Jacob Zuma a bravé ses pairs en leur demandant d’inscrire le problème des migrants à l’ordre du jour du prochain sommet de l’Union africaine, pour expliquer ce qu’ils font pour retenir leurs jeunes chez eux.
À la mi-avril, les télévisions du monde entier ont diffusé des images choc. Des bandes de jeunes noirs sud-africains s’étaient rendus maîtres de la rue à Durban, saccageant ici et pillant là des commerces appartenant à des Africains venus d’autres pays du continent. Ces violences ont fait des victimes parmi les étrangers. « Sept dont deux Congolais », selon le décompte des officiels.
La police, à en croire les témoignages de la presse, n’avait pas cru bon de se mobiliser rapidement afin de porter secours aux étrangers pourchassés à coups de pierre et de machettes par des groupes de jeunes sud-africains en furie. Qui plus est, le roi des Zoulous, Goodwill Zwelithini, a tenu un discours populiste invitant les « étrangers africains à plier bagage ». Relayant le message de la haine, Edward Zuma, le fils du président sud-africain a, pour sa part, entonné le refrain priant les « noirs Africains » à disparaître du paysage arc-en-ciel.
Face au tollé général soulevé par l’ampleur des violences, Jacob Zuma est tardivement sorti de sa réserve. Fin stratège, il a usé d’un langage ambigu à la fois pour défendre l’image de son gouvernement mais aussi et surtout pour apaiser ses pairs de l’Union africaine. Il a même défié ces derniers d’oser inscrire le problème des migrants à l’ordre du jour du prochain sommet de l’organisation continentale, pour qu’ils expliquent comment ils s’occupent de leur jeunesse.
« L’avril noir » sud-africain
Loin de cette passe d’armes, l’opinion publique africaine aura remarqué, hélas, que trop peu de gouvernements ont feint, aussi timidement qu’hypocritement, d’élever le ton pour décrier les actes subis par leurs compatriotes en quête de lait et de miel en Afrique du Sud. Auraient-ils soudainement été inspirés par la Bible qui conseille au critique d’enlever d’abord la poutre de son œil au lieu de se focaliser sur la paille qui se trouve dans celui de son interlocuteur ?
Toutefois, sans exonérer sa responsabilité dans ce qu’on peut appeler « l’avril noir » sud-africain, Jacob Zuma a posé la bonne question à ses homologues africains. « Que faites-vous, vous, pour empêcher vos compatriotes d’émigrer massivement en Afrique du Sud ? »
Au plus fort de la tempête, Robert Mugabe, du Zimbabwe, a joué au Ponce Pilate en tentant maladroitement de tempérer les inaudibles réprobations des autres chefs d’État : « L’Afrique du Sud étant encore un État jeune, il nous appartient, à nous les aînés, d’éduquer nos enfants et de les détourner de la voie de l’émigration clandestine vers le Sud ».
Pourquoi ces émigrations massives des milliers de jeunes, universitaires ou non, intellectuels ou ouvriers ? La raison se trouve bel et bien dans la quête d’une vie meilleure et de conditions économiques décentes. Les trouvent-ils dans leur pays d’origine ? La réponse est globalement négative.
Comme ce n’est pas le cas dans le pays d’origine, ce n’est pas non plus la faute des multinationales. Ni de la communauté internationale. C’est la responsabilité, en très grande partie, des dirigeants africains et de l’Union africaine. Combien d’emplois créent-ils au travers des petites et moyennes entreprises ? On voit prospérer, par contre, des emplois politiques pour lesquels on recrute par clientélisme et népotisme. Ces derniers emplois, par essence budgétivores, débouchent sur une rentabilité nationale nulle.
La solution est entre les mains des bureaucrates africains
Pourquoi le jeune Africain ne fuirait-il pas son pays en cas de conflits politiques permanents, d’absence de paix et d’un environnement plus libre pour le développement économique ? La solution à l’immigration clandestine est, selon les analystes, « entre les mains des bureaucrates et des technocrates africains qui ont décidé d’amasser richesses et pouvoir au détriment de leurs populations ». Ces technocrates doivent « désormais ouvrir l’Afrique économiquement à sa population ». Plus concrètement, ils doivent veiller à ce que le secteur privé prospère ; que leurs économies deviennent favorables à l’entrepreneuriat pour que les jeunes cessent de penser à des moyens très dangereux et risqués pour atteindre des pâturages plus verts à l’étranger.
Un vœu pieux ? Peut-être. Car, au vu des réalités du terrain, ce raisonnement semble plus facile à émettre qu’à mettre en œuvre. En effet, pour un candidat à l’émigration, « l’ailleurs » projette toujours une image fascinante, trop forte, de l’aimant face à la limaille de fer. Cet « ailleurs » envahit l’esprit, colonise le subconscient, pousse à des pensées et des réactions parfois irrationnelles. « L’ailleurs » tant convoité, tant rêvé, demeure l’eldorado, la biblique « terre promise ».
Chômage et criminalité, prétexte à la xénophobie
C’est à partir des décennies 80-90 que, massivement, de jeunes Africains, hommes et femmes, risquent tout, y compris leur vie, pour entreprendre un périlleux périple qui leur fait traverser des dizaines de frontières et les dangereux courants de la Méditerranée à la recherche d’une vie meilleure à l’étranger. Certains y laissent leur vie, d’autres sont renvoyés chez eux et d’autres encore, qui atteignent leur destination, comprennent que leur existence n’y sera pas forcément plus facile.
Mais étant donné le manque d’emplois et les sombres perspectives auxquels ils sont confrontés dans leur pays d’origine, des millions de ces jeunes préfèrent encore l’exode, souvent clandestin. De tels déplacements de populations posent de sérieux problèmes à de nombreux gouvernements et à la communauté internationale. Aux émigrés qui échouent dans les pays en développement, donc pauvres, est imputée la responsabilité du chômage local et de la criminalité, prétexte politique déclencheur des violences xénophobes contre l’étranger. Dans les pays industrialisés, l’immigration illégale soulève des problèmes pour les services publics et les citoyens : mariages blancs, dépassement des séjours autorisés, interprétation abusive du droit d’asile et difficulté à renvoyer les candidats éconduits. L’émigration, on le constate, est l’un des sujets de désaccord entre les pays d’origine, pauvres pour la plupart, et les pays de destination, plus riches.
Faciliter ou freiner la mobilité des candidats à l’émigration
Jamais les régions de la planète n’ont été aussi liées les unes aux autres. L’information, les matières premières et l’argent franchissent rapidement les frontières : c’est ce qu’on appelle souvent la mondialisation. Pourtant les pays industrialisés, tout en favorisant la circulation de capitaux, de biens et de services – qu’ils fournissent pour la plupart -, freinent le passage de la main-d’œuvre qui provient surtout des pays en développement.
Aux candidats africains à l’émigration, il vaut mieux rappeler qu’il y a des limites au nombre d’immigrants que les pays « développés » et « émergents » sont capables d’absorber, notamment en raison de l’augmentation du chômage sur le plan national. Ces pays d’accueil planifient à l’avance le nombre et la qualité de cadres et d’ouvriers à admettre à l’immigration. Ils en tirent largement bénéfice.
L’émigration bénéficie également aux pays en développement, lesquels reçoivent plus de 165 milliards de dollars par an sous forme de fonds envoyés par les travailleurs de l’étranger. “Ces envois de fonds contribuent à réduire la pauvreté, car ils sont directement versés aux ménages”, soulignent le FMI et la Banque mondiale. Alors, en attendant que les pays africains réduisent les obstacles, surtout économiques, qui font fuir leurs citoyens ailleurs, vaut-il mieux faciliter ou freiner la mobilité des candidats à l’émigration ?