Banque centrale : Malangu dans la peau de Blumenthal ?

Léon Kengo Wa Dondo, président du Senat congolais le 17/06/2015 à la cité de l’union africaine à Kinshasa lors des consultations organisées par le Président Joseph Kabila. Radio Okapi/Ph. John Bompengo

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Comme en 1978, le gouvernement ne fait que se soumettre au diktat du FMI. Le conseil d’administration de la Banque centrale a été renouvelé, avec la nomination, le 5 juillet 2021, d’un nouveau gouverneur, en la personne de Malangu Kabedi Mbuyi, une Congolaise qui a fait ses classes au FMI, ainsi que celle des nouveaux administrateurs. Si la désignation de cette femme (inédit dans les annales de la BCC !) ne pose pas problème, par contre, le Fonds a vigoureusement réagi à la nomination des trois personnalités, dont deux membres du cabinet de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République. Il s’agit de Prince Leta Katumbi, l’assistant du directeur de cabinet ; et d’André Wameso, le directeur de cabinet adjoint.

La souveraineté bafouée

Le FMI a exigé et obtenu la sortie du casting de ces deux « proches politiques » du chef de l’État, ainsi que celle de Dieudonné Fikiri Alimasi, ancien de la BCC devenu président de parti politique et sénateur. Kinshasa a donc capitulé, sans se battre, pour seulement la promesse d’un financement de 1.5 milliard de dollars sur trois ans du FMI, soit 500 millions de dollars par an. Selon le Fonds, l’économie de la RDC est durement affectée par la pandémie de Covid-19. On estime que le PIB n’a augmenté que de 1,7 % en 2020 malgré l’expansion du secteur extractif de près de 10 %, et pourrait augmenter de 4,9 % en 2021. 

« Depuis les années 1980, le pays est relancé, redressé et stabilisé économiquement, mais sans grand dividende pour la population au finish. Mais le FMI et la Banque mondiale continuent à le regarder toujours comme un cas spécial. Et Mobutu de déclarer qu’on ne mange pas la rigueur, pour calmer la colère de la population… »

La pandémie a eu un impact négatif sur les finances publiques : l’inflation a culminé à 15,7 % en glissement annuel en août 2020, parallèlement à une dépréciation rapide du franc congolais. Le pacte de stabilité signé entre la Banque centrale et le gouvernement, le décaissement au titre de la facilité de crédit rapide en avril 2020 et le soutien supplémentaire d’autres partenaires au développement ont contribué à stabiliser la situation et à combler les déficits de financement. 

Mais d’importants besoins de financement budgétaire et extérieur subsistent à moyen terme. « L’amélioration de la gouvernance et la lutte contre la corruption sont essentielles, avec un accent continu sur la gestion des ressources extractives, sur l’amélioration de la gestion des finances publiques et sur la lutte contre le blanchiment d’argent », souligne le rapport de mission des experts du Fonds dépêchés en RDC. 

Ces derniers se sont félicités de « l’engagement des autorités à renforcer les principales institutions de lutte contre la corruption, notamment la Cour des comptes et l’Inspection générale des finances ». Par ailleurs, elles reconnaissent l’importance d’améliorer le climat des affaires et d’attirer les investissements privés pour favoriser une croissance économique forte et inclusive.

Pour cet homme politique très marqué à l’opposition, « faut-il vraiment pour si peu saborder la souveraineté du pays ? » Il fait remarquer qu’en 2018, Joseph Kabila Kabange, le prédécesseur de Félix Antoine Tshisekedi, « a bravé les convenances et les menaces occidentales » en finançant sans apports extérieurs les élections présidentielle et législatives dans ce même pays. « En moins de 8 mois, le gouvernement avait mobilisé près de 1 milliard de dollars. Il y a l’argent dans ce pays », insiste-t-il. Du coup, il se pose la question de vérifier l’impact des programmes avec le FMI sur la stabilité macroéconomique dans le pays et l’amélioration du social des populations. « Tout porte à croire que le FMI impose ses vues, sinon comment comprendre la désignation d’un gouverneur sorti de ses entrailles ainsi que la récusation par lui de certaines personnes désignés membres du conseil d’administration de la BCC… C’est clair que le FMI veut voir sous son contrôle l’indépendance de la Banque centrale, comme en 1978-1979 », analyse-t-il.

Les coudées franches

Interrogé, un analyste économique estime que Kinshasa n’a pas vraiment une grande marge de manœuvre face au Fonds : « Je pense que les autorités du pays n’ont pas, pour l’instant, besoin d’effaroucher le FMI… Est-ce pour cela qu’elles laisseront à Mme le gouverneur ses coudées franches ? » Fonctionnaire internationale au FMI, Malangu Kabedi Mbuyi est décrite comme « expérimentée », ayant notamment travaillé comme cheffe de mission au Burkina Faso. Comme Erwin Blumenthal en 1978, elle aurait vraisemblablement reçu pour mission, entre autres, de rendre effective l’autonomie de la Banque centrale vis-à-vis du pouvoir politique suivant les recommandations du FMI. « Mais pourra-t-elle réussir là où Erwin Blumenthal a échoué ? », note un autre analyste économique plutôt dubitatif. Et d’ajouter : « Que l’institution financière mondiale revendique l’indépendance de la BCC, cela s’entend. Mais que l’exécutif se fasse dicter ce qu’il doit faire, il y a un problème : l’État se trouverait dans le dilemme entre, d’un côté, entrer à nouveau en programme avec l’institution financière internationale et, de l’autre, la souveraineté de l’État et ses obligations envers ses citoyens. »

Pour cet analyste, la RDC se trouve en situation d’« état de nécessité », c’est-à-dire « tout accepter simplement pour ainsi disposer de l’argent de ses créanciers étrangers ». Rien d’étonnant que l’ex-Zaïre, sous le 1ER Ministre Kengo wa Dondo, dans les années 1980, soit considéré comme le « bon élève » du FMI. « Pendant une dizaine d’années, le pays avait été relancé, redressé et stabilisé, sans grand résultat au finish. Le FMI et la Banque mondiale regardent toujours le pays comme un cas spécial mais la seule démonstration visible, c’était la misère, la malnutrition… Et Mobutu de déclarer qu’on ne mange pas la rigueur pour calmer la colère de la population », rappelle-t-il.

L’adoption par un nombre croissant de pays de programmes d’ajustement structurel (PAS) agréés par le FMI constitue l’un des faits ayant marqué l’évolution économique en Afrique subsaharienne à partir des années 1980. Un PAS est un programme de réformes économiques que le FMI ou la Banque mondiale mettent en place pour permettre aux pays touchés par de grandes difficultés économiques de sortir de leur crise économique. Il s’agit d’un ensemble des dispositifs dont certains agissent sur la conjoncture et d’autres sur les structures et qui résultent d’une négociation entre un pays endetté et le Fonds pour modifier le fonctionnement économique du pays. D’habitude, le FMI conditionne son aide à la mise en place des réformes qu’il considère pérennes. 

Cependant, les réformes préconisées par le FMI continuent à susciter des critiques étant donné que les conséquences sociales sont généralement et souvent douloureuses pour les populations. Le FMI lui-même a reconnu quelques erreurs dans sa politique et entamé des réformes.