Changer le rugby pour qu’il perdure

Après la mort pendant un match, vendredi, de Louis Fajfrowski, jeune trois-quarts centre d’Aurillac, un entraîneur propose des pistes de réflexion afin de privilégier le jeu de l’évitement à celui de l’affrontement.

Le rugby est passé professionnel en 1995. L’évolution vers un jeu privilégiant davantage l’affrontement physique à l’évitement comporte des risques évidents pour la santé des sportifs d’autant que le gabarit des joueurs a profondément changé depuis vingt ans. Les corps sont très musculeux et particulièrement bien préparé. Le revers de la médaille est que le risque de blessure est de plus en plus élevé. La retraite précoce de Sam Warburton, le capitaine gallois, à seulement 29 ans, ou encore le nombre importants de commotions cérébrales recensées ces dernières années interpelle le monde du rugby et l’oblige à une prise de conscience. Il ne suffit dorénavant plus seulement de détecter efficacement les commotions cérébrales et autres blessures graves, il faut créer les conditions dans les règles du jeu pour contraindre les rugbymen à changer leur manière de jouer.

En effet, l’évolution de ce sport vers davantage de «rentre-dedans» n’est pas issue d’une philosophie de jeu dévoyée. Elle correspond à une adaptation tactique des entraîneurs aux morphologies des joueurs dont ils disposent. En effet, la pratique du jeu dans sa version «Seven» est très différente de la variante à quinze joueurs, du fait des espaces très importants dont disposent les joueurs sur un terrain dont les dimensions sont les mêmes à 7 ou à 15.

Je propose quatre pistes de réflexion afin d’infléchir la tendance actuelle privilégiant le jeu d’affrontement à l’évitement. Il est souhaitable que l’évolution des règles permette de continuer à pratiquer ce jeu formidable dont la première partie remonte à 1871, en conservant les fondamentaux de ce sport dans des conditions optimales de sécurité pour les pratiquants.

Une augmentation des mensurations du terrain

Le terrain de rugby est long de 100 m et large de 68 à 70 m. Les nouvelles morphologies des joueurs ont entraîné une diminution de l’espace dont dispose chaque joueur sur le terrain. Il pourrait être intéressant d’augmenter la largeur du terrain en passant, par exemple, de 70 m à 80 ou 90 m. De fait, des espaces se créeront et la nouvelle surface du terrain conduira à ce que les profils de joueurs basant leur jeu sur la vitesse soient davantage valorisés que les joueurs puissants.

Une diminution du nombre de joueurs

Il est possible d’imaginer que le nombre de joueurs passe de 15 à 14 (suppression du poste d’arrière au profit d’une couverture de terrain réalisé par les deux ailiers) voire à 13 (suppression du poste d’arrière et de l’un des joueurs de troisième ligne). Une évolution en ce sens permettra que des espaces se créent, ce qui favorisera le jeu de mouvement. Toutefois, il semble préférable de ne pas supprimer plus de 2 joueurs, sans quoi la nature du jeu en sera profondément modifiée (en témoignent les différences entre le Seven et le Quinze).

L’instauration de catégories de poids

Il est possible d’imaginer que le rugby à 15 perdure dans sa forme classique mais que des catégories de poids soient instaurées. Ainsi, on peut imaginer une catégorie pour les joueurs de moins de 90 kilos et une catégorie pour les joueurs de plus de 90 kilos. 

Cette solution empêcherait que des joueurs de plus de 70 kilos soient confrontés à des «monstres physiques» à qui ils peuvent rendre jusqu’à 50 kilos. Il est aussi possible de limiter en poids les joueurs en fonction de leur poste, par exemple 100 kilos pour les joueurs du «8 de devant» et 90 kilos pour les arrières, ou bien encore de fixer un poids maximal à ne pas dépasser par une équipe. En catégorie de jeune, peut-être que la Fédération française de rugby pourrait substituer aux catégories d’âge des catégories de poids afin que la technique individuelle soit à la base de l’apprentissage du rugby, et non la puissance physique.

L’abaissement de la taille de placage

Le championnat d’Angleterre de rugby de deuxième division vient de faire entrer en vigueur le «nipple tackle». Cette règle vise à abaisser la surface du corps où un placage peut réglementairement être réalisé, à savoir entre les pieds et le sein avec cette nouvelle règle, alors que jusqu’à présent c’est la ligne des épaules qui constitue la limite haute d’un placage. 

Cette règle, déjà expérimentée lors du Championnat du monde des moins de 20 ans cette année vise à diminuer la fréquence des contacts entre le plaqueur et la tête du porteur de balle (la tête étant la partie du corps la plus exposée aux coups et blessures). Par ailleurs une extrême sévérité doit être demandé aux arbitres afin de sanctionner d’un carton jaune tout contact «tête-tête» ou chaque placage haut (au-dessus de la ligne des épaules selon la règle en vigueur actuellement) sans tenir compte de l’intensité mise dans le placage (facteur aggravant mais ne pouvant disculper l’auteur du placage haut).

Ces propositions ne visent pas à révolutionner le jeu, mais à le faire perdurer alors que les évènements récents n’incitent pas les parents à amener leurs enfants dans les écoles de rugby, alors que ce sport, de par les valeurs qu’il induit et le plaisir qu’il procure, est probablement le plus beau de tous.