DU POINT de vue chiffres, une étude publiée en 2007 avait estimé que le montant total du capital du secteur informel en 2005, au coût de remplacement était de l’ordre de 86 milliards de CDF (163 millions USD) pour toutes les agglomérations urbaines de la RDC dont 21 milliards (40 millions USD) pour Kinshasa et 65 milliards (123 millions USD) pour les autres centres urbains des provinces, tandis que le chiffre d’affaires avait atteint 6 774 milliards de CDF (13 milliards USD) pour l’ensemble du milieu urbain de la RDC au cours de l’exercice 2004/2005 dont 5 039 milliards (9,5 milliards USD) pour les activités commerciales, soit 74,3 %.
Quant à la production des biens et services, elle était estimée à 3 166 milliards de CDF (6 milliards USD) et une valeur ajoutée de 1 844 milliards (3,5 milliards USD), la ville de Kinshasa représentait à elle seule environ 30 % de l’ensemble.(1)
Le plan directeur des transports urbains de la ville de Kinshasa (PDTU/Kinshasa) en cours de réalisation par les experts Japonais et Congolais, relève que l’emploi dans le secteur informel en RDC est de l’ordre de 86 % de la population active. La proportion est de 65 % dans le secteur primaire, 7 % dans le secteur secondaire et 28 % secteur tertiaire. Du point de vue lois, on peut signaler que la majeure partie des activités du secteur informel est recadrée par l’Ordonnance-Loi n°79-021 du 02 février 1979 portant réglementation du petit commerce et par la Loi n°06/004 du 27 février 2006 organisant un régime fiscal spécial applicable aux petites et moyennes entreprises. Il s’agit d’un recensement de petits métiers et services, composés notamment des Chauffeurs, Coiffeurs, Cordonniers, Quados, Laveurs de véhicules, Marchands ambulants, Tailleurs, Ajusteurs, Vendeurs de produits pétroliers, Boutiquiers, personnel domestique, etc.
Artisanat, petit commerce et PME
Au fait, la plus grande partie de l’économie informelle se positionne dans les secteurs d’artisanat, du petit commerce, de petites et moyennes entreprises sous forme des Établissements non formellement identifiés mais aussi des secteurs économiques très lucratifs avec des profits imposants mais échappant à la fiscalité à l’exemple des cambistes et des trafiquants des minerais.
On parle actuellement que ces deux secteurs représenteraient plus de 80 % de l’économie. Une situation très préoccupante, car elle handicape la consolidation d’une économie intégrée. Pratiquement, le secteur informel, considéré autrefois comme souterrain, est remonté à la surface et a envahi tous les domaines de la vie socio-économique, publique et privée.
Dans un pays où le taux d’emploi est inférieur à 5 % (2), l’économie de la débrouille s’est logiquement généralisée. Sa part dans la création d’emplois s’est accrue continuellement au point de devenir le secteur dominant. L’effondrement du secteur formel fut donc inévitablement compensé par le développement du secteur informel.
C’est la dégringolade de l’économie Congolaise à partir de 1980 qui est à la base de l’expansion de ce phénomène. Elle en est la genèse et la constituante comme l’atteste les indicateurs de 1980 à 2000, la production intérieure a baissé de 69 %, les revenus de l’État de 81 %, et les exportations de 67 %. La capacité de prélèvement fiscal de l’État qui était déjà faible en 1980 (8 % du PIB) était tombée à 5 % en 2000. (3)
Depuis, le secteur informel est incontestablement l’un des facteurs réducteurs de l’assiette fiscale de la nation, minimisant ainsi par ricochet les dépenses d’infrastructures dont le pays a grandement besoin, par conséquent, constituant un frein au développement économique du pays.
On peut dire qu’au fur et à mesure que la République Démocratique du Congo s’enfonçait dans une crise profonde, au fur et à mesure aussi que la problématique de l’économie informelle évoluait dans les mêmes proportions, prenant une ampleur exceptionnelle dont les effets n’ont pas épargné sa fiscalité.
La relance de l’économie et la reconstruction des infrastructures de base requièrent sans conteste des moyens et ressources que l’État doit impérativement mobiliser. Or, devant l’état actuel de l’économie informelle en République Démocratique du Congo, il semble être largement difficile pour l’État d’asseoir des stratégies, méthodes et techniques pour fiscaliser véritablement ce secteur.
Encadrement
Alors que certains voudraient atrophier ou éliminer carrément ledit secteur, nous pensons plutôt à son encadrement. En effet, le secteur informel en RDC a véritablement remis en cause l’approche du développement des économies classiques et qu’il s’agit probablement d’une opportunité à saisir pour résoudre la dualité conflictuelle entre l’économie traditionnelle et l’économie moderne.
Ce qu’il faudrait, c’est de mettre en place une politique fiscale adaptée à ce contexte qui permettra de résoudre la double équation « trop d’impôt tue l’impôt … mais trop peu d’impôt tue l’État… », en cherchant donc à appréhender toutes les pratiques et procédures de dissimilation qui permettent d’échapper totalement ou en partie à toute imposition fiscale.
Le secteur informel et le développement comme le sous-développement, sont des phénomènes globaux qui renferment plusieurs dimensions : politique, économique, morale, socio-culturelle, écologique, technique, juridique, psychologique, historique, etc. Par conséquent, ils ne peuvent être étudiés de façon mono-disciplinaire, au risque de les dénaturer par une approche trop sectorielle.
Raison pour laquelle, la fiscalisation du secteur informel doit se faire avec un certain discernement (4) et connexité conséquente à ces phénomènes globaux. Disons la vérité, comment l’État Congolais peut-il intervenir dans un secteur dont dépend la survie de la majorité de la population alors qu’il ignore lui-même superbement ses mécanismes et modalités de fonctionnement ?
À notre avis, si donc l’État Congolais entend récupérer cette économie informelle par le mécanisme de la TVA, le but recherché ne peut être que louable. Cependant, il faudrait certains aménagements préalables et nécessaires qui sont : la restructuration du secteur bancaire et du métier des Cambistes ; les banques en République Démocratique du Congo se concentrent généralement sur les activités spéculatives à rendement rapide et n’accordent quasiment pas des crédits pour développer l’économie réelle ou promouvoir des investissements créateurs d’emplois et de la richesse nationale ; la création d’une classe moyenne réellement dynamique ; la lutte contre les trafics ou exportations frauduleuses des matières premières : minerais, grumes, etc. ; le relèvement du seuil actuel d’assujettissement, car son niveau actuel sous réserve d’option (80 millions FC) provoque un assujettissement excessif des petites entreprises (affaires) qui malheureusement mobilisent autant d’efforts et de ressources inversement proportionnels aux enjeux en termes de recettes de l’État. Ainsi, toute la masse restante pourrait être assujettie à un système forfaitaire à déterminer à partir de l’appui par exemple d’un recensement de l’Institut National de Statistique « INS » ; la mise en place d’un système rigoureux de récupération de la TVA dès qu’une activité devient apparente, à l’exemple de toute consommation. En effet, tout le monde s’étonne de l’essaimage à outrance des grands magasins de distribution dans toutes les grandes villes de la République et que ceux-ci ne sont pas alimentés exclusivement par des revenus provenant des secteurs formels mais aussi massivement par ceux du secteur informel. Le projet consistant au placement des caisses enregistreuses dans tous ces grands magasins connectées au réseau électronique de la Direction Générale des Impôts « DGI » est un exemple efficace d’une restructuration du système TVA en RDC. Effectivement, c’est vraiment l’autre face curieuse de l’économie de la RDC, qui est soutenue par le miracle congolais de la survivance, à savoir : les stratégies déployées par les familles pour vivre ou plutôt survivre.
Connaît-on l’ampleur réelle des activités assujetties à la TVA réalisées à l’avenue du Commerce de Kinshasa où dans d’autres points chauds du pays ? Que dire alors des flux financiers brassés et générés par les activités du cambisme et de transactions informelles des minerais ou autres matières premières ? Certainement des milliards de dollars à assujettir ou à imposer à la TVA.