Avec la liste noire, va-t-on vers la fin du secret bancaire ?

La liste noire de l’UE a suscité beaucoup d’espoirs dans le monde. De manière générale, le scandale des Panama Papers a donné un coup de collier à toute la lutte contre l’évasion fiscale. 

 

L’échange automatique d’information, qui est la vraie fin du secret bancaire, ne fait maintenant plus d’objection de la part de personne. Mais il y a encore beaucoup d’obstacles à franchir. Les ONG se réjouissent évidemment de ces progrès. « Mais il y a encore beaucoup de pain sur la planche », explique Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam, pour qui les Panama Papers ne sont que « la partie visible de l’iceberg ». Elle en veut pour preuve l’étude publiée par son ONG, qui dénonçait les bénéfices réalisés par les vingt plus grandes banques européennes dans des pays comme le Luxembourg ou l’Irlande.

Or si l’Union européenne a promis de mettre en place une liste noire commune des paradis fiscaux dans le monde, aucun État membre n’y figure. « Avant de demander aux autres juridictions de mettre de l’ordre, l’Union européenne doit mettre de l’ordre à l’intérieur de sa propre maison », accuse Aurore Chardonnet, chargée de plaidoyer au sein d’Oxfam. Autres récalcitrants: les États-Unis, qui refusent le principe de l’échange automatique d’informations. Un vrai problème, jugent les ONG anti-corruption, selon lesquelles des États américains comme le Nevada, le Wyoming ou le Delaware peuvent être assimilés à des paradis fiscaux. Et cela ne devrait pas s’arranger, puisque les États-Unis de Trump et la Grande-Bretagne en plein Brexit examinent actuellement des mesures fiscales qui pourraient renforcer leurs pratiques et celles de leurs territoires, dont les Iles Vierges des États-Unis, les Iles Vierges britanniques et les Iles Cayman.

Décalage flagrant

Les pays du G20 se sont enfin résolus à éradiquer ces « trous noirs » de la finance mondiale que sont les places offshore et autres « territoires non coopératifs ». Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Après le scandale de Panama Papers, l’étude d’Oxfam est un joli pavé. L’ONG britannique y dénonce les bénéfices réalisés par les vingt plus grandes banques européennes dans des pays comme le Luxembourg ou l’Irlande, « en décalage flagrant » avec le chiffre d’affaires qu’elles y réalisent.

« Nous pointons le décalage entre l’activité déclarée par les banques dans les paradis fiscaux et l’activité réelle qu’elles y ont. C’est énorme ! », a affirmé Manon Aubry, co-auteure du rapport, lors d’une mise en scène organisée par Oxfam à Paris pour la sortie du rapport.

Selon Oxfam, les banques européennes « déclarent 26 % de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, soit 25 milliards d’euros en 2015, mais seulement 12 % de leur chiffre d’affaires et 7 % de leurs employés », un « décalage flagrant ». Ces mêmes établissements déclarent même « au global 628 millions de bénéfices dans des paradis fiscaux où elles n’ont pourtant aucun employé. » Cette « utilisation abusive des paradis fiscaux » peut permettre aux banques de « délocaliser artificiellement leurs bénéfices pour réduire leur contribution fiscale, faciliter l’évasion fiscale de leurs clients ou contourner leurs obligations règlementaires », souligne Oxfam.

Leurs activités sont ainsi plus de deux fois plus lucratives dans les paradis fiscaux que dans les autres pays. Pour 100 euros de chiffre d’affaires, elles y déclarent 42 euros de bénéfices, contre 19 euros en moyenne. Les employés y sont aussi 4 fois plus productifs qu’un employé moyen au niveau global.

L’ONG britannique classe parmi les paradis fiscaux les États figurant dans les principales listes en la matière, dont celles de l’Organisation de coopération et le développement économiques (OCDE) et du Fonds monétaire international (FMI). Elle y ajoute d’autres pays selon des critères propres comme un taux d’imposition effectif faible. Les auteurs de l’étude s’appuient sur des données « pays par pays » dont la publication a été rendue obligatoire pour les banques par l’Union européenne à des fins de transparence. Le Luxembourg, l’Irlande et Hong-Kong font partie des paradis fiscaux privilégiés par les établissements étudiés. En Irlande, cinq banques – la Britannique RBS, la Française Société Générale, l’Italienne UniCredit et les Espagnoles Santander et BBVA – « ont même obtenu une rentabilité supérieure à 100 % et dégagent plus de bénéfices qu’elles ne font de chiffre d’affaires », souligne Oxfam. Dans ce pays, le taux d’imposition des banques étudiées s’élève en moyenne à 6 % et descend à 2 % pour certaines banques, « bien en deçà du taux normalement en vigueur de 12,5%, déjà le plus faible de l’Union européenne ».

Les cinq plus grands groupes bancaires français, c’est-à-dire BNP Paribas, BPCE (Banque Populaire-Caisse d’Épargne), le Crédit Agricole, le Crédit Mutuel-CIC et la Société Générale – « ont déclaré 5,5 milliards d’euros de bénéfices dans les paradis fiscaux ». La Société Générale et BNP Paribas restent les plus gros consommateurs français et y déclarent respectivement 3,2 milliards d’euros et 1,3 milliard d’euros. Quatre d’entre elles – le Crédit Agricole, la Société Générale, BNP Paribas et BPCE – restent par ailleurs présentes aux Iles Caïmans, où elles ont réalisé « 174 millions d’euros de bénéfices bien qu’elles n’y emploient personne ». Sollicitée par l’Agence France Presse (AFP), BNP Paribas a souligné qu’elle ne disposait plus, fin 2016, que d’une succursale aux Iles Caïmans, alors que le rapport d’Oxfam porte sur des données de 2015.

« Les bénéfices réalisés par le groupe aux Iles Caïmans sont fiscalisés aux États-Unis. La présence du groupe dans ce territoire n’a donc ni pour objet, ni pour effet de lui permettre d’optimiser sa situation fiscale », a ajouté la banque. Le Groupe BPCE a réagi en indiquant qu’il « n’exerce aucune activité et n’a pas recensé d’implantations dans les territoires non fiscalement coopératifs ». Sur ses activités dans l’État américain du Deleware, « les avantages attachés au lieu d’implantation de ces structures dans cet État sont de nature juridique (souplesse de constitution, délais, etc.) », a fait remarquer la banque. Approchées, elles aussi, Société Générale, Crédit Mutuel-CIC et Crédit Agricole n’ont pas souhaité réagir.