L’anecdote a fait le tour de la planète « crypto ». Au milieu de l’été 2015, Brian Armstrong lâche une petite bombe sur les réseaux sociaux. Dans un tweet, le peu connu patron de Coinbase, qui n’est encore qu’une plate-forme d’initiés, explique que le bitcoin devrait remplacer le dollar d’ici à « dix ans maximum ».
Il n’en faut pas plus pour déchaîner une pluie de réactions, souvent ironiques. En dépit de quelques soutiens, le jeune patron californien est gentiment moqué. Ce qui n’est pas étonnant. A cette époque, la plus grosse cryptomonnaie du marché ne vaut « que » 250 dollars (215 euros), contre 6.500 aujourd’hui, et pèse moins de 5 milliards de dollars de capitalisation, alors que le billet vert règne sur l’Olympe des monnaies.
Un marché en pleine croissance
Mais Brian Armstrong a une conviction. Pour cet ancien de chez Airbnb, qui commence à voir le bout du tunnel avec Coinbase, l’avenir appartient aux devises chiffrées. Il croit dur comme fer à sa plate-forme d’échange, lancée en 2012. Un pari gagnant. Moins de trois ans après son tweet, le bitcoin n’a toujours pas pris le pouvoir, mais la start-up basée à San Francisco a pris une autre dimension.
Elle est même plus puissante que jamais. Que ce soit par son chiffre d’affaires ou sa valorisation, Coinbase affole les compteurs. Même si les éléments financiers ne sont pas publics, certains médias évoquent un chiffre d’affaires de plus d’un milliard de dollars. De leur côté, les analystes valorisent la société entre 6 et 10 milliards de dollars. Une situation qui attire évidemment les convoitises et plaide en faveur d’une introduction en Bourse, à Wall Street ou… sur la blockchain. « Je dirigerais bien une société cotée », s’est d’ailleurs amusé le jeune geek il y a quelques jours, lors du Salon TechCrunch à San Francisco.
Démocratiser le marché
La hausse des cryptomonnaies est évidemment passée par là. Le bitcoin et les autres devises cryptographiques se sont littéralement envolés, même si le marché s’est consolidé en 2018. Depuis 2015, la valorisation globale des cryptomonnaies a été multipliée par 20, avec une croissance exponentielle du nombre d’utilisateurs. Rien qu’aux Etats-Unis, celui-ci est passé de moins de 1 million à plus de 10 millions d’adeptes.
Coinbase a particulièrement profité de cette dynamique. La plate-forme s’est imposée auprès des petits investisseurs, tout comme le chinois Binance, son grand rival. Cette superpuissance n’est pas un hasard. Elle tient à la vision de Brian Armstrong. L’Américain, qui n’a que trente-cinq ans, a senti dès le début que celle ou celui qui réussirait à démocratiser l’accès au bitcoin serait le grand gagnant du marché. Ce qu’il a justement réussi à faire.
Simplicité et sécurité. Les ingrédients sont connus. Et la recette est un vrai succès, avec des milliers d’inscriptions par jour. Pour créer un compte, l’utilisateur n’a pas beaucoup de formalités à remplir. Il faut juste entrer ses coordonnées, envoyer une photocopie de son passeport, et fournir son RIB. « Coinbase a rendu le bitcoin accessible à tous », explique Ari Lewis, patron de Grasshopper Capital, un fonds américain spécialisé dans le secteur.
Après, il ne reste plus qu’à créditer son compte Coinbase avec des euros et des dollars. La start-up d’un peu plus de 200 salariés prend au passage une commission (1,5 % à 4 %) sur les montants. Et le marché des cryptomonnaies s’ouvre au nouveau venu. « La grande force de Coinbase, c’est d’être devenu dans l’inconscient collectif l’endroit où on achète son premier bitcoin », souligne Ari Lewis. Grâce à ce positionnement, la marque au « C » bleu compte plus de 20 millions d’investisseurs dans le monde, dont plus de la moitié aux Etats-Unis. Signe de ce succès, Coinbase gère aujourd’hui plusieurs milliards de dollars de transactions par mois, avec un record en décembre 2017 (plus de 18 milliards de dollars).
Choix des cryptomonnaies
Outre la facilité d’accès de l’application, c’est aussi le choix très restreint des cryptomonnaies disponibles qui a séduit. Seules cinq cryptos sont disponibles dans l’application, qui est l’une des seules à ne s’être jamais fait hacker. « C’est l’un des autres succès de Coinbase », insiste Ari Lewis. Dans ce « club des cinq », Il y a évidemment le bitcoin et l’ether, la deuxième devise 2.0 du marché, des produits d’appel imbattables. A elles seules, ces deux cryptomonnaies représentent la majorité du marché, environ 60 % de la capitalisation mondiale. Sont également disponibles deux de leurs dérivés, le bitcoin cash et l’ethereum Classic, ainsi que le Litecoin.
Cette politique du petit pas est un point essentiel de Coinbase, qui travaille sur l’introduction de cinq nouvelles cryptos et sur le développement de son service en Europe et en Asie. Le groupe préfère accompagner les utilisateurs, avec une introduction progressive au monde crypto. Tout le contraire du chinois Binance, qui ratisse très large. La plate-forme basée à Hong-Kong permet d’investir dans quasiment tous les principaux crypto-actifs du marché. Plus de 150 cryptomonnaies et jetons (tokens) de levées de fonds en cryptomonnaies (ICO) sont ainsi disponibles.
Conquête de Wall Street
Et Coinbase ne compte pas s’arrêter là. Car si la société californienne a réussi à se faire une belle place dans le marché des particuliers et dans 32 pays, dont la France, le potentiel est énorme du côté des professionnels.
Et surtout des « zinzins », ces investisseurs institutionnels comme les banques et les fonds d’investissement. Coinbase a d’ailleurs déjà posé plusieurs jalons sur sa route vers la finance et Wall Street. Brian Armstrong a lancé en 2015 une plate-forme pour les investisseurs professionnels, Gdax, renommée « Coinbase pro » au printemps. A la différence de l’application Coinbase, Gdax permet le trading de bitcoins, d’ethers et d’autres cryptomonnaies directement entre investisseurs.
Le géant américain a également lancé en juillet Coinbase Custody, une offre taillée sur mesure pour les institutionnels, avec un ticket d’entrée très élevé. Pour accéder à ce service, un client doit conserver un montant minimum de 10 millions de dollars sur la plate-forme, avec une commission mensuelle de 0,1 % sur les actifs détenus. Coinbase Custody offre des services étoffés en matière de trading, de gestion des risques et de négociation des marges.
Depuis le lancement, au moins dix fonds d’investissement ont signé un partenariat avec Coinbase. L’objectif pour le groupe californien est d’atteindre 100 « zinzins » d’ici à la fin 2018. Selon la presse américaine, un hedge fund de 20 milliards de dollars aurait décidé de travailler avec Brian Armstrong et ses équipes. Et, non content de se rapprocher de Wall Street, le groupe travaillerait également à l’obtention de plusieurs licences, comme celle de « broker » et même de… banque.
Coinbase est en discussion depuis plusieurs mois avec le gendarme de Wall Street, la SEC, pour obtenir le graal. Une licence bancaire permettrait à la start-up de se passer de l’intermédiaire des banques traditionnelles pour ses activités . Et de financer elle-même son introduction à Wall Street ?
Chiffres clefs
– 80 millions : le nombre estimé de possesseurs de cryptomonnaies dans le monde
– 20 millions : le nombre de clients de Coinbase depuis son lancement en juin 2012
– 5 : le nombre de crypomonnaies disponibles sur l’application
– 1 milliard de dollars : le chiffre d’affaires de Coinbase en 2017
– De 6 à 10 milliards de dollars : la valorisation estimée de Coinbase
– 200 : le nombre de salariés de la start-up basée à San Francisco
– 32 : le nombre de pays où Coinbase est disponible (dont la France)