L’air du temps le condamne. Portée vers les hommes forts, l’opinion se détourne des modérés. Barack Obama était le représentant le plus abouti, le plus intelligent, le plus élégant, le plus moral, des hommes d’Etat portés vers le compromis, vers l’écoute, vers l’ouverture, vers la décence, autant de vertus contraires aux démagogues. Alors, haro sur lui. Il portait tant d’espoir, il bénéficiait de tant d’engouement, il a déçu par timidité, par défaut de rage, par mollesse. La preuve de son échec est que, après deux mandats, lui succède son exact contraire, un président entièrement indécent.
Dans son discours d’adieu à Chicago, mardi 10 décembre, Barack Obama reconnaît une vérité que l’air du temps ne veut plus entendre : « La démocratie n’est pas facile à entretenir. » Les populistes avancent des solutions simplistes et magiques, lui rappelle que l’Amérique « n’a pas été impeccable dès le début mais, […] qu’à chaque génération […], nous avons fait de notre mieux ». La démocratie fait-elle de son mieux ? Pitoyable aveu d’impuissance coupable.
Barack Obama laisse pourtant un bilan qui mérite d’être défendu en tant que tel, mais surtout pour soutenir l’idée même de démocratie, ce régime difficile, décevant, mais perfectible et qui, chacun faisant de son mieux, réussit. Ce bilan eût paru très bon si Hillary Clinton avait été élue pour le consolider. Donald Trump a annoncé vouloir le détruire (Obamacare, accord climat, nucléaire iranien) et la trace du premier président noir va sans doute beaucoup s’effacer.
Aurait-il pu faire mieux ? Sur la fermeture de Guantanamo. Il s’y était engagé, la prison bien que de taille réduite fonctionne toujours. Sur les droits des Noirs. Les violences et les morts dans les manifestations montrent plutôt un recul paradoxal sous le premier président afro-américain. La bataille des idées ? Les dérives de la campagne présidentielle sur Internet ont mis en lumière l’existence dramatique de deux mondes intellectuels opposés : la vérité des faits prouvés d’un côté, la conviction toute faite, la croyance, la post-vérité de l’autre. « L’esprit du pays », positif, tourné vers le progrès, celui de « la foi dans la science et l’entreprise », « celui de cap Canaveral », est mis en danger par la négation des faits, a reconnu Barack Obama lui-même. Qu’aurait-il pu « mieux faire » sur tous ces sujets ? La réponse est ouverte.
Sur le plan international également. On lui accorde le rétablissement d’une bonne image pour son pays après la détestation de George Bush, la « justice » rendue à Ben Laden et l’accord iranien. On lui reproche le refus d’intervenir en Syrie. Vladimir Poutine en a profité pour prendre la place et s’imposer comme un acteur incontournable au Proche-Orient. Mais il faut comprendre que les scrupules du président américain n’étaient pas seulement motivés par la peur de faire inévitablement des morts civils. Il a tiré de sa propre expérience en Afghanistan que l’interventionnisme pour imposer la paix ou pour « construire l’Etat » ne marchait pas quand les conditions n’étaient pas réunies, notamment quand les acteurs, les tribus, les clans, n’étaient pas disposés à tourner la page. Barack Obama se trompe-t-il ? Etait-il motivé par un fond d’isolationnisme hérité de sa propre histoire ? Les Européens touchés par les conflits du Sud doivent-ils voir les choses autrement ? Sans doute. Mais le débat sur la démocratie et son exportation est, là aussi, majeur.
Sur le front intérieur, en revanche, le bilan est plus simple. Le président démocrate s’est heurté durant huit ans à une opposition systématique et viscérale du camp républicain. « Vous mentez ! » est allé jusqu’à crier un député pendant une adresse présidentielle au Congrès, esclandre jamais vu, jamais osé dans l’histoire des Etats-Unis. L’obstructionnisme avait ses raisons idéologiques, le refus d’une régulation bancaire par la loi Dodd-Frank. Ses contradictions, le Congrès a voté contre le plan de relance en pleine récession en 2009, alors que Trump va le faire aujourd’hui quand la croissance est là. Ses faux motifs, l’Obamacare était considéré comme une arme du président pour favoriser le Tea Party contre le Parti républicain. Une chose est sûre : ses excès ont conduit le parti à se perdre et à ouvrir la porte à Trump. Mais, du coup, paralysé, Barack Obama a dû gouverner par décret, sur les droits des gays, la protection des consommateurs ou sur l’accord climat. Autant de textes sans force de loi que peut aujourd’hui défaire le nouveau président.
Le domaine économique est, lui, facile à défendre. Quand il arrive au pouvoir, les Etats-Unis sont entrés dans la pire récession depuis les années 1930, ils perdent 800.000 emplois par mois. Plan de relance, nationalisation de General Motors, malgré les refus républicains, la réussite viendra dès juin 2010. Elle ne s’imposera que lentement mais, au bout du compte, 15 millions d’emplois auront été créés sous ses mandats, les salaires, poussifs, finiront par repartir à la hausse pour toutes les catégories, y compris les plus basses. Les inégalités restent inchangées, mais c’est le type de croissance économique dans lequel nous entrons qui empêche la distribution des richesses à tous. Le président aurait-il pu faire mieux et se montrer plus déterminé, plus habile ou plus persuasif ?
La présidence Obama montre que le pouvoir dans les démocraties modernes s’exerce avec beaucoup de difficultés et de vents contraires. La force politique est devenue plus faible. Certains se tournent vers les régimes populistes, ils en seront pour leurs frais. D’autres s’accrochent à l’idée démocratique. Même si cela reste avec trop de timidité, Barack Obama a montré que cette idée réussit encore. Il a fait de son mieux et le résultat est très honorable. Mais l’honneur, il est vrai, n’est plus d’époque…