AU DÉPART simple service de contrôle des finances et des biens publics, généralement rattaché au ministère des Finances, le président Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Zabanga plaça l’Inspection générale des Finances (IGF) sous son autorité directe, à sa création en 1987. Aujourd’hui, l’IGF est devenue le bras séculier du régime fatshiste, à la puissance de la justice temporelle. Ses missions de contrôle se multiplient, tout comme les apparitions dans les médias de Jules Alingete Key, l’inspecteur des finances en chef.
Épine dans le pied
L’IGF découvre chaque jour des pots aux roses. Une vraie avalanche ! Le dernier scandale en date : l’audit très contesté auprès des entreprises de l’État. « Tout n’est pas faux mais tout n’est pas non plus vrai ! », analyse pour Business et Finances Albert Telemono, un expert-comptable. Cependant, le rapport de l’IGF sur la gouvernance financière des sociétés d’État est loin de faire effacer des mémoires des Congolais l’affaire Bukanga Lonzo, qui défraie actuellement la chronique. Le refus des sénateurs de voter pour la levée de l’immunité parlementaire de leur collègue Augustin Matata Ponyo, ancien ministre des Finances et ancien 1ER Ministre sous la présidence de Joseph Kabila Kabange, est une épine dans le pied de l’IGF.
Pour certains, l’IGF est une « œuvre majeure de notre temps ». Pour ses détracteurs, c’est au contraire « un système, voire un jeu dangereux qui se met en place ». Ce système, explique un sénateur qui a requis l’anonymat, consiste à écarter tous les mandataires en fonction de la gestion des entreprises publiques pour les remplacer par les pros USN (Union sacrée pour la nation). « Pour remplacer les mandataires publics, a-t-on vraiment besoin de les accuser d’incompétence et de mégestion ? », râle-t-il.
Jules Alingete Key, « un surdoué », selon un de ses collaborateurs, récolte un colossal succès. Jusque-là. Mais jusqu’où peut aller l’IGF, désormais calée dans sa bulle ? Une chose est sûre : alors que notre époque connaît impunité, gabegie, corruption, concussion, kleptomanie…, le pouvoir de fascination qu’exerce auprès des masses l’IGF, longtemps en hibernation, fait désormais tourner les têtes. Mais ce pouvoir pourra-t-il rester intact ? Pour combien de temps ?
« Depuis un demi-siècle, le mal a revêtu en République démocratique du Congo sa forme magistrale. Sans la coopération d’une justice véritablement indépendante et sans une prise de conscience radicale du désastre financier, l’œuvre de l’IGF risque de ne pas avoir d’avenir… », tranche dans le vif, Edgar Serufuli, psychiatre. Et d’ajouter : « Notre angoisse de Congolais, tétanisés par les scandales en suspension, n’en finit plus de frissonner au miroir de la plus grande entreprise autodestructrice de tous les temps : la corruption et toutes les choses qui lui sont semblables. »
Dans les pays civilisés, l’Inspection des finances occupe une place prépondérante dans l’État, l’économie et la société. Le rôle tenu par les inspecteurs des finances, dans l’État et hors de l’État, est une réalité d’évidence. L’IGF doit faire preuve d’honnêteté, d’impartialité et d’équité dans le traitement des dossiers : pas de passe droits ou favoritisme, et se montrer inflexible dans l’application des règles. Le code de déontologie énonce les principes généraux et les règles selon lesquelles l’Inspection des finances exécute ses tâches. Il précise ainsi sa mission, ses attributions et ses valeurs fondamentales : indépendance, loyauté, conscience professionnelle. « Est-ce que c’est vraiment le cas à l’Inspection générale des finances ? », s’interroge Albert Telemono.
Compétence générale
L’ordonnance n° 87-323 du 15 septembre 1987 relative à la création de l’Inspection générale des finances, comme un service de contrôle, lui donne une compétence générale en matière de contrôle des finances et des biens publics. « À ce titre, elle vérifie et contrôle toutes les opérations financières de l’État, des entités administratives décentralisées, des établissements publics et organismes paraétatiques ainsi que des organismes ou entreprises de toute nature bénéficiant du concours financier de l’État, des entités administratives décentralisées et des établissements publics ou organismes paraétatiques sous une forme de participation en capital, de subvention, de prêt, d’avance ou de garantie. »
En tant que service d’audit supérieur du gouvernement, l’IGF « peut procéder à toute mission de contre-vérification, au second degré, de toutes les situations douanières, fiscales ou parafiscales des contribuables ou redevables d’impôts, droits, taxes ou redevances, soit en cas de découverte d’une fraude lors de l’exécution normale d’une mission de contrôle ou de vérification, soit sur réquisition des autorités politiques et administratives, soit sur réquisition des autorités judiciaires, soit, enfin, sur dénonciation des tiers. »
L’IGF est chargée de « veiller au respect strict des lois et règlements » régissant la gestion financière et comptable de l’État, des collectivités locales, des entreprises et des établissements publics ; vérifier la gestion des deniers, valeurs et titres appartenant ou confiés à l’État, aux collectivités locales, aux entreprises et aux établissements publics, aux agences de partenariat, et proposer toute mesure susceptible de sauvegarder les intérêts du Trésor public et de ses correspondants. Elle est aussi chargée de vérifier la régularité des opérations financières de recettes, de dépenses et de trésorerie effectuées par les services publics, les régies financières et les comptables publics ; contrôler en fin d’exercice budgétaire les ordonnateurs, administrateurs et gestionnaires de crédits ; vérifier la gestion financière et comptable de tout organisme public bénéficiant de concours financiers ou matériels de l’État.
L’IGF est dirigée par un inspecteur général, chef de service qui supervise et anime les interventions, les études, les enquêtes, les audits et les évaluations. Il a notamment pour tâche d’ordonner les missions d’inspections ou d’enquêtes ; superviser l’exécution des missions d’inspection ou d’enquêtes ordonnées ; centraliser les conclusions, recommandations et mesures découlant des rapports de missions d’inspection ou d’enquête et en faire rapport au président de la République. Il assure le suivi de l’exécution des mesures et décisions découlant des rapports de missions d’inspection ou d’enquête entérinées par le président de la République.
Guerre déclarée à l’IGF
De tous temps, les inspecteurs des finances sont considérés comme une caste d’élite dont la mission principale est de réduire les dépenses publiques. Pour juguler les flux de détournement de deniers publics et consorts, l’IGF n’a d’autre réponse que d’assiéger chaque jour davantage la forteresse. Et de durcir le ton : procès en justice, confiscations des biens, révocations, sanctions, etc. Ce qui s’est passé récemment au Sénat est la preuve que les fossoyeurs des finances publiques ont déclaré la guerre à l’IGF.
Oui, l’Inspection générale des finances est entrée en guerre contre les criminels financiers ou les « Kuluna en cravate ». Ceux-ci laissent entendre qu’ils sortiront la grosse artillerie pour avoir la tête de l’inspecteur en chef. Comment ? La longue liste des « petits arrangements » n’en finit pas d’ailleurs plus de s’allonger, et les « accommodements » sont plus nombreux pour s’extraire de la justice. On le saura. Les élites au pouvoir, à tous les niveaux, s’enrichissent insolemment à la barbe et au nez de la majorité de la population sans que cela ne l’émeuve. Enfin, telle une rivière, la corruption ruisselle à travers toutes les strates sociales, la politique étant devenue le sésame qui ouvre la porte de la fortune de la honte.
L’état de siège de la forteresse décrété par l’IGF donne-t-il des résultats ? À comment le Conseil des ministres a traité le rapport de l’IGF relatif à la gestion financière des entreprises publiques alors que le citoyen lambda s’attend à des procès spectaculaires, la fin du cauchemar n’est pas pour demain.