilité des gestionnaires des entreprises. Cette phase s’est heurtée à des nombreuses difficultés, notamment l’inventaire de la situation patrimoniale. En principe, le management des entreprises doit tenir à jour la situation patrimoniale. Cela n’a pas été le cas pour la quasi-totalité des entreprises publiques. Dans la plupart des cas, la comptabilité n’était pas à jour, et le patrimoine notamment immobilier, lorsqu’il était connu, n’était certifié par aucun titre de propriété.
Quelles en sont les conséquence ?
νLa conséquence de ces problèmes est que de nombreuses entreprises transformées en sociétés commerciales ont de la peine à déterminer le capital social définitif, à établir le bilan de clôture et d’ouverture de leurs sociétés. Afin d’aider à surmonter la difficulté, le gouvernement a instruit le COPIREP pour mettre la main à la pâte, et, même parfois, à la poche. À ce jour, grâce aux efforts fournis depuis 2012, dix entreprises publiques sur quinze en activité ont bouclé l’ensemble du processus de leur transformation en société commerciale, avec en dernière étape la détermination de leur capital social et l’établissement de leur bilan d’ouverture.
Où en est la situation ?
νEn ce qui concerne les dettes et créances croisées entre entreprises, et entre ces dernières et l’État, une commission a été mise en place pour examiner et arbitrer la question des dettes dites « croisées » pour les situations arrêtées au 31 décembre 2011. Les travaux d’arbitrage ont permis d’arrêter des soldes dont le traitement a fait l’objet d’un décret du Premier ministre sur la question du passif non assurable. La question est donc réglée.
La problématique du passif non assurable des entreprises a-t-elle aussi trouvé une solution durable et définitive ?
νConnaissant l’état d’endettement excessif des entreprises, le législateur a prévu, dans l’alinéa 4 de l’article 13 du décret du 24 avril 2009 portant mesures transitoires relatives à la transformation des entreprises publiques, qu’un décret du Premier ministre fixe les règles de reprise par l’État « des passifs non assurables » des entreprises transformées en sociétés commerciales. Le décret fixant les règles de reprise des passifs non assurables a été signé le 2 octobre 2012. En allégeant ainsi l’endettement des entreprises publiques, l’État a permis aux quinze entreprises publiques en activité d’assainir leur bilan et d’améliorer leur compétitivité. Cette prise en charge par l’État n’est cependant pas une solution définitive aux problèmes d’endettement des entreprises publiques. Certaines dettes ne sont pas prises en charge par l’État…
Quelles sont ces dettes ?
νC’est notamment le cas des arriérés des salaires. Il est demandé aux entreprises publiques d’ouvrir des négociations avec les syndicats des travailleurs pour étudier les possibilités de règlement des arriérés des salaires de plus de vingt-quatre mois ; les arriérés des décomptes finals restent à charge des entreprises concernées ; les dettes sociales envers les organismes sociaux et les partenaires sociaux continuent à être assumées par les entreprises publiques transformées en sociétés commerciales concernées ; les autres dettes relevant de l’exploitation normale de chaque entreprise transformée en société commerciale qui découlent de ses relations d’affaires avec des tiers devront continuer à être assumées par les entreprises contractantes.
Est-ce que les entreprises publiques peuvent évaluer, aujourd’hui, leur capital social à sa juste valeur et comment, justement, certifier le capital des entreprises publiques ?
νÀ ce jour, grâce aux efforts fournis depuis 2012, dix entreprises publiques sur quinze en activité ont bouclé l’ensemble du processus de leur transformation en société commerciale, avec en dernière étape la détermination de leur capital social et l’établissement de leur bilan d’ouverture. Elles ont bénéficié pour ce faire de l’expertise avérée des consultants internationaux et du Comité permanent du plan comptable congolais (CPCC).
Quelle est la plus grande réalisation du COPIREP en plus de dix ans d’existence ?
νIl me sera difficile de me limiter à une seule réalisation. Cela étant, il y a des réalisations essentielles, notamment l’élaboration d’un nouveau cadre juridique des entreprises publiques qui révolutionne leur gestion ; la réforme du droit des affaires congolais qui aboutit à l’adhésion de la RDC à l’OHADA, processus piloté par le COPIREP ; l’amélioration des cadres légaux sectoriels, (élaboration du code minier, mise en place du Cadastre minier, élaboration du code des assurances et du code de l’électricité…). Un autre volet important est la participation au montage de plusieurs projets avec les bailleurs de fonds et dans certains cas, leur mise en œuvre.
Ces projets ont permis la mobilisation des fonds, notamment pour la stabilisation des activités de quelques entreprises publiques en renouvelant leur outil de production (RVA, SNCC, REGIDESO, SNEL en cours, etc.). Le dernier projet en date est le projet CAB 5, d’une valeur de 92,1 millions de dollars, qui appuie le secteur des télécommunications par, entre autres, l’implantation d’un backbone national… Mais voyez-vous, je compare souvent le COPIREP à un cuisinier : lorsque les convives félicitent le maître des céans pour la qualité du repas qu’il vient de leur offrir, ils ne font absolument aucun cas du cuisiner qui a longtemps transpiré derrière ses fourneaux.
Qu’est-ce qui n’a pas suffisamment bien marché ?
νLa conduite de la réforme des entreprises publiques a buté sur certaines difficultés dont les plus importantes sont notamment l’adhésion mitigée de certains décideurs, des responsables de certaines entreprises, ainsi que des syndicats des travailleurs pour des raisons diverses. Le retard, voire le manque de décision qui permette d’avancer dans la mise en œuvre de certaines stratégies de restructuration. Le manque de financement des investissements et de fonds de roulement à cause de l’absence de fonds propres, de l’ébranlement de crédit des entreprises et des moyens limités de l’État propriétaire. L’insuffisance de ressources pour le financement de la réforme, notamment de la dimension sociale sans laquelle le redressement des entreprises ne serait qu’un leurre. Le niveau d’endettement excessif pour la plupart, qui devrait maintenant être allégé par l’application du décret sur les passifs non assurables. L’absence d’une culture des résultats. La confusion entretenue pour assimiler à tort la réforme au bradage du patrimoine national, au renchérissement des services sociaux et à l’accentuation du chômage.