Blocs pétroliers : Sakombi tranche dans le vif

Le ministre des Hydrocarbures a retiré l’appel d’offres lancé en juillet 2022 sur 27 gisements pétroliers de la République démocratique du Congo mais sans y renoncer. Il rassure qu’un nouveau projet va être préparé, une façon pour lui de régler un cas de gouvernance qui faisait désordre.

Le ministre Sakombi a pris le pari d’une gestion responsable et planifiée des ressources au profit de la population et des générations futures.

C’est dans un communiqué, daté du 11 octobre 2024 mais rendu public trois jours plus tard, que le ministre des Hydrocarbures, Aimé Sakombi Molendo, a annoncé sa décision d’annuler l’avis d’appel d’offres international après approbation par le conseil des ministres. Ce ne sont donc pas les pressions internationales ni les demandes des organisations de la société civile pour que le gouvernement renonce au projet qui ont contraint le ministre des Hydrocarbures à faire marche arrière, fait remarquer un des collaborateurs du ministre des Hydrocarbures. Mais, poursuit-il, il a simplement suivi la voie de la raison et du bon sens. Tout simplement !

Pour plusieurs raisons dont cinq sont d’une importance capitale, Aimé Sakombi Molendo, fait savoir que le rapport de la commission ad hoc mise en place en juillet 2023 ainsi que l’évaluation du processus d’attribution des droits d’hydrocarbures en République démocratique du Congo qu’il a lui-même demandée ne sont pas satisfaisantes. En effet, le rapport de la commission ad hoc fait état d’« absence de candidatures», des « offres non recevables », des « dépôts tardifs », des « offres inappropriées ou irrégulières », et de « défaut de concurrence ». 

Pour le ministre Sakombi, ces conclusions le mettent en situation d’annuler la procédure d’attribution des droits d’hydrocarbures. Et, par conséquent, de mettre en place un « mécanisme » pour la relancer sur bons rails. Avis donc « aux candidats ayant soumissionné de prendre contact avec la commission ad hoc pour les modalités pratiques ». Pour toutes ces raisons et bien d’autres, notamment l’absence de candidats, la mise aux enchères de ces 27 blocs pétroliers avait déjà été reportée en mars 2023. Une première fois en 2010, le gouvernement avait attribué ces blocs mais à l’époque, les choses ne s’étaient pas très bien passées, étant donné que certains blocs se trouvent dans la Cuvette centrale où l’environnement est très fragile et en partie protégé (une région de forêts et de tourbières extrêmement délicates) et d’autres gisements dans le Graben Albertine, une zone frontalière de l’Ouganda, et dans des régions isolées, nécessitant ainsi d’importants investissements en infrastructures pour l’exportation du pétrole.

Tenez : sur 27 blocs, dix n’ont pas reçu d’offre et neuf que d’une seule société. Aucune major pétrolière n’a manifesté d’intérêt. Seul bémol, les trois blocs gaziers situés sur le lac Kivu, dans l’Est du pays, et dont deux ont trouvé acquéreur, ne sont pas concernés par la décision. Comme on peut le constater, les enjeux environnementaux ont été depuis au cœur des pressions internationales, avec en ligne de front des ONG internationales et des associations de la société civile locale. 

La décision du ministre Sakombo d’annuler le processus en cours pour le relancer sur des nouvelles bases a été globalement bien accueillie dans ces milieux. Pour Jean Claude Mputu, le porte-parole de la plateforme d’ONG de lutte contre la corruption Le Congo n’est pas à vendre/CNPAV, par exemple, « l’annulation de l’appel d’offres est un soulagement », car, déclare-t-il, cette décision va dans le sens de « reconsidérer » la stratégie pétrolière du gouvernement.

On s’en souvient, dans un rapport publié en juin dernier, le CNPAV avait alerté sur les dérives du processus lancé en juillet 2022 et appelé le gouvernement à faire preuve de « transparence ». En effet, la RDC est face à un dilemme : comment être en même temps un « pays solution » pour la transition énergétique mondiale grâce à ses ressources en minerais critiques et au carbone stocké par son immense forêt et devenir un des acteurs de la pollution. 

Pour sa part, Greenpeace Afrique parle de réparation d’une « entorse procédurale » pour permettre au processus de reprendre sur de bonnes bases avec un plus grand capital transparence. Dans un rapport de décembre 2022, cette organisation avait déploré le manque « d’informations essentielles telles qu’un plan de travail ou une étude de faisabilité ». Bref, retirer l’appel d’offres représente une satisfaction pour le ministre des Hydrocarbures, qui écouté plus avant d’agir. Sa décision est perçue comme « un engagement direct.

Dans certains milieux de Kinshasa, on « salue l’esprit de responsabilité politique » du ministre Sakombi et son « engagement » de travailler aux côtés des acteurs du secteur dans « une démarche de clarté et d’unité », laisse-t-on entendre. Dans cette période, il est de bon sens de « travailler ensemble tant les enjeux sont importants pour le développement de la RDC ».

Dans un entretien au Monde, Sakombi Molendo s’est voulu rassurant : « La RDC se reprend et veut faire les choses bien » et vite. Un décret de la Première ministre va bientôt fixer les règles d’un nouvel appel d’offres dont le périmètre reste à déterminer. Néanmoins, parmi les « actions urgentes », a-t-il souligné, on notera déjà « le redimensionnement des blocs arpentant les aires protégées afin de tenir compte des contraintes écologiques ». Par ailleurs, le ministre des Hydrocarbures n’exclut pas de se rendre prochainement en Ouganda pour négocier un raccordement à l’oléoduc qui permet d’acheminer le pétrole extrait dans la région du lac Albert jusqu’au port de Tanga, en Tanzanie. « Ce sera un argument pour attirer les investisseurs sur cette zone à haute potentialité », a-t-il confié au journal Le Monde.

Pour rappel, lors de sa prise de fonction, Aimé Sakombi Molendo déclarait : « J’arrive dans ce ministère avec l’ambition de faire du secteur des Hydrocarbures, un moteur de croissance économique et de développement de la RDC. Nous avons le devoir d’exploiter ces ressources de manière responsable et planifiée, pour qu’elles profitent à l’amélioration des conditions sociales de la population, et des générations futures. Je vais également porter un regard pointu sur la protection de l’environnement et la promotion du développement durable, car l’exploitation des hydrocarbures doit se faire dans le respect des normes environnementales, et sans impact négatif sur les communautés locales. »

Avec le gaz naturel, qui lui est souvent associé, le pétrole couvre les deux tiers de la demande énergétique mondiale. C’est une matière première stratégique de première importance qui satisfait à lui seul 40 % des besoins en énergie de la planète. Il est la source quasi unique de carburants pour les voitures, les camions et les avions. Le pétrole est un élément important du commerce international : la production annuelle de pétrole représente entre 350 et 700 milliards de dollars. Dotée de très grandes ressources fossiles grâce à ses 3 bassins sédimentaires parmi les plus vastes, la RDC est en capacité de se créer une place dans le groupe de grands exportateurs de pétrole et de gaz. Les statistiques estiment les réserves RDC à environ 22 milliards de barils de pétrole et 66 milliards de m3 de gaz méthane dans le lac Kivu. 

En 2015, l’exécutif avait pris le pari de relancer la production pétrolière et gazière, avec l’arrivée de nouveaux investisseurs et la signature de nouveaux contrats aux côtés des producteurs déjà en activité. Normal parce que l’impact des hydrocarbures sur le budget de l’État était – et encore – sujet à caution. Le lancement de plusieurs projets d’exploitation pétrolière et gazière (lac Kivu) augurait de bonnes perspectives, selon les experts du ministère des Hydrocarbures. 

La mise en service d’une nouvelle unité de production offshore par la compagnie Perenco Rep Sarl (bassin côtier) était perçue comme le point de départ de la relance de la production pétrolière en RDC. Mais ce n’est pas avec 5 000 barils/jour supplémentaires que l’on allait relancer la production pétrolière en RDC, ironisait-on à l’époque. Pour se donner bonne conscience, le gouvernement faisait savoir qu’il ne misait pas uniquement sur la seule production de Perenco étant donné qu’il y a du pétrole partout en RDC.

La démarche gouvernementale consistait ainsi à doter d’abord le pays d’un cadre légal qui fixe les normes dans le secteur et adhérer à l’organisation africaine des producteurs de pétrole (APO). Cela a été fait avec la promulgation de la loi 15/012 du 1er août 2015, qui met la RDC en « ordre de bataille ». « D’autres opérateurs vont commencer bientôt leurs activités, dans les lacs Kivu et Tanganyika, dans la Cuvette centrale, surtout Total dans le Graben Albertine. Dans les jours qui viennent, on va bien comprendre que le mot relance a tout son sens », rassurait le ministre des Hydrocarbures de l’époque, Aimé Ngoy Mukena.

Dans certains milieux politiques, voire de la société civile, ses déclarations n’étaient qu’« optimisme béat ». Du coup, le vieux débat sur les retombées de l’exploitation minière et pétrolière a été réchauffé. Ce débat porte essentiellement sur l’impact de la production des industries extractives au pays sur la population qui continue de vivre dans la pauvreté. Par exemple, l’ONG ACAJ avait donné de la voix à l’époque en demandant « l’annulation » de la convention offshore n°175 accordée à Perenco à cause de son « caractère léonin ». ACAJ jugeait cette convention « illégale » parce qu’« elle préjudicie les intérêts de la RDC et de la population ».

Et depuis, le débat n’a fait qu’enfler notamment sur ce que rapporte réellement les hydrocarbures au Trésor public, sur la collaboration avec l’Angola… Autant de questions sont sans réponses pour l’instant mais qui ramène à une réalité : la bataille des chiffres. Le gouvernement Matata avait pris l’engagement d’amener la production pétrolière de 25 000 à 225 000 barils/jour en 2014, grâce à la collaboration de l’Angola pour le partage de la production offshore de 400 000 barils/jour. Que va gagner l’État avec la relance de la production pétrolière autour de 30 000 barils/jour, comparé à l’Angola (plus 1.6 millions de barils/jour, seuil fixé par l’OPEP, au lieu de 2 millions) et au Congo Brazzaville (prévisions de 300 000 barils/jour en 2018) ?

Le code des hydrocarbures fait obligation aux sociétés pétrolières et gazières de déclarer leurs recettes de production dans le Journal officiel ou dans un site officiel du gouvernement. Dieu seul sait si cette disposition légale est respectée stricto sensu. Soit. Dans le budget pour l’exercice 2018, la part du secteur des hydrocarbures (Perenco Rep, Lirex, MIOC) était de quelque 272 milliards de francs congolais, soit quelque 170 millions de dollars. Comme en 2017 ! 

Par ailleurs, le ministère des Hydrocarbures a levé l’option de réévaluer les recettes pétrolières, notamment les royalties, les dividendes onshore et offshore. Les experts du gouvernement recommandent qu’on prenne en compte dans les calculs des revenus pétroliers de l’État la production journalière, le cours moyen, la décote, le niveau des charges déductibles de 40 % ainsi que le régime fiscal par convention pétrolière. Ou encore d’intensifier le recouvrement de la taxe rémunératoire annuelle, de la taxe d’implantation et de pollution auprès des pétroliers producteurs, ainsi que l’activation du bonus de production.

C’est dire que la production pétrolière suscite des doutes sur l’honnêteté des pétroliers producteurs. Les recettes des pétroliers producteurs représentent tout de même 30 % en moyenne des recettes du budget de l’État. Cependant, les sociétés PERENCO, MIOC, LIREX, etc. n’atteignent plus leurs assignations depuis quelques années. Elles avancent que le bassin côtier est trop étroit (37 km) et le champ pétrolifère y est 20 fois plus petit (potentiel estimé à 180 millions de barils).

Dans le plan quinquennal 2012-2016, le gouvernement Matata prévoyait justement de relancer non seulement de la production des hydrocarbures, mais aussi celle du gaz naturel et des biocarburants en vue de réduire le déficit énergétique actuel et favoriser la croissance. Il s’était fixé pour objectifs notamment d’accélérer la prospection, la cartographie et la mise en valeur de l’ensemble de bassins sédimentaires du pays (bassin côtier, bassin de la cuvette centrale, les Grabens Albertine, Semuliki, Tanganyika, Moero et Upemba) ; démarrer la production du gaz naturel par la mise en exploitation du gisement du lac Kivu, ainsi que celle des biocarburants ; accroître les capacités de transformation en construisant notamment une raffinerie moderne à l’Ouest et en réalisant des études de faisabilité d’une autre à l’Est.

Autres objectifs : améliorer le réseau de transport, de stockage et de distribution par la construction d’un réseau de gazoducs reliant les zones de production aux points d’exportation ainsi qu’un réseau national de pipe-lines ; améliorer l’approvisionnement du pays (surtout de l’arrière-pays) en produits pétroliers ; accélérer l’adoption et la promulgation du code des hydrocarbures (loi 15/012 du 1er août 2015) ; et restructurer les entreprises publiques du secteur des hydrocarbures.

En 2012, les objectifs spécifiques ont été par ailleurs de porter le taux de production pétrolière de 25 000 barils/jour (en 2010) à 225 000 barils/jour (en 2014) et le taux d’approvisionnement en produits pétroliers de 70 % à 98 % ; accroître le volume du pétrole raffiné à 100 000 barils/jour en 2016. Pour atteindre ces objectifs, le gouvernement Matata entendait améliorer la gouvernance et la transparence dans ce secteur en mettant en place un cadre juridique approprié et en organisant un audit fonctionnel et financier des sociétés pétrolières installées en RDC. 

Il était question également d’accroître la production des hydrocarbures du bassin côtier atlantique, par la finalisation du dossier relatif aux frontières maritimes entre la RDC et l’Angola ; et du Graben Albertine, dont les contrats de partage de production (CPP) avaient déjà été approuvés ; mettre en valeur le gisement gazier du lac Kivu ; accroître le niveau des investissements publics et privés dans ce secteur…

Chacun peut faire le bilan de ce plan pour sérier les objectifs qui ont été atteints et ceux qui ne l’ont pas été. Il restera toujours des raisons pour justifier ce bilan, certes. Mais il apparaît en filigrane que le système de dépendance aux ressources naturelles (système léopoldien) ne contribue pas à réduire la pauvreté dans le pays. Au contraire, ce système profite aux entreprises étrangères productrices et aussi à une minorité. D’où l’opacité des chiffres et les contrats léonins que dénoncent des organisations de la société civile. L’industrie pétrolière relève du domaine des industries extractives et donc une industrie lourde aussi bien dans son investissement que dans sa mise en activité. Elle se subdivise schématiquement en amont (exploration-prospection, développement et production) et en aval (raffinage et distribution). 

L’exploration et la production ou encore l’extraction du pétrole ont généralement une durée de 15-20 ans. Cette étape est normalement suivie de la phase de développement (3 à 4 ans) qui nécessite des investissements très importants. Quant à la phase d’aval, elle dure normalement 25-35 ans. Jusque-là, c’est sur le bassin côtier que le pétrole de la RDC est produit. Perenco Rep Sarl opère à Muanda (siège d’exploitation) dans le Kongo-Central où elle est présente depuis les années 2000. Mais l’exploitation du pétrole à Muanda remonte à une quarantaine d’années.