Il y a un mois, l’horreur de l’assassinat de Samuel Paty révélait la difficulté d’enseigner la citoyenneté, mais aussi l’exposition des porteurs des messages laïques et civiques face au fondamentalisme religieux. Au-delà de la sidération, nous devons globalement repenser l’éducation des plus jeunes, dont certains tournent le dos au message de la République. D’autres enseignements sont aussi touchés dans leur capacité à former nos enfants.
Les sciences de la vie et de la Terre (SVT, et les formations homologues des voies technologiques et professionnelles) expliquent les origines de notre espèce et de sa diversité, mais aussi nos liens à l’environnement et à la santé. Leur enseignement est crucial : lors de la pandémie actuelle, elles montrent les risques collectifs liés à l’ignorance des faits biologiques établis (lavage de mains, port du masque ou vaccination). Mais les SVT sont confrontées depuis longtemps, et dans une certaine indifférence, à des oppositions liées notamment aux fondamentalismes religieux de toute obédience. Deux thématiques vitales, la sexualité et l’évolution biologique, peuvent être rejetées par des élèves endoctrinés (contraception, aide à la procréation, plaisir sexuel…). La connaissance du corps est pourtant un atout précieux pour le respect de soi, de l’autre et de l’égalité hommes-femmes.
En 2007, un prédicateur turc défenseur du créationnisme musulman avait inondé les collèges et les lycées français de milliers d’envois gratuits d’un «Atlas de la création», épais et richement illustré, rejetant l’évolution. Cet épisode montre les moyens mis en œuvre ; il fait écho à des kyrielles de cours interrompus, de négations par des élèves, de relations tendues avec certaines classes, y compris à l’université. Les enseignants de SVT sont souvent mis en difficulté, voire demain en danger. Tout comme Samuel Paty, et bien d’autres, ils portent des enjeux et encourent des risques liés à leur mission éducative. Nous proposons trois axes pour aider les professeurs de SVT, et tous ceux des autres disciplines, y compris les professeurs des écoles.
D’abord, ceux qui sèment le dogmatisme dans les cerveaux de nos enfants sont bien préparés à ce qui est une guerre de la communication : nos professeurs, eux, sont moins outillés. Le système éducatif préfère souvent éviter les vagues qu’entrer en confrontation. Or, les mots et les arguments pertinents, issus de l’épistémologie des sciences de l’évolution, ne s’inventent pas d’un coup. La formation continue des enseignants, si réduite actuellement, devrait expliquer les blocages et fournir un apprentissage pratique des méthodes et des éléments de langage propres à surmonter les oppositions.
Ensuite, les représentations de certains adolescents résultent d’influences exercées en amont et en marge de leur scolarité. Il faut donc préventivement aborder des enseignements de SVT dès l’école primaire ; les Californiens ou le réseau européen Evoke (Evolutionary Knowledge for Everyone) se penchent sur cette question depuis longtemps. Il nous faut donner aux enseignants du primaire une formation et des outils en SVT. Les enseignants des différents niveaux doivent collaborer à des projets communs «inter-degrés». Il faut des heures pour mieux transmettre le message, alors que les SVT ont actuellement un horaire trop restreint : elles sont même absentes, en tant que telles, du tronc commun des deux dernières années du lycée. Nos adversaires ont un temps de parole plus long devant certains élèves…
Contre l’obscurantisme, enfin, il faut dépasser les approches disciplinaires en unissant toutes les matières enseignées : la formation du citoyen est transversale. Plus les disciplines s’entre-appuieront, plus leur message commun sera efficace. Parce qu’elles sont des sciences, les SVT expérimentent, calculent, débattent et développent la pensée critique : elles apportent des assertions autonomes face aux injonctions politiques ou religieuses.
Nous devons penser leur incorporation et leur intégrité tout au long du cursus scolaire, dans le concert des disciplines formant les futurs citoyens.
La Fédération BioGée (réunissant 5 académies et 48 sociétés scientifiques ou associations d’entreprises) promeut la biologie et la géologie dans tous les champs sociétaux qui aident les citoyens dans leurs choix et leurs libertés ; son nom est un hommage à Michel Serres. http://www.biogee.org