Ces Minings qui défient l’État

Les prix des matières premières enregistrent de fortes progressions depuis plusieurs mois. L’embellie des cours mondiaux est sans contexte une bonne chose pour l’économie nationale qui dépend largement du secteur extractif. Mais si les opérateurs miniers s’en réjouissent et essaient d’accroître la production, l’État, lui, est plaintif.

LES CHIFFRES sont patents mais les caisses de l’État ne sont pas renflouées. Il faudra bien chercher le diable qui se cache dans le bois. Pour ce qui est des deux principaux produits de base d’exportation de la République démocratique du Congo, tenez : vers 12 HRS à l’ouverture du lundi 8 mars, le cuivre se vendait sur le marché international autour de 9 300 dollars la tonne métrique après avoir atteint la crête de 9 600 dollars (le 26 février 2021), venant de 7 795 dollars (début janvier 2021), dépassant ainsi la barre de 8 400 dollars atteinte en 2012. Sur un an, le prix du cuivre a progressé de plus de 40 %. Le cours du métal rouge est à son plus haut niveau depuis 2014. 

Le cobalt, quant à lui, se vendait le même lundi autour de 52 700 dollars la tonne. Avec la croissance monotone du cours du cobalt, des observateurs n’excluent pas que le prix retrouve ses niveaux de 2017 et 2018 à plus de 80 000 dollars la tonne.

Pour Willy Kitobo Samsoni, le ministre des Mines sortant, le gouvernement a là « une opportunité de reprendre son économie d’antan ». 

La baraka

C’est donc un message nettement clair lancé en direction de la future équipe gouvernementale. En politique, la baraka est un bon allié si l’on veut réussir. Et l’embellie des cours des matières premières sur les marchés mondiaux est peut-être la baraka pour le tout nouveau 1ER Ministre désigné, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge. En effet, sans moyens conséquents, les mêmes observateurs ne voient pas comment il peut mettre en exécution son programme de gouvernement.

Cependant, il y a un mais qui compte : il faut « une bonne politique minière et des réformes profondes dans la gestion des entreprises minières du portefeuille de l’État », pose Willy Kitobo. Ce dernier, en homme averti, conseille au gouvernement « beaucoup de prudence », tant l’avenir est incertain.

Entretemps, les opérateurs miniers dans le pays se frottent les mains. Avec l’embellie des cours des métaux, ils peuvent maintenant accroître la production en accélérant les projets miniers en cours. Par exemple, pour 2021, deux grands projets sont attendus et sont censés contribuer à accroître les recettes publiques venant du secteur minier. 

Il s’agit, d’une part, du projet de l’usine métallurgique de COMIKA à Kambove (Haut-Katanga). Cette usine va permettre la transformation sur place des concentrés cupro-cobaltifères qui sont exportés jusque-là. D’autre part, il s’agit du plus grand projet en cours Kamoa (Lualaba) d’Ivanhoé pour la production du cuivre. La multinationale a développé deux grandes mines souterraines, Kansoko et Kakula, qui sont déjà opérationnelles dans le cadre de ce projet. 

Près de 740 000 tonnes de cuivre ont été déjà remontées en surface. Soit 240 000 tonnes de minerais sulfurés titrant environ 5,85 % de cuivre et 300 000 tonnes de minerais titrant 2,79 % de cuivre, en ce qui concerne la mine de Kansoko. Quant à la mine de Kakula, ce sont 200 000 tonnes de minerais sulfurés titrant 5,97 % de cuivre qui ont été remontées. 

En plus, le concentrateur pourra être opérationnel incessamment et les premiers tests de flottation en usine pourront avoir lieu en avril prochain, sauf imprévu, avec l’espoir de débuter la commercialisation et l’exportation en juillet de cette année. En tenant compte de l’exigence gouvernementale qui astreint les minings de transformer sur place les minerais, Ivanhoé envisage de vendre d’abord une partie de sa production sur place à LCS, et ensuite exporter le reste, en attendant la mise en service de sa fonderie d’ici 2023. 

Au cours de sa première année de production, Kamoa va traiter 3,8 millions de tonnes de minerais riches par an, et par la suite produire environ 200 000 tonnes de cuivre sous forme de concentrés. Dans sa seconde phase, Kamoa va doubler sa production annuelle. Cette année déjà, il est prévu une production de 100 000 tonnes de cuivre sous forme de concentrés, pourvu que la commercialisation démarre effectivement en juillet prochain. 

Ce sont là des informations officielles, et bien d’autres encore, contenues dans l’analyse aboutie du ministre des Mines sortant, présentées sous forme de communication rendue publique le 26 février 2021. On retiendra utilement, par exemple, qu’à fin décembre 2020, la RDC a exporté environ 1 587 459,35 tonnes de cuivre et 85 855,6 tonnes de cobalt. Depuis le début de cette année, le pays a exporté une moyenne hebdomadaire entre 22 000 et 34 000 tonnes de cuivre (cathode), entre 14 000 et 28 000 tonnes de cuivre (concentrés), et entre 4 500 et 7 400 tonnes de cobalt (hydroxydes).

Chiffres maquillés

Avec ces exportations enregistrées au Haut-Katanga et au Lualaba par les services du ministère des Mines, les minings se sont acquitté de la redevance minière hebdomadaire, constatées et liquidées variant entre 13 millions et 17 millions de dollars. Encore que les chiffres officiels sont souvent maquillés pour ne pas dire minorés selon des témoignages des agents du ministère des Mines.

Mais combien l’État est-il en droit de gagner réellement de cette embellie en termes de revenus : rapatriement des 60 % des devises (lire l’article en page 2), redevance minière, etc. Sinon, pas grand-chose : officiellement, entre 624 et 816 millions de dollars annuels. En réalité, laissent entendre certaines sources, l’État devrait s’attendre à pas moins de 1.5 milliard de dollars annuels, en termes de redevance minière. Insignifiant ! Et pour le reste ? C’est le hic.

Les minings qui sont en position de force laissent entendre que l’État ne doit pas attendre tout d’eux. Depuis la faillite d’avant 2002 des entreprises publiques minières, l’État a cru bon de revoir sa législation minière à travers la loi n°007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier. « Ce texte visait à mettre en place les conditions favorables à l’éclosion d’un secteur minier compétitif. Il a été qualifié d’attractif, avec des procédures d’octroi objectives, rapides et transparentes intégrant un régime fiscal, douanier et de change incitatif pour attirer les investissements », explique Willy Kitobo.

Et d’ajouter que son application a été à la base de l’augmentation du nombre des sociétés minières dans le pays, a permis une augmentation significative des droits miniers et des carrières et a été à la base de la production minière, avec notamment pour conséquence l’accroissement des recettes budgétaires.

« Cependant, fait-il remarquer, au regard de l’essor constaté du secteur minier, la contribution de celui-ci à la mobilisation des ressources financières internes est restée faible, malgré les attentes toujours croissantes de l’État pour impulser le développement économique et social ». Beaucoup de contrats miniers ont été critiqués, notamment par les ONG de la société, comme étant des « contrats léonins » en défaveur de l’État.

Jérémiades forcées

Il a fallu attendre 16 ans pour voir l’État se décider à réformer le Code minier de 2002. Le processus de révision élargi à toutes les parties prenantes (gouvernement, société civile et partenaires au développement) a abouti à la promulgation en 2018 d’une nouvelle législation qui modifie l’ancien dans un certain nombre de principes et introduit des innovations. Et depuis, les 7 principaux opérateurs miniers dans le pays se sont constitués en cartel pour faire échec à l’application de la réforme. 

Pour sa défense, le gouvernement soutient mordicus que l’objectif primordial visé par la révision du Code minier de 2002 est, entre autres, de revoir au mieux les intérêts de l’État et des entreprises, le régime fiscal, douanier et de change ; d’accroître le niveau de contrôle de la gestion des titres miniers et du domaine minier ; de repréciser les éléments relatifs à la responsabilité sociétale des entreprises minières vis-à-vis des communautés locales affectées par les projets miniers ; d’assurer l’émergence de la RDC et son développement durable, à partir de la valorisation des ressources de sol et sous-sol ; de se conformer à la constitution de 2006…

Face à la toute-puissance des multinationales, l’État semble être en position de faiblesse. Par exemple, le gouvernement et la Banque centrale du Congo (BCC) se plaignent que les opérateurs miniers installés en RDC ne rapatrient pas régulièrement les 60 % des recettes d’exportation, ce qui prive l’État de devises à même de permettre au gouvernement de stabiliser la politique de change et de crédit. 

Récemment, Jean Jacques Kayembe, le coordonnateur national de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE-RDC), a laissé entendre que les entreprises minières hésitent à payer la redevance minière faute d’émission des titres de paiement. Le Code minier révisé répartit le produit de la redevance minière comme suit : 50 % vont au compte du  Trésor public, 25 % aux provinces où sont exploités les minerais, 15 % aux entités territoriales décentralisées (ETD), et 10 % au Fonds minier pour les générations futures étant donné que les minerais sont considérés comme des ressources naturelles non renouvelables ou épuisables.

Depuis 2018, fait remarquer Jean Jacques Kayembe, la note de perception de la redevance minière fait défaut. Pourtant, c’est un document essential pour la traçabilité des fonds versés par les minings. Il va sans dire qu’en l’absence de titre prouvant le paiement, l’État perd beaucoup d’argent. Par conséquent, le FOMIN n’a pas encore bénéficié de plus de 100 millions de dollars attendus des opérateurs miniers, faute de gestionnaires, alors que le décret portant statut, organisation et fonctionnement du FOMIN a cours depuis 2019.

Dans ce contexte de Je t’aime moi non plus, le ministre des Mines sortant estime que l’embellie des cours des métaux, si elle est une « bonne nouvelle » pour le secteur extractif, donc pour les miniers, elle doit faire prendre conscience. Ceux qui viennent ne devront pas perdre de vue qu’il faille maintenir la « bonne politique de gestion » du secteur des mines, le dialogue citoyen avec toutes les parties prenantes et poursuivre les réformes nécessaires pour mobiliser davantage de recettes, assainir les activités minières artisanales et surtout renforcer l’application du Code minier pour préserver les intérêts de l’État et des communautés locales touchées par les projets miniers.

Réactiver les sociétés d’État

Dans sa communication du 26 février dernier, aux allures d’adieu et de testament légué au prochain gouvernement, Willy Kitobo Samsoni note que depuis la faillite d’avant 2000, « les sociétés minières du portefeuille de l’État ont du mal à relancer leurs activités et contribuer efficacement comme dans le passé aux recettes de l’État et au PIB du pays. Autre constat : malgré les efforts de reprise des activités minières entrepris depuis 2002 avec l’investissement privé et principalement étranger, l’effet escompté n’est pas là.

Conséquence : la mobilisation des recettes est toujours faible et incapable de permettre le développement du pays. Bien évidemment, il fallait s’attendre à ce que les recettes du secteur minier soient partagées entre les minings et l’État. « Il est incompréhensible que l’on continue à croire qu’en passant de 400 000 tonnes de cuivre par an que produisait la Gécamines vers les années 1980 à 1 500 000 tonnes de cuivre par an produites par des sociétés privées, le niveau de la mobilisation des recettes des mines par l’État congolais devrait être le même ou supérieur », charge le ministre des Mines sortant. 

Et de poursuivre : « Cela revient à oublier que l’investissement a changé de mains et que la RDC ne doit se contenter que de recettes de la production insignifiante des sociétés du portefeuille de l’État, de dividendes dus aux parts de sa participation dans les sociétés privées et de droits, taxes et redevances à payer conformément aux dispositions du Code minier reprises au titre IX du régime fiscal douanier et de recettes non fiscales applicables aux activités minières. »

À ses yeux, le gouvernement a plusieurs options sur la table, principalement deux, pour développer le secteur des mines et accroître les recettes de l’État. La première, c’est de relancer les activités des entreprises publiques minières qui possèdent encore des actifs miniers les plus importants attirant la convoitise des privés et même des creuseurs artisanaux. 

La seconde, c’est d’opérationnaliser le FOMIN et bien gérer ses fonds pour reprendre la recherche géologique afin d’améliorer la connaissance géologique du territoire national et découvrir des nouveaux gisements qui pourront être vendus aux privés par la procédure d’appel d’offres ou valoriser par l’État seul ou en joint-venture avec des parts plus importantes. 

Enfin, de tous temps, l’embellie des cours des métaux est toujours propice à la fraude et la contrebande. Pour contourner cette situation, Willy Kitobo recommande le contrôle et le suivi de toutes les activités minières industrielles et artisanales, l’amélioration de la gouvernance minière, la vulgarisation du Code minier pour renforcer l’application des dispositions touchant aux intérêts des communautés locales impactées par les projets miniers (gestion des 15 % de la redevance minière des ETD, dotation des 3 % du chiffre d’affaires annuel pour le développement communautaire et élaboration ; signature et exécution des cahiers de charges.

Il recommande également la poursuite de l’assainissement du secteur minier artisanal, le renforcement de la réglementation des activités minières artisanales des substances minérales stratégiques avec l’opérationnalisation de l’Autorité de régulation et de contrôle des marchés des substances minérales stratégiques (ARECOMS) et la relance des activités de la recherche géologique avec l’opérationnalisation du Service géologique national du Congo (SGN-C) et du Fonds minier pour les générations futures.

L’activité minière

Pour le moment, l’activité minière contribue à plus de 50 %, directement et indirectement, aux recettes mobilisées par le Trésor public. Les services de l’administration des Mines et les services spécialisés (CTCPM, CAMI, SAEMAPE et CEEC) se chargent du contrôle et du suivi des activités minières industrielles et artisanales au quotidien. 

Dans le cadre de la gouvernance budgétaire, le gouvernement Ilunga Ilunkamba a fait le choix d’une « politique prudentielle » pour 2021. Cette politique ne tient pas compte de la production apportée par les nouveaux projets miniers, indique le ministre des Mines sur le départ. En outre, les prix des métaux ont été sous-estimés. Avec l’embellie des prix des matières premières observée sur les marchés mondiaux, c’est évident que « la redevance minière qui en découlera sera significative », poursuit-il.

De l’avis de Willy Kitobo, « le gouvernement devra donc présenter un collectif budgétaire pour rehausser les prévisions des recettes du secteur des mines d’environ 20 % en tenant compte de la moyenne actuelle des prix des métaux sur le marché international ». La hausse des prix des métaux lui offre également l’opportunité de relancer les exploitations minières perdues, il y a deux ans, du fait de l’épuisement des minerais oxydés sur lesquels les projets métallurgiques étaient montés, ainsi que de la chute des cours des métaux et principalement celui du cobalt.