Bernard Madoff, le génial financier, reste en prison

Sa demande de libération anticipée « par compassion » a été rejetée la semaine dernière par un juge fédéral américain. Pour quelle raison ? L’ancien financier, qui se dit mourant pour cause d’une maladie des reins, n’a jamais manifesté de remords pour sa vaste escroquerie.

DENNY CHIN, c’est le juge qui a condamné en 2009 Bernard Madoff à 150 ans de prison. Pour lui, si le « mauvais état de santé » de Bernard Madoff, âgé de 82 ans, est « des plus malheureux », alors l’ancien homme d’affaires doit rester en prison pour avoir mis en œuvre « l’un des plus scandaleux crimes financiers de notre époque ». Le juge souligne aussi que de nombreuses victimes de Bernard Madoff continuent de souffrir de son escroquerie et que l’ex-financier n’a « jamais vraiment été pleinement empli de remords », se désolant simplement d’avoir perdu son ancienne vie.

« Quand j’ai condamné M. Madoff en 2009, il était totalement dans mon intention qu’il passe le reste de sa vie en prison », écrit Denny Chin. « Rien ne s’est produit au cours des 11 années écoulées qui me fasse changer d’avis. » Brandon Sample, l’avocat de Bernard Madoff, a déclaré dans un communiqué que le juge « trouvait fondamentalement qu’en raison de la nature de ses crimes, Madoff ne peut pas accéder à la rédemption ». « Nous sommes déçus par le refus du juge Chin d’accorder la moindre compassion à Madoff », a-t-il ajouté. Le seul espoir de Bernard Madoff désormais est d’obtenir que Donald Trump, le président américain, commue sa peine, a dit l’avocat.

L’affaire Madoff

Comment Bernard Madoff a-t-il escroqué les plus grandes institutions financières ? Le courtier au cœur du scandale était une légende de Wall Street, ainsi qu’une incarnation du rêve américain. Ce maître-nageur à Long Island a créé son fonds d’investissement, Bernard Madoff Investment Securities, à l’âge de 22 ans, avec 5 000 dollars. Réputé intuitif, ultra-rapide mais aussi très « éthique », il avait fini par s’imposer dans la communauté financière. Au point de devenir le président du Nasdaq, la prestigieuse Bourse des valeurs technologiques, de 1990 à 1991. Mondain, jovial, il parvenait à capter la confiance de ses futurs clients. Figure de la communauté juive new-yorkaise, le « génial » financier était très présent dans les activités caritatives et culturelles.

Comment a-t-il escroqué ses clients ? Bernard Madoff recevait par le biais de son fonds des capitaux à gérer, qu’il investissait dans des hedge funds (fonds d’investissement à risque), dont la performance était réputée supérieure à la moyenne. Lorsque la performance n’était pas au rendez-vous, au lieu de diminuer le rendement distribué aux investisseurs, il prenait tout simplement l’argent des nouveaux investisseurs et l’utilisait pour payer les anciens. De ce fait, il donnait l’impression d’une performance exceptionnelle, sur la base de laquelle il attirait de plus en plus d’investisseurs, mais année après année, il dilapidait le capital que ceux-ci lui avaient confié.

Quand la crise boursière éclate, en 2008, nombre d’investisseurs veulent récupérer leur mise. Trop en même temps. Bernard Madoff ne peut pas rendre l’argent. Il fait part de la situation à son fils, qui prévient les autorités. Le 11 décembre, Bernard Madoff est arrêté par le FBI. De riches particuliers, de grandes institutions financières (américaines, japonaises, suisses, espagnoles, françaises, britanniques…), des fondations comme celle du Prix Nobel Elie Wiesel ou du cinéaste Steven Spielberg figurent parmi les perdants. Certains de ces investisseurs ont directement confié leurs fonds à la société de Bernard Madoff. D’autres ont confié des sommes d’argent à des fonds d’investissement qui les ont placés chez Madoff.

La banque espagnole Santander est la plus exposée à la fraude : elle risque de perdre 2,33 milliards d’euros. Côté français, Natixis évalue à 450 millions ses pertes potentielles, BNP Paribas à 350 millions, AXA à 100 millions, Dexia à 85 millions. Le Crédit agricole, Groupama et la Société générale enregistrent un préjudice de 10 millions d’euros. En France toujours, l’Autorité des marchés financiers estime que les pertes des petits épargnants pourraient atteindre 40 millions d’euros. Selon Gérard Rameix, le secrétaire général du régulateur boursier, « une centaine de fonds français ont effectivement acheté des fonds Madoff ». Mais aucun d’entre eux « n’a été distribué massivement dans le grand public en France », assure-t-il.

Comment Bernard Madoff a-t-il échappé aux contrôles ? La Securities & Exchange Commission (SEC, gendarme de la Bourse) est pointée du doigt pour ses graves défaillances. En huit ans, trois enquêtes ont été diligentées par le régulateur américain des marchés contre Bernard Madoff Investment Securities, sans que rien ne ressorte. En toute illégalité, la société n’était plus enregistrée auprès de la SEC depuis 2006, et son commissaire aux comptes était un minuscule cabinet de l’État de New York.

L’enquête

Autant de signes qui auraient dû mettre la puce à l’oreille, en plus des rendements exceptionnels et étrangement constants réalisés par le fonds d’investissement. Où sont passés les 50 milliards de dollars ? Quand Bernard Madoff  a été démasqué, il a affirmé aux enquêteurs que son fonds a perdu 50 milliards de dollars. Cet argent a été utilisé pour payer aux clients du fonds, pendant des années, le rendement promis. Avec la crise financière, la valeur des actifs détenus par Madoff pour le compte de ses clients a baissé dans des proportions gigantesques, donnant le coup de grâce à ce système frauduleux.

Bernard Madoff a gagné de l’argent grâce aux commissions perçues pour gérer les actifs de ses clients. Mais il n’a apparemment pas détourné de sommes supplémentaires, selon les premiers éléments de l’enquête, et n’aurait pas de magot caché. Il est aujourd’hui ruiné. L’enquête démontre l’extraordinaire laxisme de la SEC, le « gendarme » de Wall Street.

Christopher Cox, le président de la SEC, n’aura pas survécu à l’éclatement du scandale Madoff, du nom de ce gestionnaire de fonds soupçonné par la justice américaine d’avoir organisé la plus gigantesque fraude financière de l’histoire.

Désigné à la tête de la SEC en 2005 par George Bush, cet ancien représentant républicain, s’était dit « extrêmement inquiet devant les multiples échecs des enquêtes » menées par son organisme sur BMIS, le fonds de Bernard Madoff. Des échecs qu’il avait reconnus s’être poursuivis « durant une décennie ». De fait, quatre enquêtes de la SEC depuis 1999 n’ont abouti à aucune suite.

L’enquêteur, David Kotz, a « examine »  la relation qui a pu exister entre Shana Madoff, la nièce du financier et qui travaillait pour lui, et Eric Swanson, un important agent de la SEC, qui avait enquêté sur les affaires de Madoff entre 1999 et 2004, sans jamais rien déceler de répréhensible. Tous deux se connaissaient de très près : ils se sont mariés en 2007. David Kotz a rappelé que « les règlements stricts » de la SEC interdisent à ses membres d’intervenir lorsque leurs « intérêts personnels » sont susceptibles d’interférer.

Les réseaux relationnels entre la sphère financière et ses «régulateurs», qui dépendent du monde politique, commencent à émerger comme une question centrale du scandale… Le fonctionnement de la SEC n’était pas qu’inadéquat, il apparaît aussi avoir été extraordinairement laxiste. Il s’avère qu’une de ses enquêtes faisait apparaître des manquements graves dans les activités de BMIS en 2006. Alors président de la SEC, Cox n’y avait donné aucune suite… Bernard Madoff avait été condamné à 150 ans de prison en 2009. Il purge actuellement sa peine dans une prison fédérale médicalisée de Caroline du Nord, selon les données du Bureau fédéral des prisons, qui affiche une date théorique de remise en liberté en 2139.