Transports urbains : beaucoup de bus, oui, mais le débat de fond demeure entier

Le chef de l’État a présidé le samedi 13 février 2021 à la cérémonie officielle de remise officielle de 300 bus de marque Volvo à la société de transport TRANSCO, en présence du 1ER Ministre et des membres de son gouvernement. Il s’agit d’une partie d’un lot total de 440 bus commandés par le gouvernement Ilunkamba sortant.

DEPUIS novembre 2020, les autobus sont livrés au gouvernement par tranche mensuelle de 110, indique les services de communication de la Primature. Qui précisent que le total d’autobus destinés à la société TRANSCO est de 670 engins. Par ailleurs, 230 autres autobus, de marque Mercedes, qui seront progressivement livrés à partir du mois d’avril 2021, vont être montés à Kinshasa dans une usine dont le site a déjà été identifié par le gouvernement Ilunkamba. C’est la société Serve Air qui a obtenu la licence d’installation de cette usine de montage. Avec à la clé, 500 emplois directs et des centaines d’emplois indirects à créer. Les services de communication du cabinet du 1ER Ministre rappellent que le contrat avait été conclu en 2019, et attendait la conclusion des engagements financiers pris par le gouvernement, notamment le paiement des acomptes. Ce à quoi s’est attelé le gouvernement Ilunkamba.

Certes, le public a applaudi de deux mains la présentation de plus de 300 nouveaux autobus. Signe évident que les difficultés de transport en commun vont être atténuées un tant soit peu à Kinshasa, mais aussi dans les autres grandes villes du pays. Mais des observateurs pensent qu’il s’agit là d’une représentation de l’allégorie de l’arbre qui cache la grande forêt. 

Depuis que le projet TRANSCO a été monté en 2014 sous le cabinet Matata, le manque à gagner en 2015 était évalué à 4, 8 millions de dollars selon des rapports internes. Et le trou s’est grossi au fil des ans, notamment à cause de la mauvaise gestion de la société. Malgré le manque de rentabilité de la société, le gouvernement s’est entêté et a décidé sous le gouvernement Tshibala non seulement de pérenniser les projets TRANSCO et Esprit de Vie, mais aussi de les étendre en provinces. 

Subvention de l’État

Avouons-le, si TRANSCO tient encore debout, c’est grâce à la subvention de l’État, en termes de livraison de carburant et lubrifiant. La première année, TRANSCO dirigé par un Européen a réalisé 25,9 millions de dollars. Par contre, elle s’est acquittée de ses obligations fiscales évaluées à juste 205 dollars. TRANSCO avait en 2015 un charroi de quelque 500 bus et comptait 2 714 agents. Aujourd’hui, combien il en reste ? Depuis le départ du directeur général européen, fatigué de multiples interférences sur la gestion de la société, les problèmes de TRANSCO se sont accumulés. 

Subventionner pour subventionner n’est pas la solution, déplorent des experts des transports en commun. C’est à se demander si l’État peut vraiment mieux faire en s’y prenant autrement. Une enquête fouillée sur l’accès aux services publics en milieux tant urbains que ruraux déplore le manque d’efficacité des politiques. 

Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, est dotée d’un Plan directeur des transports urbains. Que le gouvernement japonais accorde un intérêt particulier à ce document, cela devrait interpeller les dirigeants politiques congolais. 

Les experts congolais et japonais qui ont travaillé sur le Plan directeur des transports urbains de Kinshasa ont évalué le réseau routier de la capitale à 3 621 km. Insuffisant pour couvrir les besoins des transports pour une population estimée à près de 12 505 000 habitants en 2017 et à 26 941 000 habitants à l’horizon 2040, d’après l’estimation de l’ONU qui tient compte du taux de croissance naturelle de la population. 

La ville de Kinshasa accuse un déficit en transports urbains, causé par l’urbanisation rapide et non contrôlée, la demande croissante du trafic routier, la trame viaire incomplète, la dépendance à l’égard des transports en commun axés sur les marchés, le flux de circulation sans contrôle, les accidents de circulation, le manque de coordination et les problèmes environnementaux…

Le professeur Massonsa-wa-Massonsa est expert en transport. Dans une longue interview accordée à Business et Finances, il avait déclaré que « le débat sur les transports urbains ne doit pas seulement se poser en termes de politiques d’objectifs et de moyens ». Il est convaincu qu’il n’y aura d’émergence en Afrique sans politique des transports. En matière de sciences de transports, Massonsa-wa-Massonsa est bien dans son élément. Ancien directeur de cabinet au ministère des Transports et des Voies de communication, actuellement directeur du Centre d’études et de recherches sur les valeurs africaines (CERVA-RDC), il est l’auteur d’une intéressante réflexion sur « les enjeux de la politique des transports urbaines en RDC ». 

Question sensible

Quelles sont les perspectives sur cette vaste problématique ? « En Afrique subsaharienne, par exemple, le transport est devenu un élément prioritaire pour les pouvoirs publics et les bailleurs de fonds internationaux. La politique des transports urbains est une réponse institutionnelle adéquate à l’ensemble des questions et des problèmes que recouvrent les déplacements dans la ville, pour améliorer la mobilité, en offrant des services et des moyens de transport de qualité, sécurisants et abordables. La finalité des politiques des transports urbains est donc d’offrir une mobilité durable, équitable et solidaire à l’espace urbain », explique cet expert.

Pour être efficaces, les solutions de mobilité urbaine doivent être multidimensionnelles, conseille le professeur Massonsa. « Par exemple, la demande de transport s’est beaucoup complexifiée à Kinshasa. La démographie urbaine connaît un taux de croissance de 5 % avec une population estimée à 12 577 000 habitants en 2017. Dans le même temps, le transport urbain est devenu une question éminemment politique et stratégique ». 

Le professeur Massonsa dit que les pouvoirs publics congolais sont véritablement la vraie problématique des transports, en raison de leur mauvaise gouvernance de ce secteur. Dans le monde, les modes de déplacements urbains connaissent des changements de fond notables pour fluidifier la circulation et satisfaire les besoins de mobilité. Cela est perceptible aussi et notamment dans certains États africains : dotation en nombre important de bus, modernisation des chemins de fer urbains, acquisition des tramways, amélioration de la desserte en transport par la voie d’eau-fleuve, etc. »

D’après lui, les transports conditionnent les déplacements des personnes, tout comme les échanges de marchandises. Ils sont un élément essentiel d’intégration spatiale. « Dans cette configuration, la politique des transports est donc au cœur de la construction de la ville de Kinshasa, et constitue, de ce fait, un grand chantier et une grande ambition collective. Les transports urbains y jouent un rôle essentiel dans la structuration de la ville. Ils orientent la localisation et le développement des activités ainsi que l’habitat. »

Rien à faire, les transports occupent une place importante à la fois dans l’espace urbain et dans le temps urbain. « En effet, les enjeux des grands travaux des infrastructures routières et les services, c’est-à-dire les moyens de transport se situent au centre des dynamiques économiques et sociales multiples de la ville, souvent complémentaires, mais parfois contradictoires », explique-t-il. Et d’ajouter : « Le caractère ubiquitaire des transports urbains et de la mobilité est de plus en plus marqué. D’un côté, l’offre et la demande de transports s’influencent mutuellement, de l’autre, les activités économiques et les modes de vie. Ainsi, la mobilité interagit avec l’aménagement du territoire et l’occupation des sols. C’est dans ce contexte que se pose la problématique de l’organisation des transports et de la mobilité. »