Budget : l’analyse de l’ODEP, tel qu’en elle-même

Un constat : l’exécution du budget en RDC n’a jamais été en adéquation avec les cadres référentiels et programmatiques. Est-ce par manque de volonté politique? Pourquoi le gouvernement n’exploite-t-il pas les IDE, l’aide publique au développement et les financements innovants ?

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’ANALYSE globale de l’exécution du budget de 2017 à 2019 que présente l’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) révèle que les recettes mobilisées au cours de cette période sont de l’ordre de CDF 18 660,5 milliards, contre les prévisions de CDF 23 946,6 milliards, soit une moins-value globale de CDF 5 286,0 milliards. Quant aux dépenses exécutées, elles se situent à CDF 19 340,1 milliards, contre les prévisions de CDF 23 946,6 milliards, soit un crédit disponible de CDF 4 606,5 milliards. 

Deux régies financières ont réalisées des meilleures performances : la Direction générale des impôts/DGI (134,9 %) et la Direction générale des recettes administratives, domaniales et de participation/DGRAD (113,98 %). Tandis que la Direction générale des douanes et accises/DGDA n’a pas fait mieux que de mobiliser 62,41 % des recettes. Par ailleurs, la Banque centrale du Congo/BCC n’a pas encaissé des recettes extérieures. 

Deux rubriques de dépenses exécutées ont dépassé les prévisions : les frais de fonctionnement (235,83 %) et les rémunérations (101,44 %). Quant aux dépenses urgentes et dépenses exceptionnelles, elles ont été respectivement exécutées à hauteur de CDF 3 466,2 milliards (17,92 %) et de CDF 685,9 milliards (3,55 %) des dépenses totales. « Si la proportion des dépenses exceptionnelles est encore acceptable (3,55 %), celle des dépenses urgentes impose une réflexion et suscite beaucoup de crainte car elle paraît énorme et préjudiciable à la réalisation des objectifs du Plan de Développement en général et particulièrement ceux des secteurs pro-pauvres dont l’importance est capitale dans la trajectoire du pays vers son statut de pays à revenu intermédiaire », pose l’ODEP. Qui se demande quelles sont les institutions, les ministères ou autres organismes qui ont bénéficié de ces recours excessifs aux dépenses urgentes et exceptionnelles. 

La Banque centrale a dépensé au-delà des recettes mobilisées par le gouvernement : CDF 679,4 milliards. L’ODEP se demande également une clarification : à quel mécanisme (planche à billets, Bon du Trésor, réserves stratégiques), la BCC a-t-elle pu recourir pour financer ce dépassement ? 

Secteurs pro-pauvres

Dans le secteur de la santé, le budget a été exécuté à hauteur de CDF 1 280,4 milliards, contre les prévisions de CDF 2 499,3 milliards, soit un taux moyen d’exécution de 51,23 %. Le fonctionnement du ministère et les rémunérations se sont taillé la part du lion (93 %), au détriment des actions prioritaires dans la politique sectorielle (offres de soins et de services de santé, lutte contre les maladies épidémiques et endémiques, et accès aux soins et services de santé). « Il s’observe un contraste criant entre la volonté exprimée dans la définition des politiques nationales en matière de santé et le taux d’allocation budgétaire de ce secteur. Cela traduit clairement le manque de volonté du pouvoir central d’améliorer les conditions sanitaires de la population », souligne l’ODEP. 

En ce qui concerne l’éducation, le cumul des allocations budgétaires se situe à CDF 3 205,7 milliards et celui des réalisations budgétaires à CDF 2 534,6 milliards, soit un taux moyen de réalisation de 79,07 %. La courbe des réalisations décrit une trajectoire ascendante : 70,00 % en 2017, 73,32 % en 2018 et 90,74 % en 2019. 

Il ressort de l’analyse que 99,49 % du taux d’exécution concernent le fonctionnement de l’administration générale et les rémunérations), au détriment des actions prioritaires (enseignement pré-primaire, primaire et secondaire général ; évaluation pédagogique ; formation continue ; et enseignement technique et formation professionnelle). Pour l’ODEP, cela reflète « le manque de volonté du pouvoir central » d’améliorer la qualité de l’enseignement de base par la construction, l’équipement et la réhabilitation des écoles ; d’améliorer l’environnement de l’apprentissage ; et réformer le dispositif de formation initiale et continue des enseignants ainsi que des curricula (filières). « C’est en fait vouloir une chose et son contraire que de procéder de la sorte. » 

Dans le secteur de l’agriculture, les allocations budgétaires cumulées se chiffrent à CDF 1 263,04 milliards tandis que les réalisations se situent à CDF 167,2 milliards, soit un taux de réalisation de 13,2 %.  L’ODEP note que ces allocations budgétaires sont « tellement insignifiantes » qu’il conforte l’opinion selon laquelle le slogan « l’agriculture priorité des priorités » n’est que du vent. « Aucun exercice budgétaire n’a rencontré la volonté affichée par les chefs d’État et de gouvernement africains dans le cadre de l’Accord de Maputo » qui recommande aux États d’allouer au moins 10 % du budget national au secteur de l’agriculture. Comme pour les autres secteurs, l’administration générale du ministère a consommé 97,05 % du taux de réalisation, contre 2,95 % des actions liées au développement des filières végétales. « Avec une très faible proportion, on ne peut rien apporter comme changement qualitatif et significatif à la population. » 

En matière de développement rural, les allocations ont été chiffrées à CDF 589,6 milliards tandis que les réalisations se situent à CDF 81,7 milliards. La part réservée à ce secteur dans le budget global n’a guère atteint 3 %, soit 2,03 % (en 2017), 1,87 % (en 2018) et 2,24 % (en 2019). Comme ailleurs, l’administration générale est budgétivore (90,12 %) au détriment des actions liées au développement des infrastructures rurales et à l’accompagnement des populations paysannes. « Avec une très faible proportion, on ne peut procurer un réel profit à la population. » Pour l’ODEP, il paraît donc impossible que le pays s’attende à un développement endogène tant que les taux de prévision et de réalisation restent comme tels. 

À propos de la pêche et de l’élevage, ce secteur devrait attirer l’attention du pouvoir central en raison des potentialités dont regorge le pays afin de combattre l’insécurité alimentaire. Les allocations prévues de 2017 à 2019 se situent à CDF 79,1 milliards tandis que les réalisations qui ont évolué en dents de scie n’ont pas dépassé CDF 2,5 milliards : 0,42 % (en 2017), 20,67 % (en 2018) et 11,32 % (en 2019). Concernant les actions, l’administration générale n’a consommé que 4,13 % du budget. Pour le reste, les actions de développement des filières animales et halieutiques, ainsi que de lutte contre les maladies animales ont consommé 95,87 %, « Une telle proportion appréciable profiterait réellement à la population si le ratio était conséquent entre le budget général et la part réservée à ce secteur d’importance capitale. 

Enseignements à tirer

Pour l’ODEP, la politique d’exécution des budgets dans le secteur de la pêche et de l’élevage donne à penser que le gouvernement n’a pas la volonté de booster le développement du pays. « Il s’agit ici pour le gouvernement, de maintenir le pays sous la dépendance totale de l’extérieur. Car nos potentialités, une fois exploitées, permettront au pays d’augmenter ses recettes en vue d’accroître sa capacité de mobilisation des capitaux », souligne l’ODEP. 

La RDC est sensée atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire en 2021. Cela suppose que son PIB par habitant devrait se chiffrer à 1 036 dollars cette année, contre 516 dollars en 2015 et 495 dollars en 2019. Un recul par rapport à 2015. Par rapport à l’atteinte des OMD/ODD, il y a certes des progrès mais qui s’avèrent insuffisants par rapport aux objectifs fixés et sont en-dessous des normes. L’ODEP considère qu’une budgétisation désarticulée ne permet pas une convergence des efforts, actions et programmes vers la résolution de la fragilité et la marche vers la résilience. La faible mobilisation des recettes ne pourra pas concourir à l’émergence du pays…