LA RÉPUBLIQUE démocratique du Congo a été un grand producteur africain de café jusqu’au début des années 1990, avec une production annuelle de 100 000 à 120 000 tonnes, « essentiellement le résultat du travail de petits planteurs. Ce qui veut dire que l’argent était redistribué à des millions de Congolais », explique le professeur Baudouin Michel. Les deux tiers étaient du robusta – qui pousse au-dessous de 1000 m d’altitude – planté en Province orientale, Équateur, Mayombe (Bas-Congo/Kongo-Central) – « très renommé ! » – Maniema et un peu au Kasaï. Le reste en arabica, plus prisé, qui pousse au-dessus de 1 000 m d’altitude, planté au Kivu et un peu en Ituri. Le robusta se vend aujourd’hui 1 000 à 1 500 dollars la tonne, l’arabica 2 500 à 3 000 dollars/tonne. « Là-dessus sont venues les guerres et les rébellions et aujourd’hui la RDC n’exporte plus que… 8 500 tonnes », précise-t-il.
Le sida du café
Ces 8 500 tonnes sont essentiellement de l’arabica : le robusta a pratiquement disparu, souligne Baudouin Michel, en raison des ravages d’une maladie spécifique de la variété, la trachéomycose. « C’est le sida du café ! Cette maladie est due au manque d’entretien des caféiers et s’est développée à cause de l’absence de politique agricole. Le résultat est dévastateur : la région d’Isiro (Haut-Uélé, ex-Province orientale) produisait 42 000 tonnes avant la maladie et 500 tonnes après celle-ci. Le seul remède est de détruire et replanter ».
L’arabica s’en est mieux tiré « parce qu’il se vend plus cher et parce qu’il est cultivé sur la frontière et donc plus facilement exporté. Mais là, il faut mettre un bémol : de 3 000 à 8 000 tonnes sont exportées chaque année frauduleusement vers l’Ouganda et le Rwanda (ce qui veut dire qu’en fait le Congo produirait en réalité 12 000 à 16 000 tonnes) ».
Pourquoi ? « C’est simple », répond le professeur Michel. « L’Ouganda taxe l’exportation de café à 1 % de la valeur. Le Rwanda à 3 % de sa valeur mais avec un rabais pour les engrais. Et le Congo taxe à 11 %. »
Le premier problème est de produire, pas de vendre. Relancer la filière café au Congo ne peut se faire sur le robusta, estime Baudouin Michel : les prix sont moindres ; les plantations sont enclavées (faute de routes, il faut déplacer la récolte en avion ou à vélo !) ; en l’absence de recherche au Congo, on n’a pas encore de variété tolérante à la trachéomycose ; et les rendements sont faibles. « Si on relance, ce doit être avec l’arabica. Mais la plupart des bailleurs de fonds proposent d’améliorer le marketing pour aider à mieux vendre le café congolais. Or ce n’est pas ça le problème ! », se désole le pr. Michel. « Le problème, c’est que les arbres sont trop vieux – 60 à 70 ans pour la plupart – et les planteurs totalement découragés ».
Pour relancer la filière café, estime-t-il, il faudrait évidemment revoir le taux de taxation à l’exportation et ceux sur les intrants agricoles mais, essentiellement, financer la recherche agronomique pour trouver des variétés adaptées aux conditions de culture et soutenir les petits planteurs pour qu’ils aient accès à ces variétés.
Baudouin Michel a des arguments très convaincants pour appuyer ses dires. « Le miracle ivoirien du cacao, qui a fait de la Côte-d’Ivoire le premier producteur du monde avec 45 % du marché mondial, est basé sur des plants venus du centre de recherche agronomique de Yangambi (à 100 km à l’ouest de Kisangani, au nord-est du Congo) qui était, jusqu’à la rébellion des Simbas, en 1964, le plus grand centre de recherche en agronomie tropicale du monde », dit-il. « Et bien qu’il soit dégradé, cela reste un centre énorme ».
« Le miracle malais du palmier à huile, qui a fait de la Malaisie le premier producteur du monde avec 1 million de T/an, est également dû à des plants mis au point à Yangambi », ajoute-t-il. « Il y a 20 ans, les Vietnamiens ont ramené chez eux des plants de café « petit Kwilu » de l’ouest de la RDC. Ils les ont travaillés dans leurs centres de recherche, sans aide extérieure ni manipulation génétique. Et de cette variété, dont les petits planteurs congolais tirent 175 kg/ha, ils produisent aujourd’hui jusqu’à 12 tonnes/ha. Cela montre ce que la recherche locale peut apporter », souligne le professeur-planteur. « Le potentiel est là et, contrairement aux mines, l’agriculture donne de nombreux emplois aux Congolais ».
Il faut une politique
« Le potentiel est là mais il faut la volonté politique d’orienter les investissements publics et privés vers l’agriculture », note M. Michel. Pour l’instant, on en est loin. L’agriculture ne se voit consacrer que 1 % du budget de la RDC, « dont la moitié seulement est effectivement décaissée – soit moins que le total des frais de mission à l’étranger du gouvernement » de Kinshasa, regrette le professeur. Le gouvernement congolais a pourtant signé la Déclaration de Maputo (2003) par laquelle il s’engageait à consacrer 10 % du budget national à l’agriculture.
Pour ce qui est des investissements privés, les Congolais riches préfèrent placer leur argent dans l’immobilier, ce qui permet d’éviter les mesures de contrôle bancaire. Et les étrangers sont rebutés par l’article 16 de la Loi agricole congolaise, qui exige que la majorité des parts, dans les entreprises agricoles, soient aux mains de Congolais – ce qui leur donne le droit de décision sur les capitaux venus de l’extérieur.
Un quasi-monopole sur la quinine, inexploité. Kinshasa, en outre, défend très mal ses intérêts en matière agricole. Ainsi, alors que la RDC produit 80 % de la quinine dans le monde (l’arbre ne pousse qu’en altitude et sur l’équateur, conjonction peu répandue sur la planète), « elle ne tire rien de cette position avantageuse et laisse quatre sociétés pharmaceutiques – deux allemandes, une néerlandaise et une américaine – exploiter le Congo. Ces sociétés sont régulièrement condamnées par les lois anti-monopole mais payent les amendes sans broncher en raison de leurs bénéfices, faits au détriment des Congolais. Ainsi, le petit planteur de quinquina congolais gagne 1/1000 de la valeur ajoutée du produit. À titre de comparaison, le petit planteur de café vietnamien touche 85 % de la valeur ajoutée et l’Ivoirien 55 %. Le petit planteur congolais est donc dans l’impossibilité de sortir de la pauvreté, tandis que le vietnamien, lui, peut diversifier », s’agace le pr. Michel. Et le professeur-planteur de conclure : « Avec une bonne politique agricole et de développement, en dix ans le Congo n’a plus besoin d’aide extérieure ».
On verra la part du budget qui lui sera réservée dans le budget
BEF
Tous les présidents de la RDC ont parlé du besoin de développer l’agriculture. Aucun ne l’a fait. Félix Antoine Tshisekedi a vu que sans la recherche agronomique et les financements, on ne peut faire de bonne agriculture. Au Congo, seulement 0,5 % du budget y est consacré, pour une population estimée à plus de 80 millions d’habitants, dont 60 à 65 millions sont des ruraux. Parce qu’il y a la volonté de changement, le premier indicateur sera la part du budget national qui sera alloué à l’agriculture. Le président Tshisekedi a parlé d’une hausse à 10 % du budget sur 5 ans, soit 2 %/an. Ce sera un bon indicateur de sa politique.
Par où commencer ? Le plus urgent, c’est de mettre le paysan au cœur des décisions – en matière fiscale, d’accès au marché, de recherche, de sécurité foncière… Lui, il sait de quoi il a besoin, avec des urgences différentes selon les zones.