L’EXERCICE 2019 s’est clôturé à la Banque Commerciale Du Congo (BCDC) avec le meilleur résultat net de ces 25 dernières années, à hauteur de l’équivalent de 13,9 millions de dollars. L’année 2019, c’est aussi celle de l’entrée d’Equity Group Holding dans le capital de la BCDC en acquérant 66 % des parts sociales. Et depuis, la plus vieille banque commerciale du pays a entamé sa mue sous l’ère kenyane.
Dans la soirée de jeudi 26 novembre, au Fleuve Congo Hotel de Kinshasa, c’était donc l’occasion pour Yves Cuypers, le directeur général de la Banque Commerciale Du Congo, de fixer l’opinion sur le devenir de la nouvelle banque, lors de la cérémonie de présentation du rapport annuel (Road Show) des comptes (états financiers) de la BCDC pour l’exercice 2019. En effet, cet événement a toujours été un moment fort pour les dirigeants de la BCDC de passer des messages de leur banque et du secteur.
Et Yves Cuypers sait bien le faire. Le jeudi 26 novembre, il n’y a pas dérogé. Tout ce que Kinshasa compte comme gratin dans les secteurs financier, économique, politique et social, était presque représenté à cette cérémonie. Il y avait aussi des membres du gouvernement, des parlementaires et des clients de la banque. James Mwangi, le CEO d’Equity Groupe Holding (EBC), a rehaussé de sa présence cet événement que la pluie a failli gâcher.
Devant ce parterre d’invités, et pendant une cinquantaine de minutes, Yves Cuypers a voulu passer trois messages importants. Premièrement, les faits marquants de l’année 2020. Deuxièmement, les comptes de l’exercice 2019, et, troisièmement, l’acquisition des parts sociales majoritaires de la BCDC par Equity Group Holding.
Les faits marquants
Pour Yves Cuypers, il n’y a pas beaucoup de faits marquants en 2020. Mais deux événements apparaissent à ses yeux comme les plus importants. Tout d’abord, la crise sanitaire du Covid-19 qui a un réel impact sur l’économie et, par ricochet, sur les actifs des banques. Et ensuite, bien sûr, l’acquisition par Equity Group Holding des 66 % des parts sociales dans BCDC.
Outre le ralentissement économique, à cause de la crise du Covid-19, le cours de change a fortement dérapé dans le pays, le taux d’inflation jusqu’en août dernier était assise sur la base annuelle de 20 %, le franc congolais a dérapé d’à peu près 20 % également… À cause de la crise du Covid-19, nombre d’entreprises ont réduit leurs activités, d’autres les ont cessées carrément. Selon une étude de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), il y a eu 33 % des licenciements dans le pays, beaucoup d’entreprises (la BCDC aussi) ont réduit leurs dépenses dans 13 % des cas, et 40 % des entreprises éprouvent encore des difficultés pour renouveler leurs engagements.
À cause du ralentissement économique dû au Covid-19, le revenu des recettes de l’État ne dépassera pas probablement les 3,5 milliards de dollars. La dépréciation rapide du franc congolais a poussé la Banque centrale à prendre des mesures en termes de resserrement monétaire. Celles-ci ne sont pas sans conséquences sur le système bancaire en termes de réserves obligatoires.
Dans ce contexte, a laissé entendre Yves Cuypers, la BCDC a joué à l’anticipation en se constituant des « provisions importantes » au cours de cette année, justement pour protéger ses actifs de la dégradation de certaines sociétés, mais aussi de la monnaie nationale. Comme chaque année, les comptes de la banque sont audités au 30 juin. Cette année, ils ont reçu une note satisfaisante des commissaires aux comptes. Et d’ailleurs, a fièrement rappelé le DG de la BCDC, sa banque et son concurrent la Rawbank, sont « les seules sociétés sur le sol congolais à avoir la notation de l’agence internationale Noody’s ».
Citation
« C’est pour la première fois qu’une telle opération d’absorption se réalise dans le pays, plus est dans le secteur bancaire où on parle plus de faillite et de liquidation. C’est donc une opération qui va donner de l’élan à l’économie nationale. »
Malgré le ralentissement économique, le chiffre d’affaires ou le produit net bancaire, par exemple, est passé de 68 millions de dollars à 66 millions, quand on compare la situation au 30 septembre 2020 à celle au 30 septembre 2019. C’est négligeable, la différence, estime Yves Cuypers. Au niveau des dépenses, la BCDC est à 41.1 millions de dollars, contre 43.9 millions un an auparavant, les dépenses ayant été significativement réduites. Tout comme la solvabilité qui est le thermomètre de la banque ou la capacité de résistance de la banque aux chocs exogènes et, dans le cas d’espèce, aux chocs endogènes, ne s’est pas beaucoup détériorée. Il est noté une perte de 3.5 %.
Néanmoins, l’écart est grand au niveau des amortissements et des provisions, 22 millions de dollars, contre 11.5 millions un an auparavant. « Ce sont essentiellement des provisions sur les dossiers crédits qui ont un lien, et pas toujours direct, avec la crise du Covid-19 », a précisé le DG de la BCDC.
Autre fait marquant : la transaction de l’acquisition des parts sociales de la BCDC par Equity Group Holding a été faite en juin 2019. Et depuis, des groupes de travail (BCDC, Equity Bank Congo et Equity Group Holding) ont été constitués pour harmoniser et préparer l’intégration prochaine. L’objectif est de développer l’inclusion financière en République démocratique du Congo. Le pays est peu bancarisé, avec un taux de bancarisation inférieur à 8 % alors que dans d’autres pays en Afrique, il va jusqu’à 40 % comme au Kenya. « Dans cette opération, l’objectif est de préserver le rôle de la BCDC », a déclaré sans ambages Yves Cuypers. L’intégration a trois défis majeurs, a-t-il fait remarquer par ailleurs.
Le premier défi, c’est « l’amélioration informatique » compte tenu des contraintes, des obligations et des reportings internationaux. « Equity est coté sur différentes places financières, notamment la place financière de Nairobi, et il est le champion de la digitalisation, sa plateforme informatique a une capacité de pouvoir traiter beaucoup d’opérations ». Le deuxième défi, c’est « l’acquisition par absorption » d’Equity Bank Congo par la BCDC. C’est un processus à plusieurs étapes. « Il y a encore un certain nombre de points qui doivent être mis en place, a souligné Yves Cuypers. Bref, il s’agit d’une opération d’acquisition par absorption par la BCDC d’Equity Bank Congo. Tous les actifs et tous les passifs d’Equity Bank Congo vont entrer dans le bilan des actifs et des passifs de la BCDC. »
La prochaine étape à franchir est celle des contraintes juridiques et légales. Par exemple, l’opération d’acquisition est soumise à l’accord de la Banque centrale du Congo (BCC), notamment en ce qui concerne les critères prudentiels. « C’est pour la première fois qu’une telle opération d’absorption se réalise dans le pays, plus est dans le secteur bancaire où on parle plus de faillite et de liquidation. C’est donc une opération qui va donner de l’élan à l’économie nationale », a dit le DG de la BCDC. Et enfin le troisième défi, c’est « l’harmonisation des ressources humaines ». « Tous les agents d’Equity Bank Congo sont appelés à devenir au moment de la réalisation de l’absorption les agents de la nouvelle banque ».
Les chiffres clés de 2019
En chiffres, la BCDC a réalisé en termes de total de bilan 1 226 millions de dollars (en 2019), contre 861 millions (en 2018), soit une augmentation de 42 %. Les fonds propres sont passés de 82 millions (en 2018) à 90 millions (en 2019). Quant aux dépôts, ils ont connu un accroissement, de 670 millions (en 2018) à 983 millions (en 2019). Pour ce qui est des crédits à décaissements, la courbe de l’évolution montre une trajectoire de 372 millions (en 2018) à 434 millions (en 2019). Le produit net bancaire, lui, est passé de 85 millions (en 2018) à 94 millions (en 2019), soit une croissance de 13 %. Et le résultat net a connu une évolution allant de 12 millions (en 2018) à 14 millions (en 2019).
Autres chiffres : trésorerie disponible (plus de 710 millions de dollars), rendement net sur fonds propres (15,5 % en 2019, contre 14,3 % pour l’exercice précédent), résultat d’exploitation (20,5 millions en 2019, contre 15,4 millions en 2018), coefficient d’exploitation (65 % en 2019, contre 73 % en 2018), taux de solvabilité (9,8 % sur une exigence minimale fixée par la BCC à 7,5 % pour les fonds propres de base)…
Cependant, une fraude importante de 6.8 millions de dollars a pesé sur les résultats de la banque pour l’exercice 2019. L’année dernière, même événement et même lieu, Yves Cuypers avait révélé qu’un « grave incident » (faux et usage de faux, vol, détournement, abus de confiance…) avait été découvert le 2 mai 2019 à la banque, avec des complicités internes et externes, causant ainsi un préjudice à la BCDC. Toutefois, « les fondamentaux de la banque (solvabilité) n’ont pas été mis en cause ». D’ailleurs, la police d’assurance de la banque avait été reconduite avant l’échéance du 30 juin, ce qui a permis que les assurances payent.
Le fait pour la BCDC d’entrer dans le giron d’Equity Group Holding est une garantie dans la mondialisation du secteur financier. Les contrôles des flux internationaux se font désormais par des banques correspondantes sur essentiellement trois devises dont l’une continue à jouer un rôle majeur, le dollar américain. Par ailleurs, les États-Unis ont produit des lois qui permettent d’externaliser leurs sanctions. « Equity Group Holding est donc une société bancaire et financière de premier poids. L’un des plus grands fonds souverains au monde, le Fonds norvégien, et Rabo Bank, seule banque coté triple A, ainsi que SFI, la filiale de la Banque mondiale, sont dans le capital d’Equity. Cela est une garantie pour nous dans le contrôle des normes internationales », a déclaré le DG de la BCDC.
Maintenant que les fintech et les télécommunications sont devenus des rudes concurrents des banques traditionnelles, Equity qui est à la base de la forte croissance de l’inclusion financière au Kenya, offre aussi une garantie à la BCDC face à la menace des fintech et des sociétés des télécommunications.
Les challenges
En 2019, le rapprochement entre la BCDC et Equity Group Holding était présenté comme un « partenariat stratégique ». Les négociations ont commencé au mois de juin de l’année dernière. À l’époque, Yves Cuypers avait indiqué que la recherche d’un partenaire de la BCDC « n’était pas une histoire récente ». Pour rappel, en 2005, Fortis avait décidé de se retirer d’Afrique, en vendant son réseau africain géré par sa filiale, la Belgolaise. En 2009, George Forrest a pris la majorité de l’actionnariat de la BCDC. « Jamais il n’y a eu de l’ingérence dans la gestion de la banque. Mr Forrest a laissé l’autonomie de gestion au comité de direction et aux organes exécutifs de la banque. Cette position généreuse a été identiquement la même pour l’État congolais dans la gérance, la prise de décisions… », avait déclaré le DG de la BCDC, comme pour rendre un hommage mérité à George Forrest, lors de la présentation du rapport annuel 2018.
Yves Cuypers ne s’en cache pas : l’ambition de la BCDC a toujours été d’être le leader dans le secteur bancaire en RDC, position occupée encore par la Rawbank. Avec le processus d’intégration en cours, l’objectif est à vue. « Quand je regarde la géographie caractéristique des uns et des autres au Congo, Equity Bank Congo est la banque avec laquelle la BCDC a moins des points de concurrence mais la plus forte complémentarité, soit sur les segments clientèle, soit sur les réseaux », a fait savoir Yves Cuypers, comme l’un des fondements de l’opération d’intégration.
Et l’autre fondement, c’est la capacité d’intervention dans le pays. La complémentarité des produits et l’apport de la technologie, Equity ayant un système digital extrêmement développé, sont des atouts). Aujourd’hui, à la BCDC, le crédit à moyen terme reste limité à 25 millions de dollars. Mais avec l’intégration, la nouvelle banque aura des ressources nettement supérieures pour couvrir l’ensemble des segments de la clientèle. Elle sera une banque d’investissement, institutionnelle, une banque privée et de proximité.
L’ambition est donc de devenir la banque leader dans le pays. « Il s’agit de transformer l’économie du Congo comme Equity l’a fait au Kenya. Ce n’est pas un slogan, cela se traduit dans les chiffres de l’économie kenyane. Equity a les outils pour développer l’inclusion financière dans tous les segments de la clientèle et dans tous les produits », a déclaré le DG de la BCDC. Et d’ajouter : « Au Kenya, Equity est parti de 2 500 clients pour atteindre aujourd’hui 14 millions. Dans la distribution des crédits, les PME prennent la part du lion. De là à comprendre la complémentarité et l’intérêt pour Equity de devenir majoritaire dans BCDC. Bref, il y a des grands objectifs pour 2025 : développer la plateforme informatique, les PME et le secteur de production agroalimentaire au Congo avec les Congolais. »
Autre ambition : surtout entrer dans le top 3 des groupes bancaires en Afrique et avoir dans tout le groupe 100 millions de clients. Pour l’instant, la RDC ne compte que 1 million des comptes bancaires. L’importance des opérations au Congo trouve également son fondement dans le fait que les pays africains dans lesquels Equity est présent sont en bordure de la RDC. « Cela permet de favoriser les opérations transfrontalières. Il y a dans ces pays des couloirs internationaux avec les opérations minières et d’exportation. Le secteur bancaire au Kenya, c’est 46 milliards de dollars et Equity occupe la première position sur ce marché. Alors qu’en RDC, le secteur bancaire fait 7.8 milliards en 2019 et la BCDC est n°2 sur ce marché. Les autres marchés sont plus petits comparé à la RDC qui représente un gigantesque potentiel », a argumenté le DG de la BCDC.