Au Forum de Davos, souhaits de mettre fin à la guerre de tous contre tous

Cette année, le Forum économique mondial organisé du 25 au 29 janvier, a abandonné son format habituel pour une série virtuelle de « Dialogues de Davos ». Les dirigeants du monde ont partagé leurs points de vue sur ce que sera le monde en 2021. Une réunion extraordinaire est prévue à Singapour en mai prochain.

LE FORUM de Davos se tient habituellement chaque année, fin janvier. Il réunit en Suisse, plus précisément à Davos, des dirigeants d’entreprise, des chefs d’État et de gouvernement ainsi que des intellectuels et des journalistes, afin de débattre des problèmes les plus urgents de la planète. Lors de cette série de Dialogues virtuels organisés du 25 au 29 janvier 2021 par le Forum de Davos, António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, s’est dit vraiment inquiet de « divisions géopolitiques mondiales ». Inquiet aussi que le monde se scinde en deux, les deux plus grandes économies de la planète se retrouvant à la tête de deux zones avec des devises et des règles commerciales et financières différentes, chacune avec son propre Internet et ses propres stratégies géopolitique et militaire.

Quant à lui, Vladimir Poutine, le président de la Fédération de Russie, a fait part de son idée de nouveau « monde idéal ». Et Xi Jinping, le président de la République populaire de Chine, a mis en garde contre « une nouvelle guerre froide », et se présente désormais comme « le champion du multilatéralisme ». 

Changer de cap

Antonio Guterres a plaidé en faveur de la coopération internationale pour aider un monde « fragile » à se relever de la crise sanitaire, économique et sociale déclenchée en décembre 2019 par la pandémie de Covid-19. La pandémie fait payer un lourd tribut à l’humanité : déjà plus de 2 millions de personnes sont mortes, et la crise actuelle est la pire crise économique depuis près d’un siècle, a laissé entendre le secrétaire général de l’ONU. « Nous avons besoin d’une économie mondiale qui respecte le droit international, un monde multipolaire doté d’institutions multilatérales fortes », a insisté Antonio Guterres.

Qui constate que dans les inégalités entre les personnes et les pays qui ont été clairement mises en évidence par la pandémie, les femmes sont durement touchées par les pertes d’emplois et les charges supplémentaires de soins. Mais aussi une fragilité dans les crises climatique et de biodiversité, les deux représentant des menaces existentielles. Enfin, une fragilité dans le cyberespace : « Sans consensus sur la manière de tirer pleinement parti du monde numérique tout en évitant les risques, nous sommes encore loin d’avoir mis en place les mécanismes multipartites qui garantiront une gouvernance sûre et équitable du cyberespace. » Autre constat : la fragilité du régime de désarmement et les risques croissants de prolifération nucléaire et chimique.

Dans ce contexte, il faut « lutter contre ces fragilités et remettre le monde sur les rails », a plaidé Antonio Guterres. « Il est temps de changer de cap et d’emprunter la voie durable ». Selon lui, il est possible d’utiliser le relèvement post-Covid « pour passer des fragilités à la résilience », mais cela exige dialogue et collaboration. « Les gouvernements, les organisations internationales, le secteur privé et la société civile doivent travailler ensemble », recommande-t-il. Et il appelle une nouvelle fois à un « multilatéralisme revigoré, inclusif et en réseau ». Pour cela, la voie à suivre est clairement définie par les Objectifs de développement durable (ODD).  Pour les atteindre, le secrétaire général de l’ONU appelle à « un nouveau contrat social » au sein des sociétés et à « un nouveau pacte mondial » entre les gouvernements, les citoyens, la société civile et les entreprises pour créer l’égalité des chances pour tous et respecter les droits et libertés de tous. Priorités immédiates : la nécessité d’une reprise mondiale inclusive et équitable et d’une reprise verte qui s’attaquera au changement climatique et à la perte de biodiversité.

Une reprise précaire

La reprise économique mondiale demeure précaire, selon un nouveau rapport de l’ONU publié le 25 janvier 2021. Selon ce rapport du département des affaires économiques et sociales des Nations unies (DESA), en 2020, l’économie mondiale a reculé de 4,3 %, soit plus de deux fois et demi plus que pendant la crise financière mondiale de 2009. 

La modeste reprise de 4,7 % attendue en 2021 compenserait à peine les pertes de 2020, selon le dernier rapport sur la situation et les perspectives de l’économie mondiale.  Le rapport souligne que la reprise durable après la pandémie de Covid-19 dépendra non seulement de l’ampleur des mesures de relance et du déploiement rapide des vaccins, mais aussi de la qualité et de l’efficacité de ces mesures pour renforcer la résistance aux chocs futurs. Le rapport du DESA appelle à « stimuler les investissements, revitaliser le commerce mondial et empêcher une austérité prématurée, des bulles financières et l’aggravation des inégalités ».

Pour sa part, Xi Jinping a dans son message insisté sur la nécessité d’une « coordination accrue des politiques macroéconomiques et d’un renforcement du rôle de gouvernance économique du G20 ». Sans jamais nommer les États-Unis, le président chinois dont le pays est la seule grande économie à avoir connu la croissance en 2020, s’érige en « défenseur du multilatéralisme ». « Bâtir des clans ou déclencher une nouvelle guerre froide, rejeter, menacer ou intimider les autres (…), le bouleversement des chaînes d’approvisionnement ou des sanctions afin de provoquer l’isolement ne fera que pousser le monde dans la division et même la confrontation », a averti Xi Jinping.  Aux États-Unis, Joe Biden, le nouveau président américain, s’emploie à défaire, une après une, les mesures controversées de l’ère Trump. Cependant, il a signalé que les États-Unis resteraient très attentifs à leurs intérêts. Ce lundi 1er février 2021, il va signer un décret pour inciter le gouvernement fédéral à acheter davantage de biens et services auprès des entreprises américaines. Ce qui pourrait crisper certains partenaires commerciaux.

De leur côté, les Européens avancent leurs pions. Le ministre allemand de l’Économie Peter Altmaier a défendu l’accord de principe controversé conclu fin décembre 2020 entre l’Union européenne (UE) et la Chine, afin d’ouvrir le gigantesque marché chinois aux entreprises européennes, et vice-versa. Cet accord ne fait que « répliquer de nombreuses dispositions que les États-Unis avaient déjà avec la Chine », a-t-il fait valoir. 

Le patron de Volkswagen, Herbert Diess, a rappelé que la Chine, où le constructeur possède plusieurs usines, représentait une « immense opportunité » pour les entreprises européennes. Pourtant, l’accord est critiqué par des députés européens et des ONG qui estiment qu’il devrait être subordonné à la ratification par Pékin des conventions internationales interdisant le travail forcé. 

Vladimir Poutine a, quant à lui, dressé un tableau sombre des perspectives de la planète si un nouvel ordre mondial n’était pas institué. Il a rappelé la nécessité d’un « grand redémarrage » prôné par de nombreuses voix en Occident. Le président russe a fait de bien sombres pronostics sur l’avenir de l’humanité. Le monde, selon le président russe, est « menacé par la guerre de tous contre tous, et la raison fondamentale de cette instabilité réside dans l’accumulation de problèmes socio-économiques ».

La situation économique actuelle est comparable à celle des années 1930, estime Vladimir Poutine. Or les instruments traditionnels pour stimuler l’économie, telle la distribution de crédits bon marché aux entreprises et aux citoyens, ne fonctionnent plus : « La bulle enfle et les inégalités s’accroissent. » Pour réintégrer une « trajectoire positive », il faut créer des emplois décemment rémunérés, construire des logements, développer la médecine et assurer un enseignement de qualité à la jeunesse, a insisté le président russe.