ON NE jette pas l’enfant avec l’eau de bain ! L’enfant, c’est le pays, et l’eau de bain, ce sont les élucubrations bizarres de la classe politique. Un an après le passage de témoin entre le président sortant et le président élu en décembre 2018, marquant ainsi l’avènement de l’alternance politique en République démocratique du Congo, la querelle de clocher est de retour sur la scène politique. Ce qui détonne est que cela se passe entre alliés au pouvoir. Un politologue contacté affirme sans ambages que ce n’est pas bon signe pour l’avenir du pays.
« À qui la faute ? Comment faire intégrer aux politiciens leur rôle dans le développement du pays ? Dans plus d’un pays d’Afrique, aujourd’hui, nous observons que les élites au pouvoir se sont mises à lifter leurs économies dans une logique prospective », fait-il remarquer.
Et de poursuivre : « Elles ont vite intégrer que l’avenir de l’économie mondiale va se jouer en Afrique dans les dix prochaines années. Et quelle sera la place de la RDC à l’échéance et quel sera le rôle qu’elle va y jouer. C’est vers là que nous devons tous tourner notre regard, si l’on veut exister comme un État viable et respecté de tous. »
D’immenses espoirs
En janvier 2019, chacun de nous a pris conscience que ce pays revenait de loin. Et le moment était venu de le reconstruire, véritablement, à l’instar des autres États. Pour être honnête, l’alternance au pouvoir d’État a suscité d’immenses espoirs. Qui ne sait pas que la RDC était caricaturée, chahutée… Ici et ailleurs, on a pensé que cela était pour le passé, et il fallait tourner la page.
Mais à en juger par ce que l’on observe pour le moment, c’est comme si la classe politique congolaise n’a pas encore ressenti le plus fort de la bourrasque de la crise économique qui a mis le pays en situation de ne pas pouvoir peser sur l’échiquier international.
Réelles ou hypothétiques, les sorties verbales qui alimentent la polémique de cette fin de mois au sein de la coalition au pouvoir n’a pas raison d’être car les temps ont beaucoup changé et les mentalités ont fortement évolué. Ce simple « retenez-moi sinon je fais un malheur » n’est plus admis. Cela arrive : la démocratie est une construction délicate, jalonnée de tentatives avortées, qu’il faut reprendre, sans se décourager. Le peuple a appelé l’alternance de tous ses vœux et l’a acceptée. Aujourd’hui, il en attend le salut du pays.
Il faut oser le dire : les querelles des politiciens, c’est bien la faute exclusive de ces derniers. Ces querelles ne nous amènent à rien. Au contraire, le pays souffre en réalité d’un mal. Il faut savoir que la politique d’un pays vaut sa classe dirigeante : cohésion, sérieux, travail, options, orientations vont du haut vers le bas. Le mauvais exemple aussi : abus de pouvoir, corruption, népotisme…
Alors qu’avec l’alternance au pouvoir, la communauté internationale, les États-Unis en tête, a commencé à croire en l’éveil de la RDC et à faire confiance au nouveau président de la République, en recommandant l’assainissement des finances publiques, la lutte contre la corruption, l’amélioration du climat des affaires, le respect des droits humains, la stabilité… pour attirer davantage les investisseurs dans le pays, voilà que les comportements des politiciens engendrent la méfiance de la part des pays et institutions qui veulent aider la RDC.
« Besoin d’air et de paix »
Les chefs d’entreprise observent de près ce qui se passe dans le pays. En tout cas, ils les chefs d’entreprise disent leur ras-le-bol, agacés par les agissements des politiciens. Pour Lucien Mpuela, un septuagénaire à la tête de plusieurs entreprises en RDC depuis les années 1970, « aucun homme d’affaires sérieux, qu’il soit Congolais ou expatrié, ne peut exercer aujourd’hui dans notre pays ». Ce n’est pas un problème des textes, dit-il, parce que la RDC a des meilleurs textes en matière d’investissement. Mais ce sont le climat politique et les tracasseries de tous genres.
Selon une récente enquête du Centre d’études stratégiques Alter (CESA), il existerait actuellement au pays moins de 700 grandes entreprises et industries. La plupart de ces unités de production sont des capitaux étrangers : occidentaux, chinois, indiens, libanais… Selon le constat du CESA, l’économie de la RDC est aujourd’hui « une économie blessée et déchirée ». Les poches de pauvreté sont visibles, tout comme le triste sort des jeunes. Sans avenir, ils sont devenus d’« insupportables geignards ». Conséquence : la violence flambe dans les quartiers populaires. Et d’expliquer que dans cette situation socio-économique de précarité, l’entreprise est sans nul doute l’une des « planches de salut », parce que pourvoyeuse d’emplois pour les jeunes.
Asphyxiés financièrement, les patrons ont « besoin d’air et de paix » pour pérenniser leurs investissements en RDC. « Cela doit finir. Désormais, les gens voyagent beaucoup, ils mesurent le décalage entre notre pays et le reste du monde. Voilà pourquoi les patrons demandent que la RDC qui aspire à l’émergence, se mette au diapason des autres nations émergentes », raconte Thomas Bonzali du CESA.
« Cette crise politique, donc de conscience risque de faire voler en éclats la société congolaise en tant que civilisation. C’est-à-dire en tant qu’ensemble des connaissances, des mœurs et des idées d’un pays considéré comme civilisé », déclare un jeune entrepreneur congolais. D’après lui, si les politiques ne disciplinent pas leurs comportements, c’est l’économie, et donc l’avenir de ce pays qu’ils sacrifient. « Ce qui reste à faire, c’est de réconcilier les Congolais avec l’entreprise », dit-il. Comment ? « Si l’État ne consacre pas d’efforts particuliers à assainir l’environnement économique, ce n’est pas par désintérêt. Ou par peur, comme le disent certains détracteurs, de ne pas bien maîtriser devant les patrons les sujets économiques. Il s’agit de stratégie : le pouvoir qui ne fait pas preuve de bonne gouvernance économique, sait que le monde patronal ne le porte pas à cœur ».
Aujourd’hui, le comportement de la plupart des grands patrons ne fait pas mystère de leur choix, du moins en privé : le changement de leadership économique. Ils vont soutenir celui qui est à même de préserver leurs « intérêts ». Certains patrons regrettent amèrement que l’esprit libéral qui a soufflé sur le pays jusque dans les années 1980, soit en train de disparaître. « C’est dommage, car il y avait là une belle occasion de faire les affaires ».
Dans l’ensemble, les patrons se contentent de conserver l’outil de production. Dans tous les cas, les patrons attendent les « jours meilleurs » pour relancer leurs activités. La Fédération des entreprises du Congo (FEC), principale corporation patronale dans le pays, en appelle à « l’émergence d’un État fort doté d’une administration compétente, sur lequel le secteur privé devrait s’appuyer dans le cadre d’un partenariat durable, sincère et constructif ».
Vu de la FEC, le climat des affaires ne peut s’améliorer que lorsqu’un « débat fécond » est entretenu durablement entre l’État et les acteurs privés. Et ce débat fécond doit être suivi d’« effets concrets ». Dans les milieux d’affaires, on est persuadé que développer les capacités de production des biens et services permettra de tirer le meilleur parti des cycles de croissance et de résister aux situations de crise. Les entreprises prennent suffisamment déjà un risque politique pour ne pas revendiquer un maximum de stabilité de la part de l’État.