Claver Mampuya : « C’est à travers les indicateurs économiques que les États civilisés suivent et déterminent leurs progrès économiques »

Claver Mampuya est économiste. Dans un entretien à bâtons rompus sur la conjoncture actuelle défavorable au franc, il explique que les investisseurs visent avant tout l’augmentation de leur pouvoir d’achat à long terme. Si les indicateurs économiques clés ne sont pas rassurants, ils ne vont pas prendre le risque de faire des affaires dans le pays.

Business et Finances : Comment les investisseurs suivent et déterminent les progrès économiques des pays ?

Claver Mampuya : Ils le font à travers l’analyse des indicateurs économiques, les données statistiques sous forme d’indices et de prévisions, l’indice de la performance actuelle des pays et l’estimation de la performance future. Ils le font également à travers les comptes-rendus, les rapports périodiques, le suivi de la situation économique, le processus de prise de décision pour les investisseurs et l’assistance aux investisseurs dans la gestion du risque d’investissement. Certains indicateurs comprennent le taux de chômage, le Produit intérieur brut (PIB), les taux d’intérêt, le taux de change, la balance commerciale, l’inflation…

B & F : Quel lien existe-t-il entre les indicateurs économiques et l’économie ?

C. M. : S’agissant du rapport entre les indicateurs économiques et l’économie, il existe deux classifications. La première est la classification par cycle économique et la seconde, la classification by timing. En ce qui concerne la classification par cycle économique, on a les indicateurs dits procycliques, c’est-à-dire qui vont dans le sens du cycle ; les indicateurs dits anticycliques, destinés à prévenir les effets néfastes des cycles économiques, le retournement de la conjoncture. Par exemple, dans un contexte difficile, le gouvernement peut décider de maintenir une orientation budgétaire anticyclique. Enfin, on parle d’indicateurs acycliques quand il n’y a pas de cycle, c’est-à-dire il n’existe aucun lien entre les indicateurs et l’économie. Par ailleurs, dans la classification by timing, on parle des indicateurs d’avance lorsque le change précède l’économie (par exemple, les marchés boursiers) ; des indicateurs de retard quand le change suit l’économie (exemple du taux d’emploi) ; et des indicateurs concordants quand il n’y a pas de corrélation entre le change et l’économie.

B & F : Quels sont les indicateurs économiques clés ?

C. M. : Les principaux indicateurs économiques sont le Produit intérieur brut (PIB), les taux d’intérêt, le taux de change, l’inflation ou l’indice de prix à la consommation (IPC), les réserves de change, la balance commerciale et l’offre de la monnaie (M2). 

B & F : Qu’est-ce que le taux de change ?

C. M. : Le taux de change d’une monnaie est le cours ou le prix de cette monnaie par rapport à une autre monnaie. En d’autres termes, c’est la parité d’une monnaie par rapport à une devise. Par exemple, le franc par rapport au dollar. Il y a deux manières d’exprimer un taux de change, soit en termes du nombre d’unités monétaires étrangères par unité nationale, soit en termes du nombre d’unités nationales par unité étrangère. Le taux de change est soit fixe, soit flottant. Il est fixe ou constant par rapport à une monnaie de référence, en général le dollar ou l’euro, par décision de l’État qui émet cette monnaie. Dans ce cas, le taux de change ne peut alors être modifié que par une décision de dévaluation ou de réévaluation du même État. Par exemple, le franc CFA (1 euro = 650 FCFA). 

Par contre, le taux de change est flottant lorsqu’il est déterminé à chaque transaction par l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché des changes. Il s’agit d’un marché mondial interbancaire des monnaies, de moins en moins centralisé, sur des lieux spécifiques de cotation et d’échanges, car reposant sur des liaisons informatiques entre banques. En RDC, on applique le taux flottant pour le franc par rapport au dollar. La notation du taux de change se fait des deux sortes. Par exemple, le taux de change de l’euro en dollar est noté EUR/USD ou EURUSD = 1,3120. Ce qui signifie que 1 euro vaut 1,3120 dollar. Le taux de change du dollar en franc est noté USD/CDF ou USDCDF = 1 300.

B & F : Vous avez cité aussi les taux d’intérêt. Que faut-il en entendre ?

C. M. : Le taux d’intérêt est le loyer de l’argent exprimé en pourcentage, calculé selon des conventions prédéfinies et exprimant sur la durée du prêt les intérêts par rapport au montant du capital. Par exemple, en RDC, la Banque centrale du Congo (BCC) met en place une politique de change pour ancrer les taux du marché monétaire et les autres taux d’intérêt. Il y a, entre autres, le taux directeur qui est le taux auquel les banques empruntent et placent la liquidité auprès de la Banque centrale. Le taux d’intérêt est également appelé coût du loyer. Actuellement il est à 2 % à la BCC. Pour gérer l’inflation et garder le système de change stable, la BCC a sensiblement réduit le taux directeur depuis quatre ans. Le Comité de politique monétaire (CPM) se réunit chaque mois pour faire le point de la situation. Il faut retenir que le haut niveau du taux directeur augmente le coût d’emprunt des secteurs réels au détriment, par exemple, de la croissance des petites et moyennes entreprises (PME). On parle aussi de taux interbancaire offert qui est le taux auquel les banques se prêtent entre elles. Mais il n’existe pas encore en RDC.

B & F : Et le Produit intérieur brut (PIB), de quoi s’agit-il ?

C. M. : Le PIB vise à quantifier, pour un pays et au cours d’une année, la valeur totale de la production de la richesse réalisée par les agents économiques résidant à l’intérieur de ce pays. Par agents économiques, il faut entendre les ménages, les entreprises et les administrations publiques. Le PIB reflète donc l’activité économique interne d’un pays et la variation du PIB, d’une période à une autre, est censée mesurer son taux de croissance économique. La croissance du PIB est principalement le fruit des politiques publiques favorables, telles que la diversification économique, la privatisation, la réduction des coûts des opérations de production… Le PIB par habitant mesure le niveau de vie et approximativement le niveau du pouvoir d’achat étant donné que l’incidence de l’évolution du niveau général des prix n’est pas prise en compte de façon dynamique.

B & F : Que faut-il retenir de l’offre de la monnaie ?

C. M. : Pour contrôler la liquidité sur le marché, la Banque centrale, c’est le cas de la BCC, utilise une politique monétaire. Celle-ci est soit restrictive, soit expansionniste. Lorsqu’elle est restrictive, la Banque centrale vend des titres via des opérations d’appel d’offre et augmente le ratio de réserves bancaires obligatoires. Elle est expansionniste quand la Banque centrale achète des titres via des opérations d’appel d’offre et diminue le ratio des réserves bancaires obligatoires. Par offre de la monnaie, il faut entendre surtout le suivi de la masse monétaire par la Banque centrale. La masse monétaire a tendance à augmenter à mesure que l’économie croît. Le coefficient de réserve obligatoire sert également à réguler la masse monétaire en circulation. L’augmentation de la dépense publique, par exemple lors des élections, contribue à une forte augmentation de la masse monétaire dans l’économie.

B & F : D’où l’on parle alors de l’inflation…

C. M. : L’inflation, c’est la hausse des prix. On parle d’inflation lorsqu’il y a une hausse généralisée et persistante du niveau général des prix à la suite d’un grossissement anormal et excessif des moyens de paiement. Autrement dit, l’inflation est la perte du pouvoir d’achat de la monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix. Il s’agit d’un phénomène persistant qui fait monter l’ensemble des prix et auquel se superposent des variations sectorielles des prix. L’inflation est mesurée en utilisant l’indice des prix à la consommation, calculé sur la base de la tarification d’un panier de biens et services, dépenses d’investissement non comprises. Les données de l’indice des prix à la consommation sont fournies hebdomadairement par la Banque centrale. Selon les projections de la Banque centrale du Congo, par exemple, l’inflation en RDC devrait rester autour de 3 % en 2016.

B & F : Venons-en maintenant aux réserves de change…

C. M. : Les réserves de change sont des ressources que l’on met à la disposition des opérateurs économiques pour soutenir la monnaie nationale. En RDC, le produit de la vente des matières premières brutes (cuivre, cobalt et pétrole) contribue pour beaucoup à la constitution des réserves de change. Outre le fait de soutenir la monnaie nationale, les réserves de change contribuent à attirer (afflux) les capitaux étrangers (investissements). Par exemple, en décembre 2013, les réserves de change étaient de 1 745, 41 milliard de dollars couvrant plus de 9 semaines d’importation ; en février 2016, elles étaient de 1 320, 64 milliard de dollars, soit plus de 5 semaines ; et en janvier 2017, elles sont tombées à 852 millions de dollars, soit moins d’un mois d’importations.

B & F : En dehors de ces indicateurs économiques clés, en existe-t-il d’autres ?

C. M. : Il y a d’autres indicateurs aussi importants que ceux que nous venons d’épingler. Par exemple, la balance commerciale… 

B & F : c’est quoi la balance commerciale ?

C. M. : C’est le compte qui retrace la valeur des biens exportés et celle des biens importés. En d’autres termes, c’est le produit net des exportations et des importations sur une période donnée. Cet indicateur est utilisé pour évaluer la santé économique d’un pays par rapport au reste du monde. C’est ainsi qu’on parle d’excédent commercial lorsque la balance commerciale est positive et de déficit commercial lorsqu’elle est négative. Le compte courant intègre les revenus d’investissements nets et les transferts vers la balance commerciale. Celle-ci intègre également les entrées et les sorties des fonds vers l’international, les recettes et les dépenses commerciales, le rapatriement des bénéfices après impôts.

B & F : Aujourd’hui, on parle de plus en plus de marchés obligataires, financier et de change… Pouvez-vous en faire un aperçu ?

C. M. : Les marchés obligataires désignent des marchés où peuvent être émises, achetées ou vendues des valeurs mobilières de toute nature. Ils participent du financement de l’économie et permettent aux sociétés, privées et publiques, aux collectivités locales et à l’État, lui-même, de se procurer des fonds pour financer leurs investissements en faisant appel directement ou indirectement aux épargnants. C’est sur le marché primaire que sont mis à la disposition des investisseurs les nouveaux titres. Il peut s’agir de titres nouvellement créés (titres d’émission) ou de la mise sur le marché de nouvelles sociétés (titres d’introduction). 

L’activité des marchés financiers est encadrée par l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui est un organisme indépendant. L’AMF a pour mission de veiller à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers et de tout autre placement donnant lieu à appel public à l’épargne. Elle veille aussi à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d’instruments financiers.

B & F : À propos justement des titres, quels types de produits existent-ils ?

C. M. : Les titres sont des instruments de taux, dont les deux grandes catégories sont constituées par les créances et les emprunts obligataires. On retiendra utilement que les titres de créances sont des titres négociables. Ce sont des certificats de dépôt émis par les banques, les billets de trésorerie émis par les sociétés non financières et les bons du Trésor. Ils ont généralement une durée de vie inférieure à une année. Par contre, les emprunts obligataires sont des titres généralement émis sur des échéances supérieures à une année. Ce sont des financements au profit d’un État, d’une banque, d’une entreprise ou d’une organisation gouvernementale. Les emprunts obligataires sont des titres de créances émis par une entreprise, une collectivité publique ou par un État et se caractérisent par un taux d’intérêt et des modalités de remboursement déterminées au moment de l’émission.

B & F : Quid du marché monétaire ?

C. M. : Le marché monétaire désigne les avoirs et les emprunts à court terme et fait référence au taux d’intérêt. Le marché monétaire fonctionne lorsque les banques font face aux fuites correspondantes aux besoins de monnaie. C’est à la Banque centrale qu’il y a des réserves obligatoires et où s’adresse la demande de monnaie fiduciaire. Si chaque banque accorde des crédits en fonction de ses parts de marché de dépôts, les fuites se compensent et le marché bancaire est équilibré. Les banques se tournent vers le marché monétaire pour placer auprès des autres banques et établissements financiers leurs excédents ou obtenir d’eux le financement de leurs besoins de monnaie, après compensation journalière des mouvements entre banques. Les interventions de la Banque centrale sur ce marché correspondent au refinancement (préteur du dernier ressort). Les différents produits sur ce marché sont les billets de trésorerie, les certificats de dépôts, les dépôts à terme, les bons de la Banque centrale, etc.

B & F : Que peut-on alors retenir du marché des changes ?

C. M. : Le marché de change est celui sur lequel se retrouvent tous les participants désireux de vendre ou d’acheter une devise contre une autre. Dans le jargon financier, on parle de FOREX (Foreign Exchange) pour désigner le marché des changes. Actuellement, il est largement dominé par la City de Londres. Cette place financière internationale représente plus du tiers des opérations des changes dans le monde. Le dollar américain reste la monnaie de référence sur le marché des changes (87 %). Le couple EUR/USD est ainsi celui qui s’échange le plus dans le monde tandis qu’en RDC, c’est la paire USD/CDF. La plupart des entreprises et des banques commerciales interviennent avant tout sur le marché des changes pour se couvrir. D’autres, tels les fonds spéculatifs et les banques d’investissement, agissant pour leur propre compte, y interviennent afin de tirer profit des mouvements quotidiens des taux de change.

B & F : Peut-on dire que les marchés financiers fonctionnent en RDC ?

C. M. : Disons que les marchés financiers sont quasi-inexistants dans notre pays. Pour le moment, c’est les marchés des capitaux à court terme, à savoir les marchés interbancaire et monétaire, qui fonctionnent. Le marché interbancaire est réservé aux banques pour échanger entre elles des actifs financiers et pour emprunter ou prêter à court terme. À fin décembre 2015, par exemple, les opérations des prêts/emprunts ont enregistré un total annuel de 3041,68 milliards de francs, soit un recul de 20 % par rapport à 2014 (4303.53 milliards de francs). Le taux moyen pondéré est resté inchangé à 1.70 %. Quant au marché monétaire, les billets de trésorerie ont changé de dénomination pour devenir Bons BCC, couvrant les maturités de 7 jours, 28 jours et 84 jours. L’encours global des Bons BCC était de 47 milliards de francs à fin 2015 et réparti comme suit : bons de 7 jours (15 milliards, soit 0.47 %), bons de 28 jours (17 milliards, soit 0.51 %), bons de 84 jours (15 milliards, soit 0.38 %).

Il n’existe pas encore en RDC. Néanmoins, le FOREX fonctionne. On y a observé une certaine stabilité du franc (CDF) par rapport au dollar au cours des dernières années. Ce marché est structuré en demande de devises. À fin 2015, le taux de change s’est situé à 927.92 CDF à l’indicatif et 936.25 au parallèle. Cependant, la pression accrue observée en 2016, en raison de l’insuffisance de l’offre de dollar par rapport à la demande, a conduit au fléchissement du taux de change qui a franchi la barre de 1 300 CDF à l’indicatif. Enfin, le gouvernement, en collaboration avec le FMI, a un projet d’émission prochaine des titres publics à court, moyen et long termes (obligations souveraines).