Les autorités congolaises veulent avoir une idée précise sur les limites du pays. Cela en vue de bien définir la politique nationale d’aménagement et de sécurité, mais aussi d’éviter les zones « floues », source de conflits avec les voisins.
Courant septembre, le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation du Congo-Brazzaville a fait appel à IGN France International, la filiale pour l’export de l’Institut français de l’information géographique et forestière pour l’accompagner dans ses pourparlers avec les commissions frontalières des pays limitrophes. Prévu pour durer une année, ce projet a officiellement démarré début septembre. Brazzaville accorde une grande importance à ce projet. Pour les autorités, la connaissance précise du territoire est un élément déterminant dans toute politique d’aménagement et de sécurité, qu’il s’agisse de la sécurité intérieure de ses habitants, de la sécurité économique visant à préserver les ressources naturelles ou de la sécurité des frontières. Cette connaissance permet ainsi d’éviter des affrontements motivés par des revendications territoriales ou des conflits en matière d’occupation des sols, de contrôler les flux migratoires, de lutter contre l’immigration clandestine et les trafics illicites comme, notamment, le braconnage faunique.
Des textes de référence difficiles à identifier
Sur la rive droite du fleuve Congo, on est conscient que la question reste une source de difficultés pour le gouvernement. On n’a pas encore oublié le récent conflit ayant opposé Brazzaville à Luanda à la frontière cabindaise. Ces difficultés peuvent être de différentes natures : d’abord les textes de référence sont difficiles à identifier surtout lorsqu’il s’agit de faire remonter les recherches aux textes des périodes coloniales. Même retrouvés, ces textes anciens restent parfois peu lisibles au regard de la géographie actuelle des pays. Ensuite, les référentiels géodésiques et cartographiques qui peuvent être hétérogènes d’un pays à un autre et l’absence de bornes « frontières » compliquent encore l’interprétation des textes. Les experts parlent également des méthodes de positionnement qui ont évolué.
Les éléments cartographiques récents susceptibles d’étayer les points de vue, font parfois défaut. C’est dans ce contexte qu’IGN France International va apporter son expertise technique à la Commission nationale des frontières du Congo-Brazzaville. L’information géographique apporte aux membres des commissions nationales des frontières ou des ministères en charge de suivre et de déterminer les tracés des frontières, des informations fiables et détaillées, compatibles avec les relevés GPS, indispensables aux négociations. L’IGN, qui avait, à l’époque des indépendances, des bureaux locaux, notamment au Cameroun, au Congo-Brazzaville, au Mali, au Niger, au Sénégal, détient encore à la photothèque nationale un nombre important de documents et clichés aériens originaux des anciennes possessions françaises en Afrique. Ces documents, qui sont progressivement restitués aux pays sous forme dématérialisée, sont d’une grande utilité pour comparer la situation sur le terrain à l’époque de la réalisation des cartes en vigueur avec la situation rencontrée au moment des investigations. Prévu pour s’achever en septembre 2016, le projet vise à accompagner les autorités congolaises pas à pas dans leurs échanges avec les autres commissions frontalières des pays limitrophes. Il comprend une série d’activités, à savoir l’édition de documents cartographiques récents sur les zones dans lesquelles la Commission des frontières du Congo est amenée à travailler, un appui en matière de délimitation de l’espace maritime du pays, des cycles de formation, juridique et techniques.
Qu’en est-il en République démocratique du Congo ? Les voisins de la RDC, neuf au total, ont toujours eu des visées sur un pan du territoire du géant continental. Dans l’Est, des conflits fonciers sont sous-jacents aux multiples guerres qui ont déchiré la partie orientale. Beaucoup de territoires sont concernés.
Kanyesheja, un territoire congolais
Parmi eux, Kanyesheja, groupement de Buhumba, territoire de Nyiragongo, dans le Nord-Kivu. Un matin de juin 2014, cette localité, située entre Kibati et Kibumba, a été le théâtre des affrontements entre les FARDC et l’armée rwandaise. Des accrochages y ont opposé des militaires du 391ème bataillon commando des FARDC et les forces armées rwandaises. Les combats ont causé la mort, côté congolais, d’un soldat, capturé puis tué par les militaires rwandais. Dans une requête de l’état-major de l’armée rwandaise, il est allégué qu’une section de militaires congolais a violé le territoire rwandais avec l’intention de voler des vaches. Vingt-quatre heures plus tard, une autre demande de l’état-major rwandais était envoyée au Mécanisme conjoint de vérification élargie pour investiguer sur une attaque des FARDC à Kanyesheja, village de Cyamabuye, cellule de Rusura, district de Rubavu, en territoire rwandais.
Même rengaine à l’ouest, où des incidents frontaliers devenus récurrents sont régulièrement signalés avec le voisin angolais. En mars 2007, Congolais et Angolais se sont retrouvés en pourparlers à Kinshasa. Au centre des discussions, la situation qui prévalait alors à la frontière des deux pays, au niveau des provinces du Bandundu, du côté congolais et Lunda Norte, en territoire angolais.
Kinshasa contre Luanda
Pommes de discorde : l’occupation par les forces armées angolaises de onze villages dans le territoire de Kahemba pour la partie congolaise; tracé de frontière en ce qui concerne les autorités angolaises. Au cours des discussions, les Angolais démentent avoir occupé une partie du territoire congolais et rejettent toute accusation portant sur le déploiement des forces armées angolaises. Et s’étonnent du fait que les différentes déclarations des autorités congolaises ont été faites sans un minimum de discernement, malgré les réunions qui avaient eu lieu entre les autorités des deux pays. Toutefois, personne n’est dupe. Dans son discours d’ouverture de cette rencontre, le ministre angolais des Affaires étrangères rappelait « la réalisation en 1922, le long de la frontière entre les deux pays longue de 2 511 km, comprenant 112 poteaux ou bornes parmi lesquels 34 sont situés à la frontière commune entre les provinces congolaise du Bandundu et angolaise de Lunda Norte. Pour les Angolais, les forces de police ont été déployées dans le cadre de la réorganisation des frontières angolaises. S’il faut interpréter diplomatiquement cette déclaration, il y a bel et bien eu un « mouvement des troupes » en cet endroit querellé. Mais le différend le plus profond porte sur la délimitation des frontières maritimes entre les deux pays. Une réunion d’harmonisation des termes de référence prévue, courant août 2014, dans la capitale congolaise entre les experts angolais et congolais sur cette délicate question n’a jamais été tenue.
Hormis des conflits strictement politico-diplomatiques, le tracé des frontières du territoire congolais a déjà fait l’objet de la contestation de la part des États voisins: la Zambie par exemple a réclamé dans les années 1970, une partie de la bande frontalière. Malgré les relations par moment sentimentales entre le président zambien Kenneth Kaunda et son homologue Mobutu Sese Seko, le litige a été soumis à la Cour internationale de justice pour un examen plus objectif de la question. Le dossier avait été traité à l’avantage du Zaïre.
Le discours tenu à Cyangugu par Pasteur Bizimungu, devant les réfugiés dits Banyamulenge est généralement considéré comme un repère majeur dans la genèse du conflit qui a opposé le Congo et le Rwanda, tant sa teneur contenait la justification, côté rwandais, de l’invasion du territoire congolais. Au cours de cette adresse, non seulement le dirigeant rwandais évoqua la nécessité d’une deuxième Conférence de Berlin sur les frontières africaines, mais aussi il préconisait le refoulement, par le gouvernement congolais, des Banyamulenge avec une portion de terres de « leur pays », parce que le Rwanda surpeuplé n’avait nulle part où les réinstaller. Pour avoir traité avec légèreté les visées rwandaises annoncées par Bizimungu, le peuple congolais qui a pris position, par simple sentiment, vis-à-vis de l’avancée des troupes rwandaises, a dû payer sa naïveté au prix de deux guerres ayant coûté la vie à plus de quatre millions de Congolais, selon de nombreuses sources. Plus d’une fois, la RDC et le Congo-Brazzaville se sont brouillés sur la reconnaissance du chenal d’eau constituant la frontière naturelle entre les deux pays. Par le passé, une forte implication des deux gouvernements sur les affaires de leurs États respectifs facilitait la légitimation des résolutions prises entre les deux parties.